Faux cul et nabot retors, Nicolas Sarkozy a renié son ami Zine Ben Ali, puis entériné le coup de force concerté de son continuateur, Mohammed Ghannouchi. Lequel, ou le président par intérim (en titre, provisoire ?) Fouad Mbazaa, tout aussi compromis avec le régime Ben Ali, honorera sans doute le contrat annoncé par Michèle Alliot-Marie portant sur des matériels de répression des émeutes et d’élimination physique des émeutiers.

Ce n’est donc pas à l’Hôtel de Ville de Paris, à l’Île Seguin ou à La Lanterne, la résidence de Nicolas et Carlita, que l’ex-président tunisien Ben Ali a trouvé refuge. Contrairement à sa belle-famille, les Trabelsi, bienvenus en France (du Sud-Est, pas trop loin de la frontière suisse, mais aussi au Castle Club du Dysneyland de Marne-la-Vallée, avec gardes du corps armés, au mépris du droit français…), Ben Ali a dû s’exiler chez les émirs saoudiens, nos clients et amis, et non pas chez notre autre ami, le roi du Maroc. Bah, les amis de nos amis restent nos amis, et si Nicolas Sarkozy n’a pas souhaité vexer ses électeurs et électrices d’origine tunisienne et les responsables religieux musulmans conformes aux vœux de l’ancien président qui viennent de retourner leurs vestons, le feu vert est donné au mandataire des familles Ben Ali et Trabelsi, Mohammed Ghannouchi.

Lequel, c’est sûr, va s’empresser dès ce matin de lever l’interdiction d’accès des Tunisiennes et Tunisiens à Come4News. Cela ne mange pas de pain. Pour les émeutiers, s’ils venaient de nouveau à s’en prendre à Carthage, aux beaux quartiers, aux marinas, aux centres commerciaux luxueux de la capitale ou des villes de villégiature, voire, pire, aux écrins des ambassades et consulats de Sidi Bou, le matériel français devrait faire la preuve de son efficacité. Taser et flash-balls dans les rues, discrets tirs aux mitrailleuses lourdes et depuis les tourelles des véhicules blindés antiémeutes au-dessus des fosses communes à l’écart : du moment que les apparences sont sauves… Qui tirera ? Les miliciens pilleurs se sentant abandonnés par Ben Ali et voulant donner des gages au nouveau pouvoir ? L’armée ? La police, y compris sur les miliciens des familles Ben Ali et Trabelsi ? Bah, vu de Paris, peu importe.

Remplacer Ben Ali par Ghannouchi, c’est un peu comme faire succéder DSK à Sarkozy. DSK ou un(e) autre… du même bord, des mêmes intérêts, des mêmes fournisseurs et sous-traitants. C’est le choix des mêmes. Pour que les affaires reprennent et se poursuivent comme avant.

Réaction de Khaled Hamida, de la fédération de l’Aveyron des Droits de l’Homme, au sujet de la France officielle : « le gouvernement a été ignoble ! Madame Alliot-Marie a osé dire que la France pouvait aider à maintenir l’ordre (…)Le PS n’a répondu que très récemment (…)Ben Ali a fui le pays : selon mes contacts en Tunisie, il a été aidé par la France qui lui aurait envoyé un avion Falcon. » (propos recueillis par Julie Polizzi, de La Dépêche du Midi).

Un Falcon ? Pas celui, présidentiel, surnommé « Carla One », le 7x, qui a valu une Légion d’honneur à son décorateur, quand même ? Peut-être le Falcon 10 qui véhiculait Éric Woerth, son épouse, Patrick Devedjian et Sophie Vanbremeersch, de l’UMP, lorsqu’il s’agissait d’aller collecter des fonds en Suisse pour l’UMP ? En tout cas, pas l’Airbus de la présidence, trop voyant.

En France, il n’y a eu que le MoDem (et encore, par la voix d’un second couteau), parmi les « grands » partis politiques, à condamner Ben Ali sans équivoque.

Bon, on verra comment se recasera l’ex-ambassadeur tunisien à l’Unesco, le collègue de Rama Yade. Mezri Haddad, cette excellence, avait, le jeudi 13 janvier, devant les complaisants micros de BFM TV, vanté le président Ben Ali, fustigé la presse, dénoncé la menace islamiste (hors du sud du pays, proche de la Lybie, elle a bon dos…), et les masses populaires fanatiques, ivres de sang et d’orgueil déplacé. Le vendredi 14, hier donc, il démissionnait et demandait l’arrestation des Trabelsi. Ce monsieur est docteur en « philosophie morale et politique ». C’est beau comme du Luc Ferry, du Bernard-Henri Levy ! Bertrand Delanoë, lui, a souhaité « un gouvernement d’union nationale » pour la Tunisie. Du passé, faisons table rase, reconstruisons sur des bases saines, et enquêtons doucement, doucement, sur la corruption, sans se presser, avec pondération, et surtout, sans trop révéler les divers bénéficiaires périphériques, tels sont les souhaits de la classe politique française dans sa quasi-unanimité.

Sur son blogue, Débat Tunisie, le caricaturiste tunisien _z_ a bien résumé la situation tunisienne. Certes, ce n’est pas Ghannouchi qui tient le rôle du Père Noël, car il est à peine plus connu réellement de la rue que les chefs de file d’une opposition (certains viennent d’être libérés) qui n’avaient pas vraiment droit à leurs photos dans la presse (Ben Ali était omniprésent, ses sous-fifres dans son ombre). L’opportunisme, l’espoir aussi d’obtenir un boulot, une autorisation, de pouvoir enfin survivre un peu plus décemment, feront que beaucoup de Tunisiennes et de Tunisiens courtiseront le nouveau pouvoir, quel qu’il soit. Tous les fonctionnaires proches du FMI vont pouvoir grimper d’un échelon. Un peu comme après le simulacre d’épuration vite édulcoré par un De Gaulle trop encombré par la Résistance française aux lendemains de la Libération.

Ceux que _z_ dénomme « les mauves » (la machine au service de Ben Ali et de tout successeur) « enfanteront rapidement d’un nouveau gourou qui leur permettra d’entretenir leurs petits privilèges », estime-t-il. Quitte, bien sûr, à en partager certains avec d’anciens opposants adoubés par Obama, Sarkozy et DSK. Quitte, évidemment, à favoriser un « islam modéré » (pour le pouvoir, sans doute pas pour les Tunisiennes), acceptable, convenable. L’Internationale des mauves, violacés, verdâtres ou cardinalices français, celle qui tente de soutenir encore Gbagbo comme celle qui courtise Ouattara en Côte d’Ivoire, saura encore une fois prendre le vent. Elle remettra sans doute, après un décent délai, un Sakhr El Materi (gendre de Ben Ali, époux de sa fille Nesrine, et patron de presse) en selle. On reverra Éric Besson en villégiature à Sidi Bou, Gammarth, et Carthage. Et puis tous les autres. Prenons dattes et… oseille.

Place de la République, à Paris, ce samedi 15 janvier, se tiendra un rassemblement unitaire de soutien au peuple tunisien. On verra s’il conviendra de scander « Ghannouchi, assassin, Sarkozy complice… ». Ce sera sans doute prématuré (ou prémonitoire ?). Un truc farce : faire la revue de la presse maghrébine… El Watan salue la chute « d’un des régimes les plus tyranniques d’Afrique du Nord » (l’autre, c’est lequel ?) et qualifie Zine Ben Ali de « Zinochet » (en référence au Chilien Pinochet). Et conclut : « vivement l’effet domino ! » (en douteuse référence au Vietnam : le Laos, vaguement communiste, vient de se doter d’une bourse de valeurs, la théorie des dominos ne s’est pas vérifiée). El Watan considère que « même en France, le pays protecteur du clan Ben Ali, des voix commencent à s’élever pour demander un changement en Tunisie. ». Liberté salue « le glas du système répressif nourri par la double logique sécuritaire et de corruption marqué par (…) une presse aux ordres et un degré extrême de verrouillage de l’espace public. ». Son éditorialiste, Djamel Bouatta, a soigné la « chute » de son papier : « Pour que la France se départisse de sa posture de soutien ferme aux locataires du palais de Carthage, c’est que le feu était dans la maison Ben Ali. ». La Tribune salue le peuple tunisien qui « s’est débarrassé d’un des tyrans qui a bafoué sa dignité. ». La Voix de l’Oranie n’établit pas de parallèle entre les émeutes d’El-Hamri et de Petit Lac et celles de Tunisie mais donne largement la parole aux chômeurs, déclassés et mécontents. Le Jeune Indépendant (libéral, proche des pouvoirs économiques), qui a fustigé les émeutiers algériens, regrette : « personne ne pense à l’autre catégorie de jeunes qui, dans l’anonymat, ont fortement contribué à éviter à l’Algérie l’escalade d’une violence destinée peut-être à la mettre au diapason de la Tunisie, sinon pire. ». Le Matin DZ (d’Algérie) titrait, vendredi, « Ben Ali s’engage à partir : et Bouteflika ? » : « Comme Ben Ali, la famille et les proches de Bouteflika ont pillé le pays (dixit l’ambassadeur de France in WikiLeaks) ; comme Ben Ali, Bouteflika a institué la corruption. Mais ses hommes sont mêlés à des scandales bien pires que ceux qu’on prête à Ben Ali. Les malversations commises par l’équipe Chakib Khelil se chiffreraient, à elles seules, à 52 milliards de dollars, selon une source de l’Energie, d’où la déclaration éloquente de Youcef Yousfi : “Les faits reprochés à l’ancienne équipe sont gravissimes”, » rapporte L. M., l’éditorialiste du Matin DZ qui prévoit que Saïd, le frère de Bouteflika, pourrait lui succéder. Halima G., dans l’édition de ce samedi, enfonce le clou du récent indéfectible soutien français à Ben Ali en citant Jacques Chirac, Frédéric Mitterrand, Michèle Alliot-Marie, et appelle carrément les Algériennes et les Algériens à se débarrasser de Bouteflika et des « imams incultes » qu’il favorise.

La presse makhzénienne (marocaine), celle de, par exemple, Kamal Lahlou (éditions de La Gazette), récipiendaire d’une médaille d’honneur décernée par Ben Ali, se montre fort prudente, à l’instar d’E-Marrakech ou de l’Agence Maghreb Arabe Presse (MAP). La Nouvelle Tribune titre : « Algérie, Tunisie, Maroc, comparaison n’est pas raison… ». Ben voyons ! Le Matin s’intéresse beaucoup plus à la nomination d’un premier ministre libanais qu’à la crise tunisienne. Le Soir a timidement commenté le communiqué de l’AMDH (Association marocaine des Droits de l’Homme) qui condamnait le régime tunisien. Mais le quotidien rappelle que Kamal Jandoubi, président du réseau euro-méditerranéen des Droits de l’Homme et du Comité pour le respect des Droits de l’Homme en Tunisie avait été décrété persona non grata en son royaume par Sa Majesté notre ami le Roi du Maroc. Souhayr Belhassen, de la Fédération internationale des Droits de l’Homme, compare certes Algérie et Tunisie dans Le Matin mais s’abstient prudemment de toute référence au Maroc. Le Temps reste factuel, reproduisant des dépêches d’agences étrangères.

La France, par la voix du ministère des Affaires étrangères, a démenti avoir reçu une demande d’accueil de Ben Ali et de sa famille. Accueil et aide, mise à disposition de moyens, ne sont pas forcément synonymes. Peut-être que la famille Ben Ali a compris que la France, sauf à grever encore plus considérablement sa dette, ne pouvait assurer la sécurité de ses déplacements et ceux, tout aussi fortement dispendieux, de la famille Sarkozy, et de surcroît recevoir somptueusement leurs amis communs, comme le président libyen Kadhafi (qui reste un soutien de Ben Ali) et sa suite. Et puis, comme le disait Michel Rocard, on ne peut accueillir toute la misère du monde… Imaginez accueillir tant les coptes égyptiens (environ huit à dix millions de personnes) qu’un futur Mohammed Hosni Moubarak déchu et les siens ? Moubarak, après 30 ans de pouvoir en Égypte (23 pour Ben Ali), a su offrir des boucs émissaires à la majorité de sa population, Ben Ali n’en avait pas sous la main. La grandeur, c’est souvent faire preuve d’ingratitude et d’indifférence aux souffrances des autres. De ce point de vue, la France reste un grand pays, et son président un grand président !