la Résistance intérieure, suite.

Quels étaient les résistants, quelles étaient leurs conditions sociales, certainement un patchwork de la France de l’époque puisque que l’on trouvait que la majorité des résistants étaient mariés, avaient des charges de famille, avaient un métier, en d’autres termes, ils n’avaient rien de bien singulier, ils étaient comme tout le monde. On comptait ainsi parmi eux des universitaires, des instituteurs, des journalistes, des ingénieurs, des hommes d’Église, des militaires, et des femmes et hommes des classes moyennes et supérieures, tout autant que d’ouvriers qualifiés, des boutiquiers ou des petits artisans. En fait ils associaient à la fois leurs obligations familiales et sociales comme tout le monde, ce qui leur permettait d’être dans le moule commun seule façon de ne pas être perçus. Certains engagées à temps plein par leur activité militaire ou de grands résistants à la tête de réseaux vivaient totalement dans la clandestinité, comme le grand résistant Emmanuel d’Astier de la Vigerie, proche du parti communiste pour devenir un fervent gaulliste de gauche en 1958. François Mauriac écrivait dans le Cahier noir en août 1943 aux éditions de minuit,

«… Les martyrs rendent témoignage au peuple. Seule la classe ouvrière dans sa masse aura été fidèle à la France profanée. A l’heure où j’écris, novembre 1941, tant d’autres Français sont mus par une passion élémentaire, la peur ! Ils ne l’avouent pas, rendent au maréchal un culte d’hyperdulie, invoquent Jeanne d’Arc, mais dans le secret, tout pour eux se ramène à l’unique nécessaire, sauver leurs privilèges…».

Toutes les couches sociales, toutes les sensibilités politiques, toutes les sensibilités philosophiques et religieuses sont représentées au sein de la Résistance. Les Juifs, les démocrates-chrétiens, les socialistes et les communistes sont toutefois les plus représentés, ces derniers n’entrant en résistance qu’après juin 1941 seulement. Bien au-delà des seuls cercles de gauche, des catégories sont inversement blâmées dès l’Occupation pour leur sous-représentation dans la lutte clandestine, à commencer par les paysans, du moins jusqu’à la naissance des maquis en 1943, et surtout la bourgeoisie et le patronat. Toutefois, on ne peut assimiler le peuple de gauche à la résistance, ni la droite ou les classes supérieures à la collaboration. Si le patronat est fort peu représenté malgré de spectaculaires exceptions, Peugeot, Michelin, en revanche de nombreux éléments traditionnellement conservateurs comme les Églises, les militaires ou l’aristocratie paient un tribut significatif à la lutte.

Le documentaire Franco-suisse «Le Chagrin et la pitié» de Marcel Ophüls tourné essentiellement au printemps 1969 et sorti au cinéma à l’automne de la même année, dresse la chronique de la vie d’une ville de province entre 1940 et 1944 en partant de l’étude du cas de Clermont-Ferrand. Le film élargit son propos factuel à toute l’Auvergne, mais comporte aussi des témoignages de personnalités ayant joué un rôle important pendant la guerre, militaires, hommes d’État, témoins-clés, ou ayant participé activement à celle-ci, pas forcément à Clermont-Ferrand ni même en Auvergne.

D’une durée d’environ 4 heures, le film tourné en noir et blanc, est constitué d’entretiens et d’images d’actualité de l’époque. Celles-ci, présentées sans aucun commentaire, ont été réalisées sous le contrôle de la propagande du gouvernement de 1940 sauf pour l’avant dernière d’entre elles, interview cinématographique de Maurice Chevalier, s’exprimant en Anglais, à destination du public Américain, évoquant les accusations portées contre lui de collaboration avec les Allemands, suivie d’images de la libération rythmée par une chanson joyeuse du célèbre fantaisiste, ce qui laisse à la fin le spectateur dans une situation de malaise.

Le témoignage délivré par ce film de ce qu’était la simple résistance d’une ville parmi d’autres nous permet le devoir de mémoire que cet article veut retracer.

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Des étrangers ont combattu nombreux aux côtés des résistants Français, antifascistes Italiens, antinazis Allemands et républicains Espagnols réfugiés en France, immigrés Polonais et Arméniens, Juifs apatrides. Français ou étrangers, les Juifs furent sur représentés dans la Résistance, à tous les niveaux de responsabilité et dans toutes les formes du combat souterrain. Inévitablement se pose la question «combien étaient-ils ?». Sur l’ensemble de la Résistance française, François Marcot , La résistance et les Français, a tenté de donner une réponse tout en soulignant combien la question était délicate et nécessairement approximative, et il en vînt à proposer le chiffre de 200.000 résistants pour le début de l’année 1944 et estime à 500.000 le nombre de personnes ayant eu une implication substantielle dans la Résistance. Dans les maquis, la population était plus spécifiquement jeune et masculine. Dans le maquis de Bourgogne, par exemple, 90 % des maquisards étaient des hommes jeunes et célibataires, typiquement dans la tranche d’âge 22-25 ans. La population des mouvements de Résistance était surtout citadine. L’origine sociale des résistants fut spécifique à chaque mouvement. Ainsi, l’OCM, Organisation Civile Militaire, regroupa essentiellement des hommes d’âge mûr, souvent cadres supérieurs du secteur privé et du secteur public. Défense de la France recruta plus spécifiquement des étudiants et des fonctionnaires. Le Front national de la résistance , créé par les communistes avait une coloration nettement ouvrière à sa naissance, mais ensuite, il perdit en partie cette spécificité.

Les réseaux de renseignement recrutèrent plus spécialement dans certaines professions en rapport avec l’activité du réseau, officiers de l’armée, cheminots, représentants de commerce, qui voyageaient beaucoup et boutiquiers qui pouvaient servir de boîte à lettres. Par exemple, parmi les 600 agents du réseau Manipule ( créé en 1942 et considéré comme le service action du mouvement Ceux de la résistance), on décomptait 20 % de femmes, 50 % de moins de trente ans. La grande majorité des agents étaient des citadins. 25 % étaient ouvriers qualifiés ou cadres techniques, 25 % employés ou fonctionnaires subalternes. Le reste était composé d’étudiants, professions libérales ou militaires. 13 % avaient fait la guerre de 14-18, 36 % seulement la guerre de 39-40 et le reste n’avait pas d’état de service antérieur.

La Résistance communiste.

Le parti communiste a toujours soulevé des ambiguïtés. Le pacte germano-soviétique Ribbentrop-Molotov signé le 23 août 1939 a conduit le parti communiste hors la loi ayant été dissous par Daladier en septembre 1939, ce qui l’a placé dans la clandestinité. A la suite de l’Opération Barbarossa nom donné à l’invasion des Républiques socialistes par le troisième Reich, le parti communiste s’était refait une santé pour avoir participé activement à la résistance, en payant un lourd tribut par ses milliers morts.

Le «parti des fusillés», telle fut l’image que véhicula le PCF pendant de nombreuses années après-guerre. Appréhender le PCF, dans ses choix notamment, s’est toujours révélé plus compliqué que pour toute autre formation politique Française. Parce qu’il s’inscrivait tout d’abord dans un espace plus vaste, doté d’un centre décisionnel et régi par des principes internationalistes et révolutionnaires, dont on ne pouvait faire abstraction. L’articulation des relations qu’entretenaient le PCF avec ce centre était une des difficultés majeures à la compréhension, plus encore peut être au cours d’un conflit mondial. Ensuite, le communisme a toujours cultivé un certain goût pour le secret, dans le but notamment de conserver une marge de manœuvre dans la réécriture ou la ré-interprétation de sa propre histoire, tiré de l’Institut des Etudes Politiques de Paris.

Comme le précise le document sur la complexité de la période, complexité de l’objet d’étude sur le PCF dans la guerre, et son rôle au sein de la Résistance, sont des thèmes qui se déclinaient au fil de plusieurs milliers de pages. Il n’était donc pas possible d’entrer dans l’analyse de ce travail qui est développé dans la référence citée.

De juin 1940 à août 1944 le parti était dans la clandestinité. Le parti était dirigé par le couple, Jacques Duclos et Benoît Frachon. Charles Tillon, à partir de mai 1941, et Auguste Lecœur, à partir de mai 1942, participaient également aux réunions à peu près mensuelles du secrétariat. En août 1940, Duclos a été désigné par Moscou comme le numéro un, mais les rencontres entre Duclos et Frachon étaient fréquentes et prolongées, ce qui rendait possible l’influence de Frachon sur l’ensemble des décisions prises par Jacques Duclos. La relative autonomie des deux hommes s’inscrivait dans le respect de la discipline vis-à-vis de l’Internationale communiste de l’URSS.

La direction du PCF, pendant l’été 1940, prit contact avec les troupes d’occupation dans le but d’obtenir la reparution du journal l’Humanité. Cette initiative qui durera un mois fut rapidement condamnée par de nombreux militants communistes ainsi que par Maurice Thorez présent à Moscou. Des exclusions seront prononcées. Les communistes installèrent, à partir de juillet 1940, dans de nombreuses usines, des comités populaires dans le but d’obtenir de meilleures conditions de travail et des augmentations de salaires, de lutter contre les restrictions et de combattre l’influence des syndicats à la solde de Pétain. Ces comités donnèrent naissance, dans certaines entreprises, dès la fin 1940, à des groupes de destructions et de sabotages. En octobre 1940, le PCF mit en place l’Organisation spéciale qui avait pour but la protection des militants, colleurs d’affiches, distributeurs de tracts, militants qui prenaient la parole dans les files de ménagères sur les marchés, l’organisation d’actions de sabotage du matériel de guerre Allemand, des câbles téléphoniques, la collecte des armes, la manipulation d’explosifs, etc….

Le PCF organisa, participa avec d’autres mouvements à la manifestation du 11 novembre 1940 à Paris. Fin mai, début juin 1941, le PCF organisa, dans le Nord et le Pas-de-Calais le plus grand mouvement revendicatif des années d’occupation. Elle fut animée par les communistes au premier rang desquels se trouvaient Auguste Lecœur. La quasi-totalité des effectifs du bassin minier, environ 100.000 mineurs se mirent en grève sur la base de revendications classiques d’augmentation des salaires et d’amélioration des conditions de travail. Les Allemands eux-mêmes durent organiser la répression pour faire cesser la grève. Des dizaines de supposés meneurs furent déportés.

Le 15 mai 1941, le PCF lança un appel à la constitution d’un Front national de lutte pour l’indépendance et la renaissance de la France. L’expérience de la clandestinité donna alors aux communistes une longueur d’avance sur les autres mouvements. Les moyens militaires des communistes étaient encore très faibles, notamment à cause du refus du BCRA, Bureau Central de Renseignements et d’Action, de lui remettre des armes. En août 1941, le Colonel Fabien commet le premier attentat symbolique contre un officier Allemand. Les communistes développèrent rapidement un mouvement de résistance armée, les Francs-tireurs et partisans Français, FTPF, furent dirigés par Charles Tillon. Ouverts aux non-communistes, les FTPF restaient toujours sous contrôle communiste. Il en fut de même du Front national, mouvement de résistance politique, organisé par profession.

Le maquis du Limousin, Haute-Vienne, qui fut dirigé par Georges Guingouin, fut l’exemple le plus significatif du développement du Parti dans certaines régions Françaises. Instituteur de 27 ans en 1940, Guingouin sitôt démobilisé réorganisa son ancien rayon communiste, et devint responsable de la Haute-Vienne dans le parti clandestin. Il prit le maquis vers le début de l’année 1941 à une époque où cette pratique n’était pas courante, ni chez les communistes, ni chez aucune mouvance de la Résistance balbutiante. Guingouin fut surnommé le «préfet du maquis» car il parvint à contrôler partiellement certaines zones de son secteur. En 1944, la Haute-Vienne était le département qui comptait le plus grand nombre de résistants armés, soit environ 8.000 hommes. Peu discipliné vis-à-vis de la direction communiste en zone sud représentée par Léon Mauvais, Guingouin reçu la capitulation sans conditions des forces Allemandes occupant Limoges, le 21 août 1944. Promu au grade de lieutenant-colonel FFI, Guingouin fut grièvement blessé dans un accident de voiture en novembre 1944. Par delà le cas particulier du maquis du Limousin, le Parti s’était surtout développé au sud, alors que la direction du Parti était au nord, tiré de l’Histoire du parti communiste Français.

L’engagement des étrangers joua un rôle primordial dans l’histoire du Parti pendant la guerre. De nombreux étrangers immigrés en France avant la guerre pour des raisons politiques ou économiques, étaient communistes. Les différentes sections des MOI, Main d’Œuvre Immigrée, seront regroupées par nationalité et ne dépendaient pas directement du parti Français. Ces groupes MOI particulièrement déterminés dans la lutte contre les Allemands, et contre le régime de Pétain ne leur laissait guère de choix en dehors de la clandestinité et de l’internement. A Paris, Joseph Epstein, alias colonel Gilles fut un responsable des FTP MOI. On lui confia également la responsabilité des combattants FTP de l’ensemble de la région parisienne où la formation de véritables commandos de quinze combattants permettant de réaliser un certain nombre d’actions spectaculaires, qui n’auraient pas été possibles avec les groupes de trois ce qui était la règle dans l’organisation clandestine depuis 1940.

De Juillet à Octobre 43, il y eu ainsi à Paris une série d’attaques directes contre des soldats ou des officiers Allemands. Ces commandos étaient de plus en plus constitués d’étrangers de la MOI. Le groupe de Missak Manouchian fusillé au Mont Valérien le 21 février 1994 en était le plus célèbre. Des maquis MOI ont également joué un rôle de première importance dans la zone Sud, par exemple pour la libération des villes de Lyon et de Toulouse.

La suite 60 sera la continuité de la Résistance intérieure.

Les références peuvent être consultées sur mon blog au Monde.fr