Fils d’un médecin de Creil (Oise), spécialisé dans le BTP, Éric Woerth va-t-il rester celui qui a fragilisé la médecine du travail ou qui l’a (ré)confortée ? Sur ce point, les avis sont partagés…


Pendant qu’Éric Woerth jouait les paravents de Nicolas Sarkozy, Raymond Soubie, et des autres conseillers présidentiels issus de la « bancassurance » devant les parlementaires, et était invité à s’exprimer sur les régimes de retraites, une autre partie se disputait en commission de l’Assemblée nationale.

 

Il est des signes anodins qui valent prémisses et présages. La première publicité Google associée à une dépêche de l’AFP, reproduite intégralement par Google, sur la réforme de la médecine du travail, vantait les mérites d’une « assurance séniors ». Cette réforme de la médecine du travail est aussi dictée par les circonstances « démographiques ». Les trois-quarts de ces médecins spécialistes sont actuellement âgés de plus de 50 ans. De plus, cette spécialité serait devenue de moins en moins attractive : on le comprend, la spécialisation en chirurgie réparatrice est bien plus lucrative…

 

Je ne veux pas m’instituer expert en un domaine dont je ne connais que ce que peut m’en dire un copain de bistrot médecin du travail : avec Jean, de plus, nous nous retrouvons de moins en moins souvent au Bab’Ilo (rue du Baigneur, Paris, il ne sera pas dit que les seuls établissements de soins pouvant se payer une publicité Google aient droit à de la réclame en ligne). Et puis, qui que vous soyez, cela vous concerne, vous ou vos proches (enfants, connaissances…). Vous pouvez donc prendre la peine de vous renseigner par vous-mêmes, en consultant par exemple l’entrée de Wikipedia. La médecine du travail a procédé à son autodiagnostic, mais vous pouvez le faire en « sauvage ». Pour vous seconder, voici juste quelques réflexions anodines.

 

La réforme prévoit de revaloriser les compétences des infirmières du domaine « santé-travail » et de déléguer certains actes paramédicaux à des secrétaires médicales qualifiées. De plus, pour certaines professions, des médecins généralistes pourraient, après une « formation continue », se substituer aux spécialistes regroupés dans des cabinets associatifs interentreprises. Je résume, bien sûr. Bah, pourquoi pas ? Sauf que les médecins du travail ne pouvant prescrire, ne comptez pas sur la secrétaire pour vous renouveler une ordonnance que l’imprimante de votre médecin traitant vous débite automatiquement de manière routinière.

 

De toute façon, pour de très nombreuses professions dont les spécificités sont mal connues, voire très peu étudiées par la médecine du travail, on pourrait penser que les connaissances d’un généraliste sont amplement suffisantes. C’est un peu comme au Pôle-Emploi. Si vous n’arrivez pas à vous rattacher au CNRJ (Centre national de reclassement des journalistes, annexe du Pôle-Emploi), difficile de trouver une interlocutrice ou un interlocuteur au fait de la multiplicité des postes, des emplois du temps (travail de nuit en secrétariat de rédaction des quotidiens, en chronique radio, &c.), des fonctions, et des risques non pas du, mais des métiers. Question pénibilité de l’emploi, on trouve un peu de tout. Il y a le « stress » de l’envoyé spécial, celui du redchef-sec’ de rédac’-rédacteur spécialisé et téléphoniste-homme d’entretien de TPE qui, en bouclage, peut rester éveillé plus de 48 heures d’affilée. Mon record, 72 heures, avec pauses de 15 à 20 minutes sur le matelas disposé sur le sol de la « direction », soit le bureau voisin ; le maquettiste, DA et DC, chef de fab’ tout à la fois, en piges, préférait aller prendre l’air. C’était un environnement mixte, très peu fumeur (une seule fumeuse sur quatre présents), mais j’avais vécu la même chose en 24 heures d’exposition à un nuage de fumée « plafonnant » au niveau des chevilles des présents, dont celles d’une équipe de mise sous bandes de routage vers la fin de l’épreuve.

 

Pendant des années, j’ai bénéficié d’une mutuelle de groupe, pendant autant d’années, je me suis passé de toute mutuelle, et pour les pigistes, la médecine du travail en TPE, c’est souvent, à leur seul gré, le check-up gratuit de la Sécurité sociale en centre agréé, tous les cinq ans environ. Devenu chauffeur-livreur à l’international pour un temps, je partais pour parfois plus de 50 heures, alternant conduite et sommeil avec le « copilote », sans avoir jamais vu un médecin du travail. Ni d’ailleurs un généraliste.

 

La médecine du travail est en fait réservée aux salariés des très grandes entreprises, qui disposent d’équipes sur le lieu de travail ou au siège, ou dans les grosses unités, et aux salariés permanents des PME. Pour les TPE, les travailleurs dits « indépendants » (pensez : précaires), et tant d’autres, c’est à l’occasion le dispensaire. Sauf à résider dans l’agglomération grenobloise, en pointe un temps en la matière, le dispensaire ou le centre médical, cela se fait rare.

 

Quant aux auto-entrepreneuses (et « preneurs », souvent malgré eux, du statut), la médecine du travail, c’est l’expert de la « mutuelle » (connaissez-vous encore une mutuelle qui soit vraiment toujours mutualiste au sens que lui donnaient ses fondateurs ?), ou de la compagnie d’assurances privée. Car il y a parfois quelque « délai de carence » dans la couverture sociale, et comme par hasard, l’expert de la compagnie a une interprétation beaucoup plus drastique des résultats d’analyses et d’examens que le généraliste traitant ou le spécialiste consulté régulièrement par besoin.

 

Sébastien Crépel, de L’Humanité, sous le titre « Mauvais coups en série en commission », conclut un (trop) court article – même L’Huma ne « barbe » plus son lectorat avec des dossiers techniques – par ce passage : « la commission n’a pas oublié le coup de pouce supplémentaire en faveur de l’épargne retraite selon les souhaits de la Fédération française des sociétés d’assurances. ». Il poursuit en citant Martine Billard (Parti de Gauche) et Roland Muzeau (PCF), députés, qui estiment : « le lobbying a bien fonctionné puisque serait fait obligation à tout salarié d’adhérer au plan d’épargne collectif [de] son entreprise » et que le passage en force, par décrets, de la réforme de la médecine du travail marque son « démantèlement » et la « mise sur orbite » de la retraite par capitalisation.

 

Rhétorique stalino-gauchiste ? Ben voyons. Le dossier est certes plus complexe. Mais de la même manière que la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot-Narquin, n’est depuis l’origine que la supplétive de groupes de pression, et que les vrais ministres en exercice sont, à mon « autonome » avis, Denis Kessler et François Ewald, on peut se demander Éric Woerth est bien le véritable ministre du Travail depuis son accession à ce portefeuille. Tout n’est pas à jeter dans la réforme de la médecine du travail, qui a peut-être servi de prétexte au patronat pour distribuer des enveloppes (affaire des retraits de fonds en numéraire de l’Union des industries et métiers de la métallurgie, syndicat patronal). Par le gros bout de ma lorgnette, je décèle cependant des bacilles d’effets pervers… pour les salariés et la santé publique. Mais aussi des virus bénéfiques pour le secteur privé, favorisant les bactéries du profit.

 

Faire sauter ou fortement élargir le numérus clausus, inciter les médecins étrangers employés comme infirmiers ou infirmières (voire aides-soignants) en France à s’orienter vers la médecine du travail, serait peut-être aussi une piste pour palier la démographie déficitaire de la médecine du travail, non ? Comme pour les députés et sénateurs qui doivent être grassement rétribués pour ne pas céder à la tentation d’être « vendus » à des groupes de pression, on pourra arguer que ces médecins seraient un peu trop sensibles aux diktats des employeurs. Sans doute pas davantage que les médecins du travail employés par les fournisseurs d’amiante…

 

Tiens, au fait, L’Est Éclair rapporte que les éts Kesslick, de Chalette-sur-Voire, spécialisés dans la découpe de viandes, sont en liquidation judiciaire. Leur patron, Gilles Massenet, invoque « deux départs de salariés déclarés inaptes par la médecine du travail et dont il a fallu régler les indemnités. ». Le soutien des banques a aussi manqué lorsqu’il a fallu honorer un gros contrat. Des banques pourtant recapitalisées sans rechigner, non ?

 

Les multiples aspects du Woerthgate ne se limitent pas aux volets Bettencourt ou Légion d’honneur. Pour Le Figaro, la pénibilité au travail est une « notion complexe ». Les remèdes ne seraient-ils pas trop simples en regard ? Ce n’est pas seulement pour des raisons « objectives » que les ouvrières et ouvriers ont une espérance de vie inférieure (de six ans par rapports aux cadres et notaires ou huissiers).

 

Aux Forges de Strasbourg, j’ai évité d’être enchaîné, au sens premier, à la machine à découper (les poignets de cuir reliés aux chaînettes étaient réservés aux ouvrières). J’étais soumis avec parcimonie contrôlée, aux soubresauts du sol en béton quand retombait la masse de l’emboutisseur des plus grosses pièces. Mais je ne considérais pas cet emploi d’OS comme une fatalité inéluctable et durable. De même, nettoyant des fûts de produits toxiques sans aucune protection en Angleterre, je ne me suis pas senti rongé par l’angoisse de tomber malade. J’avais, aussi, d’autres préoccupations, d’autres espoirs. L’article de Pauline Fréour, du Figaro, évoque bien sûr les dépressions, et les cancers (consécutifs peut-être de dépressions), découlant, bien après la cessation d’activité, d’un travail de nuit prolongé. J’ai travaillé posté, tant dans une usine de blanchiment qu’au « mettage » en presse quotidienne ou en agence de presse. En agence, je croyais profiter du temps libre pour de multiples choses, et au bout du compte, hormis des bidouillages informatiques et des maquettes en plastique, je n’en ai rien fait de précieux. Quand j’étais au mettage, j’avais le moral ; l’agence allait péricliter, nous le savions, je ne l’avais plus.

 

La meilleure médecine du travail, c’est celle qui garantit le droit à la paresse (au sens que lui donnaient Lafargue, Orwell, Russel… soit une oisiveté active). On a vu récemment Xavier Bertrand remettre les effets néfastes des 35 heures sur le tapis des plateaux télévisuels. Le Woerthgate, comme en témoigne Gérard Filoche, inspecteur du Travail, militant en « électron libre » (voir son blogue-notes) du Parti socialiste, c’est peut-être aussi le décès d’Aurélien, 26 ans, responsable de l’entretien de 37 ascenseurs pour Schindler, qui a fini écrasé. Son collègue d’Albi, François, s’est suicidé le 10 août, attendant que l’ascenseur l’écrase : selon le délégué syndical, il « venait d’être sanctionné à deux reprises en l’espace de quelques mois, pour des motifs insignifiants à nos yeux ». Oui, il y a peut-être besoin d’une réforme de la médecine du travail pour des raisons « démographiques ». Sans doute pas les mêmes que celles envisagées par les parlementaires UMP. Commentaire de Gérard Filoche : « deux accidents mortels et un suicide chaque jour au travail, dans notre pays, c’est insupportable ». Cela dépend pour qui. Pas forcément pour le fils d’un médecin du travail…