Sarah Fouquet, alias « Presse papier », talentueuse dessinatrice de Bakchich se voit un peu « désavouée » par l’actualité. La Cour de Justice de la République, si elle est un jour saisie du cas d’Éric Woerth, ne s’intéressera plus qu’à la seule remise de la Légion d’honneur à Patrice de Maistre, mais à tout un ensemble de faits, et c’est fort bien ainsi. En revanche, il appartient désormais à Philippe Ingall-Montagnier, du parquet de Versailles, de « désavouer », partiellement ou totalement, Philippe Courroye, patron de celui de Nanterre.

Si Éric Woerth n’avait que pour seule gamelle des interventions pour et remises de distinctions, dont la plus haute, la Légion d’honneur, il aurait sans doute pu être admonesté par la Cour de Justice de la République. Le procureur près la Cour de cassation en a estimé autrement. Il aurait sans doute pu obtenir le dossier relatif aux décorations et risquer de faire passer à l’as tout le reste. En suggérant publiquement à Philippe Ingall-Montagnier, du parquet de Versailles, superviseur de celui de Nanterre, de demander la désignation d’un magistrat instructeur, Jean-Louis Nadal n’a sans doute pas renoncé définitivement à voir Éric Woerth comparaître aussi devant la Cour de Justice, ultérieurement. Mais la voie serait auparavant ouverte à d’autres procédures, d’autres comparutions… si, si, et seulement si soit Philippe Courroye finissait par « incrimer » Éric Woerth, ou si un magistrat instructeur, plus indépendant de la Chancellerie, était nommé.

 

Un Versaillais désignait, du temps de la Commune de Paris, tout représentant (fonctionnaire, militaire, magistrat…) du gouvernement d’Adolphe Tiers, réfugié à Versailles. Chantera-t-on, sous les fenêtres de Philippe Ingall-Montagnier la chanson de Jean Édouard ? C’est « l’hiver des collabos, des faux républicains… Sarko tue la Répu en un sombre carnage… ». Ne pas conclure à la nomination rapide d’un juge d’instruction, ce n’est pas forcément épauler indéfiniment le procureur Courroye, et les quolibets ou sous-entendus ne sont pas encore, en automne, d’actualité.

 

Toute l’opposition, FN inclus, une fraction notable de la presse, et les diverses associations d’élus ou de citoyennes et citoyens voulant lutter contre la corruption, comme TI France, section française de Transparency International, réclament, dans les affaires Woerth et consorts, des enquêtes « conduites en toute indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. ». Certains ne veulent pas préjuger des intentions du juge Courroye, mais d’autres, largement majoritaires, tout comme Eva Joly ou Edwy Plenel ou Ségolène Royal, réclament à cor et cris la désignation d’un magistrat instructeur.

 

Le procureur Courroye aurait pu fort bien répondre immédiatement à la sollicitation de Jean-Louis Nadal. Il en a décidé autrement. Techniquement, cela limite certains pouvoirs d’investigation et en facilite d’autres. Cela empêche que les avocats de la défense se voient communiquer des renseignements sur les enquêtes. L’association Anticor, qui rassemble des élus opposés à la corruption dans la fonction publique (l’élective en particulier), n’est pas vraiment appréciée des dirigeants des divers appareils des partis. Elle organise un rassemblement le 5 octobre devant l’Assemblée nationale. Ce pour exiger « la création d’une instance de surveillance citoyenne pour interdire les conflits d’intérêts. ». Le pôle économique d’Anticor, baptisé Cleanstream en référence aux affaires Clearstream, veut réunir des magistrats (le juge Éric Halphen est président d’honneur de l’association), mais aussi des citoyens, et appuie la coalition Alter EU pour « l’encadrement et la réglementation éthique du lobbying. ». Anticor prend aussi position contre le cumul des mandats des élus. L’association préconise, avec pour porte-parole officieux fréquent Corinne Lepage, la saisine d’un juge d’instruction. L’un des critères de la sincérité des élus de tous bords en ces divers domaines consiste à répercuter ou non l’action des associations citoyennes.

 

Toujours dans le cadre, cette fois élargi, du Woerthgate, il a été divulgué ce mardi matin que David Sénat avait été placé en garde à vue. C’est l’informateur présumé d’une partie de la presse sur le Woerthgate mais il n’est entendu que sur l’affaire Visionex (bornes Internet pour paris clandestins). Le saucissonnage des enquêtes est parfois bien commode : il donne l’illusion que des investigations sont menées sur le Woerthgate global ou sur son volet Bettencourt, mais il retarde sans doute plus qu’il n’accélère l’appréhension générale de l’ampleur du Woerthgate. Cela étant, David Sénat sera peut-être porté à orienter les enquêteurs sur les divers liens unissant les protagonistes des sociétés de paris en ligne avec d’autres intervenants au ministère du Budget. Serait-ce si « hors-sujet » ? On verra bien ce qui « fuira » ou non de cette garde à vue.

 

Il reste qu’Éric Woerth a pu se montrer serein : « c’est à la justice de s’organiser comme elle le souhaite… », a-t-il déclaré. Pour l’instant, on ne l’a pas vue empressée de s’intéresser de plus près aux déplacements des ministres et aux contrats de Carlson WagonLit. L’affaire des billets d’avion d’Éric Besson et de son épouse, soulevée par Bakchich, voire celle de l’hébergement du couple, aurait pourtant l’avantage, pour Éric Woerth, de détourner l’attention… Là aussi, la sincérité des protagonistes et de celles et ceux qui réclament haut et fort une justice plus indépendante trouve une pierre de touche. Pour le moment, on n’a guère vu la presse se lancer dans des investigations approfondies. Le Canard enchaîné daté de demain, mercredi, qui sera acheminé dans les principales rédactions ce mardi soir, changera-t-il la donne ? Suspense… Relevons aussi incidemment que Michel Delpuech, préfet de la région Picardie, ancien dircab’ de Michèle Alliot-Marie à l’Intéreur, a été entendu en tant que témoin dans cet affaires de bornes de paris chez des cafetiers-limonadiers. Tiens donc, pourquoi ? À suivre.