C’est vers 05:11, heure de Paris, ce mercredi 13 octobre 2010, que Florencio Avalos, mineur chilien emprisonné depuis près de 70 jours dans la mine du désert chilien d’Atacama, a été remonté parmi les siens. Des millions de spectateurs ont sans doute assisté en direct à cet heureux événement.

Alors que les chaînes de télévision chiliennes et du monde entier se trouvaient sur place, prêtes à diffuser en temps réel ou différé, après montage, les images du premier des 33 mineurs bloqués au fond d’une mine chilienne depuis 69 jours, il était aussi possible de visualiser les opérations en direct via l’Internet.
Prévisible, l’événement n’aura sans doute pas été aussi regardé mondialement que celui du 11 septembre 2001, lorsque les tours du World Trade Centre de New-York se sont effondrées. Il n’en restera pas moins marquant, dans l’histoire de l’audiovisuel, autant sans doute que l’agonie et la mort « en direct » (diffusion différée en fait) d’Omayra Sanchez, à Armero (Colombie), en 1985.

Il faut sans doute « marcher sur la Lune » (le 21 juillet 1969) pour mobiliser autant de téléspectateurs (et à présent de « webcam addicts ») de par le monde. Pour ma part, c’est un peu par hasard qu’en consultant le site de Reuters, la nuit dernière, j’ai été l’un de quelque 2 500 « voyeurs » de l’heureux événement. Lorsque Mario Sepulveda, le second rescapé, émerge de la capsule, ils ne sont plus qu’environ 1 800 sur live.reuters.com.

Le véritable héros de cette aventure humaine restera peut-être, dans les mémoires, pour un temps du moins, Jeff Hart, le foreur étasunien de Geotec Boyles Bros, qui, embauché pour creuser l’un des trois puits de secours, fut le premier à percer la cavité où s’étaient réfugiés les mineurs. Mais, sur l’instant, c’est Florencio Avalos. Dans quelques temps, ce sera sans doute le dernier rescapé ou le dernier sauveteur à émerger du puits (chaque navette remonte un mineur et fait descendre l’un ou l’autre des sauveteurs). Les images ont alterné chants des familles, discours de personnalités, visages radieux de mineurs émergeant de la roche sous les vivas.

Simon James Gardner, puis Terry Wade (RT, pour Reuters_tlw), sur Twitter, se sont relayés pour couvrir l’événement, tandis que les images d’une caméra vidéo fixe ou une autre, ou d’une caméra classique, étaient diffusées par Stephanie Ditta ou un autre membre de l’équipe de Reuters.

Rester « scotché » devant un écran d’ordinateur ou, peut-être, pour des téléspectateurs chiliens, devant un écran de télévision, est sans doute une formidable perte de temps pour toutes celles et ceux qui ne sont pas des proches des mineurs ou des sauveteurs. Photographe, aussi, qui n’a pas renoncé par avance à utiliser un jour une caméra vidéo, je ne suis guère rétif à l’audiovisuel. Reste que le primat de l’écrit me semble de nouveau affirmé par un tel événement.

C’est pourtant discutable. Dans le cas de l’agonie d’Omayra Sanchez, 13 ans, l’une parmi tant d’autres des fillettes et adolescentes ayant péri dans une catastrophe « naturelle » (autant, sans doute, peut-être, que les récentes coulées de boues toxiques en Hongrie), qui compta plus de 27 000 décès dans les jours suivant son déclenchement, l’image perdure plus durablement. Comme pour le séisme d’Haïti, le bilan, un ou deux ans après, a été ou sera sans doute beaucoup plus lourd. De l’exploration lunaire, l’« opinion » ne retiendra sans doute que des images : qui consultera encore, dans quelques années, les monts himalayens de la documentation technique et scientifique de l’époque ?

Fin juillet 1969, c’est sans doute dans un café en bordure de route andalouse, du côté de Jaen, qu’en compagnie de Don Spence, compagnon d’un périple méditerranéen en auto-stop, j’ai remarqué des images insolites sur un petit téléviseur. Non, ce n’était pas l’isolement qui rendait si peu stables et brouillées ces images d’un paysage lunaire. La suite, ce fut, pour nous, l’oubli temporaire, puis sans doute la consultation d’un document écrit ou d’un autre contestant la réalité de ces images (ou plutôt de leur localisation lunaire), d’autres opposant la conquête spatiale à d’autres objectifs humains et humanitaires (faim dans le monde, prévention des catastrophes, pollution…).

L’avance et le retour rapide ne remplaceront sans doute jamais le balayage d’une page par un regard. Encore ne faut-il jamais dire ou écrire « jamais » trop rapidement. Mais en tout cas, en l’état des techniques actuelles, s’informer reste synonyme encore de lire, autant et plus que d’écouter et voir. Je déplore notamment ces « infos » que sont les clips d’actualité non accompagnées du verbatim transcrit (ou du résumé) de ce qui a été prononcé ou donné à voir. L’écoute, le visionnage, sont fastidieux, dispendieux en temps et attention. Même si, même si, c’est indubitable, une expression, un geste, peuvent en « dire plus long » que la phrase qui les accompagne.

Après la catastrophe « naturelle » due à la rupture d’une plateforme pétrolière dans le golfe du Mexique, sous la pression des compagnies liées à l’exploration pétrolière sous-marine profonde, le moratoire imposé par le gouvernement américain vient d’être levé. Il devait ne l’être que courant novembre prochain, mais des échéances électorales ont sans doute hâté la décision. Les conséquences sont sans doute difficiles à « mettre en images » jusqu’à… la prochaine avanie ou catastrophe. Il en est et sera sans doute de même pour les conditions de travail des mineurs sud-américains, ou russes, ou asiatiques.

 

Dans la presse écrite imprimée, de plus en plus, le texte « accompagne » l’image. Dans la presse en ligne, le texte tend parfois à « seconder » brièvement, sommairement, l’image animée. Ce n’est pas général, et Mediapart par exemple, est l’un des sites d’information ayant – enfin – réalisé que la lecture à l’écran ne devait pas être un calque de celle des tabloïdes (au sens des premières éditions d’USA Today ou de News of the World, aux contenus pourtant très différents).

 

La profusion des images fixes ou animées ne représente sans doute pas un « danger » majeur (l’augmentation du temps de cerveau disponible pour la publicité explique peut-être le fléchissement de la participation aux manifestations ouvrières ou citoyennes depuis plus d’un quart de siècle, mais n’en exagérons pas les conséquences). La profusion du discours, sémiologique ou autre, sur le phénomène, est sans doute redondante et peu, en définitive, utile. Mais un petit rappel des « faits », par écrit, n’est pas inutile.

Admirons la sobriété de la dépêche de Gaël Favennec, intitulée « Chili : deux des 33 mineurs bloqués remontés sains et saufs ». « Mine San José – Deux des 33 mineurs bloqués sous terre depuis 68 jours au Chili ont été remontés sains et saufs (…) mercredi matin alors que les opérations de sauvetage se poursuivaient… ». Selon sa dépêche, plus de 2 000 journalistes seraient présents pour cet événement dont, finalement, le résumé tient en deux-trois lignes. L’actualité heureuse fait encore recette, et on peut s’en réjouir. Nécessite-t-elle vraiment une déflagration d’images ? Ce n’est pas qu’un questionnement philosophique, c’est aussi une question d’économie. De mots aussi. Assez écrit…