En France, on a commencé à entendre parler du Daily Show en 2004, lors des élections présidentielles américaines. L’engouement pour cette émission de satire politique avait alors fait l’objet de plusieurs articles dans la presse française. Il faut dire que cette période de forte actualité lui avait permis de se faire remarquer en se moquant tant des candidats que du traitement médiatique de la campagne.


Cela fait plus de onze ans maintenant que Jon Stewart présente cette émission. Chaque soir, du lundi au jeudi, il passe en revue l’actualité en présentant de nombreux extraits des journaux télévisés des networks ou des chaînes d’informations en continue pour donner aux téléspectateurs son interprétation personnelle. Il est aidé pour cela par des correspondants, en fait d’autres humoristes qui se font passer pour des reporters au courant de toutes les subtilités de l’actualité américaine ou internationale. Par exemple, lorsque l’administration Bush refuse de reconnaître le génocide arménien pour ne pas mécontenter les alliés turcs des Américains, un correspondant intervient "en direct de la maison blanche" pour expliquer la politique présidentielle : d’après lui, l’Histoire est jugée à l’aune des intérêts du présent, et lorsque l’Espagne a rejoint la coalition américaine en Irak, elle obtint le droit de voir son inquisition rétrogradée au rang "d’interrogatoires ordinaires".

Dans la dernière séquence de l’émission, il reçoit un invité, qui est bien évidemment là pour faire la promotion de quelque chose. Généralement, ce sont des stars de cinéma qui présentent leur dernier film ou des écrivains qui présentent leur nouveau livre, mais on y a croisé régulièrement des personnalités politiques telles que Barack Obama ou John McCain, qui cherchaient avant tout à faire leur propre promotion dans le cadre de la dernière élection présidentielle. Plus rarement, on y voit d’anciens chefs d’Etat (Bill Clinton, Jimmy Carter ou Vincente Fox) lorsqu’ils ont eux aussi un livre à vendre, mais des chefs d’Etat en exercice y sont également passés, comme Evo Morales lors de son passage à une assemblée générale des Nations Unies, ou même Pervez Musharraf, venu lui aussi vendre un livre au public américain dans une séquence presque irréaliste.

L’émission ne cache pas avoir un penchant certain pour les démocrates en prenant comme cible de choix l’administration Bush. Cela se traduit souvent par l’intervention d’un "correspondant" qui répondra à des questions naïves de Jon Stewart en caricaturant les positions de la cible du jour dans de grands moments d’ironie. Le procédé a été poussé plus loin lorsque l’un des correspondants, Stephen Colbert, a obtenu sa propre émission diffusée immédiatement après le Daily Show depuis cinq ans. Dans son Colbert Report, Stephen Colbert joue au pundit, l’un de ces commentateurs apparaissant fréquemment sur les chaînes américaines, ayant un avis sur tout.

Il parodie particulièrement ceux de la chaîne conservatrice Fox News, et en premier lieu la star de celle-ci, Bill O’Reilly. Ainsi, dans chaque émission il reçoit un invité, et si celui-ci énonce des idées libérales (au sens américain, c’est-à-dire pro-gays, anti-créationnistes, anti-guerre en Irak par exemple), alors il se fera fort d’user d’artifices rhétoriques tirés par les cheveux pour désarmer son adversaire du jour. En revanche, si son invité est plutôt républicain, il abondera dans son sens en renchérissant avec des arguments grotesques.

Mais en plus de délivrer quotidiennement aux téléspectateurs la pensée conservatrice jusqu’à l’absurde du personnage qu’il interprète, Stephen Colbert passe une grande partie de son émission à nourrir sa joyeuse mégalomanie, appelant par exemple le public à voter sur internet pour qu’un pont hongrois porte son nom, en se mettant en scène en héros de science-fiction dans un dessin animé ou en lançant une campagne d’information sur les dangers encourus par les poignets après qu’il se soit cassé le sien sur le plateau. Il avait par exemple transformé la sortie son livre I am America (and so can you) en grand événement, quitte à défier publiquement l’économiste démocrate Paul Krugman sur celui qui vendra le plus en libraire.

Face à ces deux émissions qui s’en prennent chacune sur un mode différent aux républicains, Fox News avait cru bon de répliquer en lançant sa propre émission d’actualité décalée, une copie républicaine du Daily Show intitulée The Half Hour News Hour. Seulement, en s’en prenant directement aux démocrates au premier degré, l’humour n’est pas vraiment au rendez-vous. L’émission était en revanche vraiment douteuse lorsqu’elle ironisait sur le fait que tous les terroristes ont des noms à consonances arabes alors que l’Islam est censé être une religion pacifique.

Toutes ces émissions aussi orientées politiquement sont permises par le fait qu’aux Etats-Unis, la liberté d’expression laisse la possibilité aux programmes télévisés d’être clairement partisanes. En France, ce qui s’en rapprocherait le plus serait le journal de Groland, plutôt dans sa forme initiale lorsqu’il passait dans Nul Part Ailleurs. Evidemment, l’orientation politique des auteurs de Groland n’a pas d’équivalent aux Etats-Unis, vu que la gauche française ne se retrouve nulle part outre Atlantique. Mais lorsque les Français arrivent à produire une demi-heure d’émission par semaine, Comedy Central, via le Daily Show et le Colbert Report, diffusent une heure d’émissions satiriques chaque jour.

L’accès de ces émissions américaines était malheureusement limité pour le public français amateur d’humour politique américain. Autrefois, Canal Plus diffusait chaque jour le Daily Show avec des sous-titres sur Canal Plus décalé le lendemain de sa diffusion américaine. Mais depuis la fin de la présidentielle, seule la "Global Edition", une sorte de Best of hebdomadaire, est diffusé chaque semaine. C’est le samedi matin à 7h25, mais c’est en clair sur Canal Plus. Si l’on se tient un minimum informé de l’actualité intérieure des Etats-Unis, cela vaut vraiment le coup. L’accès aux émissions intégrales de ces deux programmes est malheureusement limité en France. Leurs sites internet respectifs bloquent l’accès à l’émission complète aux non-Américains. C’est dommage. Peut-être faut-il attendre l’arrivée d’une "Global Edition" pour le Colbert Report également ?