Ils sont moins laids que les Ramones, plus arrogants que les Stooges et ils sont la nouvelle scène rock parisienne. Alors que l’on se presse candidement (ou non) pour les voir créer du son, une femme qui pourrait être leur grand mère s’interroge. Leur titre « Tu te trompes » est un tube. Mais nous ont-ils trompés ?

 

Dans les yeux de Marguerite brille une lueur d’intense désespoir, mais elle est la seule à savoir, à sentir, que ce désespoir n’est en réalité qu’un rempart contre la résignation. Marguerite a 54 ans, c’est une très belle femme à qui l’âge a épargné les rides mais pas la sagesse de ceux qui ont tout vécu. Elle a crié et pleuré au festival de Woodstock, en 1969, lorsque Jimi Hendrix a brandi à la face du monde un hymne américain lacéré par les hurlements et les sanglots de sa guitare, déluge sonore subversif alors que le pays s’enlisait dans le bourbier de la guerre du Vietnam. L’estomac noué, elle a refusé de terminer son assiette lorsqu’elle apprit, en 1979, la mort de Sid Vicious. Et en 1994, fatiguée mais sensible, elle a à nouveau versé une larme en songeant qu’il allait falloir beaucoup de force d’esprit à la génération plus jeune, plus fraîche mais aussi plus démunie que la sienne pour surmonter la perte de Kurt Cobain.

 

Aujourd’hui Marguerite n’a plus de larmes, ses yeux sont secs mais elle veut croire que son cœur ne l’est pas, et elle écoute encore parfois Jim Morrisson lui confier quelques uns de ses rêves, elle aime encore l’énergie virile d’Iggy Pop, et la fragilité de Brian Wilson. Elle se sent toujours plus libre après s’être enivrée de la voix de Lou Reed, et la solitude n’existe plus lorsque David Bowie lui promet « You’re not alone ! ».

Mais Marguerite voit le temps qui passe et la dépasse, et Marguerite sait que les meilleurs moments de sa vie sont très loin derrière. Et elle a peur de les oublier.

Marguerite n’a pas trouvé une allure particulièrement déplaisante aux quatre garçons de Naast lorsqu’elle les a découverts en couverture du magasine Rock&Folk, en février 2007. Elle les a même trouvés plutôt captivants, beaux et provocants.

Elle a décidé d’écouter leur musique.

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Et désormais Marguerite sait que tout est fini. Marguerite sait que les 60’s sont dans son âme et nulle part ailleurs, elles sont passés comme un rêve, d’ailleurs elles n’ont jamais été qu’un rêve.

Mais Marguerite sait aussi que jamais Gustave, Laka, Clod et Nicolas, les quatre garçons de Naast, n’auraient été de taille à monter sur scène face à sa génération, que jamais elle n’aurait pu tolérer d’entendre cette voix, doucereux hybride entre un Dany Brillant avant sa mue et un Dick Rivers avec un chat (sauvage) dans la gorge, déblatérer niaiseries informes et déclarations de collégien lobotomisé sur fond de riffs approximatifs.

Ce n’est pas du rock, ce n’est pas du punk, ce n’est pas de la pop. S’ils aiment se comparer aux Beatles, ces quatre-là ne sont pas pour autant dans le vent, c’est leur musique qui passe dans le vent.

La langue française, qui a montré à moult reprises qu’elle était difficile à apprivoiser pour le rock (mais pas impossible), est ici ridiculisée, humiliée, elle sonne comme un mauvais slogan de poissonnier. Inutile de reprocher aux membres de Naast le rayonnement de leur physique flatteur qui, à ce que l’on sache, n’est pas une insurmontable tarre, ni le fait que le père de Gustave soit critique rock. Inutile de parler de copinage ou de pistons, le vrai problème des Naast est qu’ils sont mauvais, effroyablement mauvais.

Marguerite soupire, mais songe qu’il est encore temps pour la génération de sa petite fille de réinventer le rock. Après tout, il y a seulement dix ans, en février 1997, ce n’était pas Naast mais David Bowie à qui Rock&Folk offrait la couverture…