la révolution nationale suite, l’Ordre nouveau.

Le régime de 1940 est une bouffée d’oxygène pour l’église. Les catholiques y reconnaissent leurs idées «Travail, Famille, Patrie, ces trois mots sont les nôtres !» proclame le cardinal Gerlier au congrès de la Ligue ouvrière chrétienne. Pour la majorité des catholiques, Pétain fait rapidement figure d’homme providentiel et vénéré.

Les catholiques traditionnels n’ont qu’un souhait que Pétain répare les injustices encore cuisantes sur la laïcité de l’enseignement public des années 1880. La loi de séparation de l’église et de l’État de 1905 leur reste dans la gorge. La nouvelle gauche catholique qui scandalise les traditionalistes en dénonçant le capitalisme du laisser faire est encore plus hostile qu’eux à une république séculière. Mgr Delay évêque de Marseille qui parle au nom de la grande majorité des fidèles ne parvient pas à garder ses sentiments lorsqu’il dit à Pétain au cours d’une tournée triomphale, «Dieu par votre intercession Monsieur le Maréchal, travaille pour la France». Il ajoute «Voici que la voix d’un père et d’un chef s’est fait entendre. La France s’est dressée, dégagée du suaire de mensonge et de paresse qui cachait son vrai visage».

Mgr Dubois de La Ville Rabel, archevêque d’Aix, ne peut se retenir lui non plus, «Nous devons tous nous serrer sans hésitation autour de l’illustre maréchal. Reconnaître en principe et en acte le seul gouvernement légal de la France, c’est faire acte de bon Français. Ce serait un véritable crime, dans les circonstances actuelles, d’agir autrement, ou même de réserver son adhésion». Mgr Lausanier, directeur du séminaire des Carmes, fera savoir, le 4 février 1942, que «les Français doivent obéir à Pétain, non à de Gaulle».

Bien sûr, on pourrait penser qu’il s’agit là de folles initiatives individuelles et non de la position officielle de l’Eglise de France. Aucun de ces pétainistes enthousiastes ne sera pourtant invité par la haute hiérarchie catholique à se montrer plus modéré dans ses convictions. Au contraire. Elle fera d’ailleurs elle-même connaître sa position à l’issue de deux réunions des cardinaux et évêques, le 24 juillet 1941 pour la zone occupée et le 5 septembre pour la zone dite libre,

«nous vénérons le chef de l’Etat, et nous demandons instamment que se réalise, autour de lui, l’union de tous les Français. Nous encourageons nos fidèles à se placer à ses côtés dans l’œuvre de redressement qu’il a entreprise sur les trois terrains de la Famille, du Travail et de la Patrie, en vue de réaliser une France forte, unie, cohérente. Pour ce grand œuvre, nous leur demandons d’unir leurs efforts à ceux de leurs concitoyens», le blog de Floréal.

L’adhésion du catholicisme à Pétain ainsi qu’à la Révolution Nationale, dans la mesure où elle recoupe ses propres conceptions, s’explique d’autant mieux que l’Etat de 1940 brime les forces laïques et apporte à l’Eglise ses premières satisfactions tangibles. Il va de soi que peu d’ecclésiastiques s’avançaient à contredire le maréchal Pétain quand il lui arrivait de dire aux enfants qu’il rencontrait, «Allez à la messe, on n’y apprend que de bonnes choses», même si lui-même n’était pas un familier des églises. Lorsque le cardinal Gerlier lance en 1940,«Pétain, c’est la France et la France c’est Pétain», il ne se contente pas de traduire le sentiment populaire.

La tradition de l’Eglise est légaliste et la constitution démocratique du gouvernement, par une assemblée issue du Front Populaire, compta beaucoup dans l’appréciation des évêques. Mais la confiance manifestée n’est ni aveugle, ni inconditionnelle. «Nous voulons que, sans inféodation, soit pratiqué un loyalisme sincère et complet envers le pouvoir établi», déclara l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques le 24 juillet 1941.«Le respect dû à l’autorité ne demande pas que nous défions celui qui la personnifie», rappellera Mgr Feltin , réponses à quelques questions sur la lutte de l’église contre le nazisme.

Beaucoup d’historiens ont noté que dans l’entourage de Pétain, on trouvait toutes les droites et parmi celles-ci, des catholiques de toutes tendances, comme Xavier Vallat, proche de l’Action française et membre de la Fédération nationale catholique qui fut le premier secrétaire général aux questions juives ou Jacques Chevallier, universitaire et catholique traditionaliste disciple de Bergson qui fut secrétaire d’État puis ministre de l’instruction publique dès 1940. Pour Robert Aron lui-même personnaliste, la Révolution nationale prônée par Pétain s’inspire de deux tendances, l’une nationaliste, maurassienne, et l’autre, personnaliste.

Indépendamment de ces personnalités, marquées politiquement, l’État de 1940 de Pétain va rechercher avec un succès certain le soutien de l’Église catholique. Les soutanes se pressent autour du maréchal qui, en retour leur témoigne beaucoup de respect au point qu’on a pu parler d’un régime clérical à la Française. De nombreux prêtres participent aux diverses manifestations de la Légion française des combattants devenu l’organisation de masse du régime. François Valentin, l’un des principaux dirigeants de la Légion est un catholique reconnu, ancien dirigeant régional de l’Association catholique de la jeunesse Française. Si les divers courants catholiques sont bien représentés dans les sphères du pouvoir, ils ne seront jamais hégémoniques. On trouve aussi dans les gouvernements qui se succèdent au régime de 1940 des radicaux-socialistes, voire d’anciens franc-maçons tels Marcel Peyrouton, ministre de l’intérieur à partir de septembre 1940. Les deux premiers ministres, Pierre Laval et François Darlan sont tous deux complètement étrangers aux milieux catholiques.

Par contre, il y a communauté de vues entre la hiérarchie catholique et Pétain qui déclare le 25 juin 1940,

«L’esprit de jouissance a détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié. C’est à un redressement intellectuel et moral que d’abord je vous convie. Français vous l’accomplirez et vous verrez je vous le jure une France neuve sortir de votre ferveur».

Convaincu que l’Église peut aider au redressement moral qu’il envisage, Pétain est bien disposé à accueillir toutes les demandes qu’elle lui présentera.

Avec Pétain l’offensive du Vatican devient foudroyante, si les anticléricaux ont mis plus de cent ans pour priver l’église de quelques biens et de quelques privilèges en quelques mois celle-ci su reconquérir le tout, l’église et l’enseignement .

Les premières demandes concerneront les congrégations et l’école.

Sous la Troisième République, le mouvement anticlérical, s’il reste assez bienveillant envers le clergé séculier, mène une politique plus restrictive à l’égard des congrégations, qui se traduit notamment par des expulsions du territoire Français. La loi du 1er juillet 1901 soumet les congrégations au titre III de la loi, aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement, et elle sera soumise au contrôle des préfets. Cette loi imposait aux congrégations de demander une autorisation législative. Entre mars et juin 1903, la Chambre des Députés avait rejeté la plupart des demandes d’autorisation. De plus, la loi du 7 juillet 1904 interdisait l’enseignement aux membres des congrégations. En conséquence, 19 000 membres de congrégations ont dû quitter le pays.

Dans les années qui précèdent la guerre, de nombreux républicains souhaitent un rapprochement avec l’Église, mais aucune loi ne peut voir le jour avant 1940. Une des raisons pour laquelle l’État républicain est incapable de revenir sur la législation de 1901-1904 est qu’il se heurte inexorablement aux sénateurs, gardiens intransigeants des principes laïcs. L’expulsion en 1903 de 48 moines du monastère de la Grande Chartreuse est resté gravé dans les mémoires et a acquis un caractère symbolique. Le retour des trois premiers chartreux le 21 juin 1940 suit de près la nomination de Pétain comme président du conseil, et marque également les esprits, malgré la débâcle.

Ainsi, l’écrivain catholique Paul Claudel est ulcéré par la défaite de la France, mais voit d’abord une délivrance dans les pleins pouvoirs conférés par les députés à Pétain. Dressant dans son Journal un «état de la France au 6 juillet 1940», il met au passif la sujétion de la France à l’Allemagne, la brouille avec l’Angleterre «en qui seule est notre espérance éventuelle» et la présence au gouvernement de Pierre Laval, qui n’inspire pas confiance.

À l’actif, il met l’épuisement de l’Allemagne et de l’Italie, le gain de forces de l’Angleterre et un changement idéologique qu’il décrit comme suit, «la France est délivrée après soixante ans de joug du parti radical et anticatholique, professeurs, avocats, juifs, francs-maçons. Le nouveau gouvernement invoque Dieu et rend la Grande-Chartreuse aux religieux. Espérance d’être délivré du suffrage universel et du parlementarisme, ainsi que de la domination méchante et imbécile des instituteurs qui lors de la dernière guerre se sont couverts de honte. Restauration de l’autorité».

«Ce qui concerne les instituteurs est un écho d’une conversation de Claudel avec le général Édouard Corniglion-Molinier et Antoine de Saint-Exupéry, qui, selon Claudel, lui avaient parlé «de la pagaïe des troupes Françaises, les officiers, réservistes instituteurs lâchant pied les premiers».

Désormais, il est possible, par exemple aux Frères des Écoles chrétiennes de reprendre leurs activités d’enseignement dans leurs établissements, mais l’Église veut plus, en particulier, le règlement de tout ce qui concerne le patrimoine des congrégations. Elle voudrait également que les congrégations soient considérées comme de simples associations, ce qui les soumettrait à une simple déclaration. Des membres du gouvernement comme Peyrouton, ministre de l’Intérieur, reprennent alors l’argument classique contre les congrégations, la congrégation n’est pas une association comme une autre, le lien entre les membres de la congrégation est strict, ces derniers abandonnant tous les éléments au profit du groupe.

La congrégation relève d’une puissance étrangère, le Vatican. Et Peyrouton de préciser son objection, «on vient d’interdire les sociétés secrètes. Attention de ne pas entraver l’autorité de l’État en créant une exception». La crise politique qui voit le départ de Pierre Laval le 13 décembre 1940, élimine également Peyrouton, mais c’est l’éminence grise de Darlan, Henri Moysset qui prend le relais de Peyrouton pour défendre les intérêts de l’État, et il faut attendre le 17 avril 1942 pour voir l’abrogation de l’autorisation par le Parlement.

Une congrégation doit cependant être reconnue par l’État, c’est-à-dire, pratiquement par le Conseil d’État. Ce statut des congrégations a été conservé dans les décennies suivantes, mais dans l’immédiat, on assiste à une fronde des congrégations menée par le supérieur de l’Abbaye Saint-Pierre de Solesmes qui adopte une position maximaliste, refusant de faire la demande devant le Conseil d’État. De plus, le Vatican est défavorable à une disposition de la loi qui précise que la reconnaissance d’une congrégation est subordonnée à la résidence en France du supérieur de la congrégation. Finalement, à la Libération, il s’avère que la loi n’a pas été utilisée. Seules trois congrégations mineures ont obtenu la reconnaissance légale.

L’école,

tout Gouvernement soucieux, soit de fortifier l’unité nationale, soit d’assurer l’avenir de son pouvoir en inculquant à la jeunesse ses doctrines, doit mettre au premier plan de ses préoccupations l’éducation nationale. Ce souci est si grand dans les pays totalitaires que l’enfant y est spirituellement presque enlevé à sa famille, dans les autres nations l’État intervient sous les formes les plus diverses, tantôt il tend à établir une sorte d’école unique sous la direction de l’État, tantôt il répartit les subsides du budget entre les écoles d’État et les écoles privées, comme en Belgique, tantôt, il laisse coexister des écoles fonctionnant sous l’autorité des pouvoirs régionaux et des écoles entièrement libres, comme aux États-Unis.

Le Maréchal Pétain a été de tout temps très préoccupé de la formation de la jeunesse Française, en 1934 il en faisait l’objet d’un discours prononcé lors d’un dîner de la «Revue des Deux Mondes». Il adresse aux Français un appel relatif à l’éducation nationale, dont il a remis le texte à la «Revue des Deux Mondes», qui a eu l’honneur de le publier le 15 août 1940 sous une introduction de M. Albert Rivaud, de l’Institut, professeur à l’Université de Paris qui a été professeur du Maréchal Pétain à l’école de guerre. Il accepta du Maréchal Pétain sa nomination, après la défaite en juin 1940, au poste de ministre de l’Instruction publique avant d’être exclu du gouvernement à la demande des Allemands. M. Rivaud, alors à Poitiers, prit l’avion pour se rendre à Bordeaux et répondre à l’appel du Maréchal, malgré le grave état de santé qui, en d’autres circonstances, l’aurait contraint au repos. Ayant beaucoup, réfléchi sur le problème de l’enseignement, extrait le maréchal Pétain, l’esprit d’une éducation nouvelle.

Dès l’été 1940, l’épiscopat réitère auprès du nouveau gouvernement les demandes d’aide à l’enseignement libre pour lesquels des pourparlers avaient été engagés avec le gouvernement Daladier. L’enseignement privé, c’est-à-dire, pour l’essentiel, catholique, regroupe à cette époque 1 300 000 élèves. L’interlocuteur de l’épiscopat est alors Jacques Chevalier , responsable de l’Instruction publique au gouvernement qui fait paraître, dès septembre 1940, une série de lois et décrets.

* La loi du 15 octobre donne aux enfants des écoles privées le droit d’être secourues par la caisse des écoles.
* Quelques semaines après la fermeture des écoles normales d’instituteurs, le 6 décembre il est annoncé que les instituteurs doivent enseigner «les devoirs envers Dieu». Il s’agit en fait de sortir de l’ombre un vieux décret de 1923 qui n’avait jamais été suivi.
* Une loi du 6 janvier 1941 permet aux communes d’accorder des subventions aux écoles privées.
* Toujours le 6 janvier 1941, une autre loi introduit dans l’horaire scolaire l’enseignement religieux en option.
* Une loi du 22 février 1941 permet aux enfants de l’enseignement libre de bénéficier des bourses nationales.

Ces différentes mesures qui satisfont parfaitement l’épiscopat heurtent les sentiments des laïcs avec lesquels les gouvernements doivent aussi composer. Otto Abetz, ambassadeur nazi à Paris, trouve également les milieux de Pétain trop cléricaux. En février 1941, Darlan, nouveau premier ministre, agacé par les cléricaux de Pétain remplace Jacques Chevalier par Jérôme Carcopino, qui avait posé comme conditions à sa nomination l’abrogation des derniers textes législatifs. Malgré l’opposition de certains membres du gouvernement dont le garde des Sceaux Joseph Barthélemy, Jérôme Carcopino réussit à faire adopter la loi du 10 mars 1941 qui précise que l’instruction religieuse doit être donnée en dehors des édifices scolaires.

Les instituteurs ne doivent plus parler de «Dieu», mais des valeurs spirituelles.

La majorité des évêques est hostile au revirement du gouvernement, mais c’est pour l’octroi de subventions à l’enseignement privé que l’Église catholique de France dépense le plus d’énergie. Pétain enjoint à Carcopino de préparer une loi permettant cette subvention. Les négociations avec l’Église représentée par le cardinal Suhard, archevêque de Paris ne sont pas faciles, mais elles aboutissent finalement à la loi du 2 novembre 1941. En 1942, le gouvernement verse trois cent quatre-vingt-six millions de francs à l’enseignement privé. En 1943 la somme est augmentée de cent millions. Les budgets de 1942, 1943 et 1944 prévoient aussi une subvention pour les Instituts catholiques ainsi que pour trois facultés protestantes, Wikipédia.

Le discours du 15 août 1940 du maréchal Pétain sur l’éducation nationale, constitue le programme de la rénovation de l’enseignement.

Français,

Parmi les tâches qui s’imposent au gouvernement, il n’en est pas de plus important que la réforme de l’éducation nationale. Il y avait à la base de notre système éducatif une illusion profonde, c’était de croire qu’il suffit d’instruire les esprits pour former les cœurs et pour tremper les caractères. Il n’y a rien de plus faux et de plus dangereux que cette idée. Le cœur humain ne va pas naturellement à la bonté, la volonté humaine ne va pas naturellement à la fermeté, à la constance, au courage. Ils ont besoin, pour y atteindre et pour s’y fixer, d’une vigoureuse et opiniâtre discipline. Vous le savez bien, parents qui me lisez, un enfant bien élevé ne s’obtient pas sans un usage vigilant, à la fois inflexible et tendre, de l’autorité familiale.

La discipline de l’école doit épauler la discipline de la famille. Ainsi, et ainsi seulement, se forment les hommes et les peuples les plus forts. Une autre grave erreur de notre enseignement public, c’est qu’il était une école d’individualisme. Je veux dire qu’il considérait l’individu comme la seule réalité authentique et en quelque sorte absolue. La vérité, c’est que l’individu n’existe que par la famille, la société, la patrie dont il reçoit, avec la vie, tous les moyens de vivre. Il est aisé de le constater d’ailleurs. Les époques où l’individualisme a fait loi sont celles qui comptent le moins d’individualités véritables.

Nous venons d’en faire la cruelle expérience. C’était une grande pitié de voir, jusqu’à la veille de la guerre, nos journaux et nos revues tout pleins d’éloges de l’individualisme Français, qui est exactement ce dont nous avons failli mourir. L’individualisme n’a rien de commun avec le respect de la personne humaine sous les apparences duquel il a essayé parfois de se camoufler. L’École française de demain enseignera avec le respect de la personne humaine, la famille, la société, la patrie. Elle ne prétendra plus à la neutralité. La vie n’est pas neutre, elle consiste à prendre parti hardiment. Il n’y a pas de neutralité possible entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal, entre la santé et la maladie, entre l’ordre et le désordre, entre la France et l’anti-France.

L’École française sera nationale avant tout, parce que les Français n’ont pas de plus haut intérêt commun que celui de la France. Toute maison divisée contre elle-même périra, dit l’évangile. Nous entendons rebâtir la maison France sur le roc inébranlable de l’unité Française. Dans cette France rénovée, toute la riche diversité des vocations Françaises trouvera sa place et les conditions de son épanouissement. Nous maintiendrons, nous élargirons s’il se peut, une tradition de haute culture qui fait corps avec l’idée même de notre patrie. La langue Française a une universalité attachée à son génie. Ce n’est pas sans raison que nous nous sommes plu à donner au suprême couronnement de nos études le beau nom d’Humanités. Sœur cadette des Humanités, mais non moins riche de réalisations et de promesses, la Science libre et désintéressée occupera une place éminente dans la France nouvelle.

Fidèles à notre pensée décentralisatrice, nous décongestionnerons l’université de Paris pour faire de nos universités provinciales autant de puissants foyers de recherche, dont certains pourront être spécialisés. Et nous n’hésiterons pas à y appeler comme animateurs, aux côtés de la hiérarchie universitaire, les chercheurs originaux qui auront fait leurs preuves dans telle ou telle branche de la découverte. Nous favoriserons, entre nos savants et nos industriels, une coopération féconde et, sans abaisser le niveau de notre enseignement supérieur, nous nous efforcerons d’orienter dans un sens plus réaliste, la formation de nos ingénieurs, de nos médecins, de nos magistrats, de nos professeurs eux-mêmes.

Nous nous attacherons à détruire le funeste prestige d’une pseudo-culture purement livresque, conseillère de paresse et génératrice d’inutilités. Le travail est le partage de l’homme sur la terre, il lui est imposé par une nécessité inéluctable, mais tout l’effort des civilisations antiques avait tendu à affranchir de cette nécessité une race de maîtres, et à la transférer à une race d’esclaves. Il était réservé au christianisme d’instaurer le respect du travail et des travailleurs. Puisque les moins croyants d’entre nous se plaisent aujourd’hui à se réclamer de la civilisation chrétienne, qu’ils nous aident à rétablir dans notre peuple le sens, l’amour, l’honneur du travail.

C’est dans cet esprit que nous réorganiserons l’école primaire. Elle continuera comme par le passé, cela va sans dire, à enseigner le Français, les éléments des mathématiques, de l’histoire, de la géographie, mais selon des programmes simplifiés, dépouillés du caractère encyclopédique et théorique qui les détournait de leur objet véritable. Par contre, une place beaucoup plus large y sera faite aux travaux manuels dont la valeur éducative est trop souvent méconnue. Il faudra que les maîtres de notre enseignement primaire se pénètrent de cette idée, et sachent en pénétrer leurs élèves, qu’il n’est pas moins noble et pas moins profitable, même pour l’esprit, de manier l’outil que de tenir la plume, et de connaître à fond un métier, que d’avoir sur toutes choses des clartés superficielles.

De cette idée bien comprise et sérieusement appliquée, découleront d’importantes et bienfaisantes conséquences. Désormais, les meilleurs éléments de chaque classe ne seront plus prélevés, déracinés, orientés vers ce qu’on a appelé le nomadisme administratif. Les élites ne seront plus appelées et comme aspirées automatiquement par les villes. Chaque profession, chaque métier aura son élite, et nous encouragerons de tout notre pouvoir la formation de ces élites sur les plans local et régional. Les perspectives de la situation présente comportent un arrêt, sinon même un recul dans la voie de l’industrialisation à outrance où la France s’efforçait de rivaliser avec d’autres nations mieux partagées qu’elle, quant à l’abondance de la population ou la richesse des matières premières.

Nous serons ainsi amenés, d’une part, à restaurer la tradition de l’artisanat, où triompha pendant tant de siècles la qualité Française, d’autre part, à réenraciner, autant que faire se pourra, l’homme Français dans la terre de France, où il puisa toujours, en même temps que sa substance et celle de ses concitoyens des villes, les solides vertus qui ont fait la force et la durée de la patrie. Nous ne devons jamais perdre de vue que le but de l’éducation est de faire, de tous les Français, des hommes ayant le goût du travail et l’amour de l’effort.

Leur idéal ne doit plus être la sécurité d’un fonctionnarisme irresponsable, mais l’initiative du chef, la passion de l’œuvre et de sa qualité. Restituer dans toute leur plénitude ces vertus d’homme, c’est l’immense problème qui se pose à nous. La formation d’une jeunesse sportive répond à une partie de ce problème. Les projets actuels du ministre de la Jeunesse visent à rendre à la race Française, santé, courage, discipline. Mais le sport pratiqué exclusivement ou avec excès, pourrait conduire à un certain appauvrissement humain. La restauration de l’esprit artisanal fournira à l’action bienfaisante du sport un contrepoids et un complément nécessaires.

L’artisan, s’attaquant à la matière, en fait une œuvre, la création d’une œuvre artisanale demande un effort physique, de l’intelligence et du cœur, elle exige de l’homme, l’esprit de décision et le sens de la responsabilité. Elle aboutit à la naissance du chef-d’œuvre par où l’artisan se hausse à la dignité d’artiste. Mais si haut qu’il monte, l’artisan ne se détache jamais ni des traditions de son métier, ni de celles de son terroir. Nous l’aiderons à en recueillir les influences vivifiantes, notamment en donnant à l’enseignement de la géographie et de l’histoire un tour concret, un caractère local et régional qui ajoutera les clartés de la connaissance à l’amour du pays.

L’école primaire ainsi conçue, avec son complément artisanal, substituera à l’idéal encyclopédique de l’homme abstrait, conçu par des citadins et pour des citadins, l’idéal beaucoup plus large, beaucoup plus humain de l’homme appuyé sur un sol et sur un métier déterminés. Elle donnera aux paysans un sentiment nouveau de leur dignité. Nous y aiderons d’abord en leur attribuant la place qui leur revient dans la communauté national, et ensuite, en dotant le moindre village des installations modernes d’eau, d’électricité, d’hygiène, qui ont été jusqu’ici le privilège des villes, et qui permettront aux paysans d’adoucir et d’embellir leurs rudes conditions de vie.

Car la vie rurale n’est pas une idylle, et le métier de paysan est un dur métier qui exige toujours de l’endurance, souvent du courage, parfois de l’héroïsme. Mais de cela le paysan de France s’accommodera, pourvu qu’il sente cette fois qu’on lui rend justice. Le paysan de France a été assez longtemps à la peine, qu’il soit aujourd’hui à l’honneur. Mes chers amis, on vous a parlé souvent, depuis quelques années, de l’École Unique. L’École Unique, c’était un mensonge parmi beaucoup d’autres, c’était, sous couleur d’unité, une école de division, de lutte sociale, de destruction nationale. Nous, qui avons horreur du mensonge, qui voulons en toute circonstance vous dire la vérité, nous entreprenons de faire pour vous, pour la France, la véritable École Unique, celle qui, quels qu’en soient les maîtres, quels qu’en soient les programmes, sera animée d’un esprit unique, celle qui mettra tous les Français à leur place, au service de la France, celle qui, leur accordant toutes les libertés compatibles avec l’autorité nécessaire, leur concédant toutes les égalités compatibles avec une hiérarchie indispensable, les mêlant tous dans un grand élan chaleureux de la fraternité nationale, fera de tous les Français les servants d’une même foi, les chevaliers d’un même idéal, symbolisé dans ce mot unique, France. Les pages des «Livres de guerre».

La suite 42 sera sur l’éducation et la jeunesse, la famille, le retour à la terre.

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