Pour tous ceux, innombrables, qui croient connaître la typographie en amateurs (et n’y connaissent pas grand’ chose en fait), et pour les trop nombreux professionnels de la mise en page qui s’imaginent la maîtriser et commettent parfois des horreurs, le livre de Jost Hochuli, publié par les éds B42, traduit de nouveau sous le titre Le Détail en typographie, est idéal. Saluons très positivement cette nouvelle traduction.


Petit détail, il faut vraiment connaître et la typographie et l’orthotypographie (la correction typo, pour résumer), pour s’affranchir des règles de base. Ainsi, pour un titre d’ouvrage, se dispenser de la capitale après l’article est une erreur orthotypographique dans une bibliographie, tant bien même, et à fort juste « titre » typographique, l’éditeur aurait choisi uniquement des bas de casse pour sa une de couverture. Or donc, ce Détail en typographie (Le) est assorti de deux sous-titres qui seraient sans doute un surtitre et un sous-titre si « Le détail en typographie » était un titre de presse. « La lettre, l’interlettrage, le mot, l’espacement, la ligne, l’interlignage, la colonne » feraient un surtitre, et « Une réflexion riche et concise sur tout ce qui améliore la lisibilité d’un texte » en serait le sous-titre (ici, en romain et non en italiques de citation puisqu’il s’agit de titraille).

 

Mais, justement, n’entrons pas plus que l’ouvrage dans ces détails et concentrons-nous sur l’essentiel du sujet. Par « lisibilité », chez Hochuli, il faut entendre perception visuelle globale du texte composé, et non pas cette legibility que certains typographes confondent avec la readibility et que d’autres réservent au niveau de la lettre, individuellement, par elle-même, isolée donc, qui sera plus ou moins « ouverte » (importance des contre-formes ou blancs), « axée » (s’approchant, même en romain de l’axe des italiques), « contrastée » (différence d’épaisseurs des contours, des pleins et déliés).  Le choix de la typographie, vaste sujet, n’est pas qu’affaire des professionnels, mais si vous deviez entrez dans ces considérations,  vous ne vous en sortiriez pas. Mettons que, selon que votre police de caractères soit destinée à l’impression des petites mentions de bas de page d’une police d’assurance ou d’une affiche à voir de loin, ou à l’affichage à l’écran, votre choix sera sans doute guidé par le bon sens. Mais aussi par les principes de base de Jost Hochuli (et de bien d’autres, qu’il synthétise), sans pour autant les connaître, lesquels s’appliquent à toute forme de support.

 

Des bouquins, manuels, traités, guides, précis, ouvrages didactiques ou sommes spécialisées, traitant de la mise en pages ou de la typo (et de l’orthotypo), j’en possède bien quelques quintaux métriques (enfin, sans doute plus de deux à trois cents kilos) ; j’en ai consulté peut-être une tonne. Il faudrait bien un gaymard (600 m²) pour les rassembler tous en rayonnages et même la Saint-Bride Library de Londres n’y suffirait pas. Le problème, c’est qu’ils sont souvent spécialisés (mise en page des quotidiens, pour Guéry, des beaux livres et publicités, pour notamment les derniers titres des éditions de l’Atelier Perrousseaux), visent ou non à l’exhaustivité, traitent de la lisibilité sous l’angle de la sémantique et du processus optique de lecture, &c. Là, contrairement à cet article, c’est concis, voire condensé, ramassé en soixante petites pages, avec juste ce qu’il faut d’illustrations. N’est donné à voir que l’indispensable, ce qui nous change de ces copieux volumes qui se veulent aussi défense et illustration de « mon œuvre » ou renvoi d’ascenseur aux copains. Ce n’est pas un précis qui tend à vouloir faire « beau livre » mais uniquement œuvre utile. Le prix, 15 euros, en paraît même un peu exagéré. Il n’en est rien, même si, pour les petites maisons d’édition, il est très difficile de pratiquer un prix « populaire ».  Cela tient aussi au fait qu’il a fallu traduire très soigneusement (et c’est parfois difficile de traduire les ouvrages sur la typographie, tant le jargon est polysémique), ce que firent Victor Guégan et Pierre Malherbet.

 

Jost Hochuli est un Suisse, et en Helvétie, francophone ou alémanique (pour la partie italophone, je ne sais…), on ne rigole pas avec la typo. Paru en 1987, déjà traduit en sept langues, Le Détail… n’est pas le fruit des élucubrations d’un graphiste inspiré (ce que l’auteur devint par la suite), mais d’un compositeur d’imprimerie au pouce corné par le composteur, congru en toutes choses typographiques, féru de conception de caractères (sous la houlette d’Adrain Frutiger à l’« escole Estienne », la célèbre École Étienne parisienne). Le présent ouvrage est la traduction de la seconde édition suisse revue et augmentée (2005). La couverture emploie le dispositif et les choix typographiques de l’auteur, et les éditions B42 ont uniquement substitué leur nom à la mention « Nouvelle édition » des divers tirages en d’autres langues. C’est tout aussi limpide que magistral.

 

Pour ma part, j’ai possédé diverses éditions du Guéry sur la mise en pages des quotidiens, et je les prêtais à des stagiaires (qui me les rendaient ou non), ou il m’arrivait d’en offrir à de jeunes rédactrices ou rédacteurs. Sur ce Détail…, je signale que le maître français Jean-François Porchez (créateur notamment des polices Le Monde employées par le quotidien « vespéral de référence ») avait acquis à cette fin divers exemplaires de l’édition précédente (version Compugraphic 1987 intitulée Les Détails en typographie) et l’un deux a bénéficié à Amélie Boutry, ex-stagiaire de la fonderie de JFP, la Typofonderie. Rétrospectivement, je pense que les rééditions du Guéry des années 1990 auraient gagné à s’inspirer davantage du Hochuli. Car Guéry, journaliste, premier secrétaire de rédaction (et au-delà…), dont le propos est certes bien plus large (Hochuli n’apprend pas à rédiger, mais à composer de la titraille, et surtout du texte courant), justement, ne s’attache pas assez à ces primordiaux détails. J’en veux pour preuve aussi toutes ces maquettes de numéros « zéro » quasiment impraticables, sauf à obliger les journalistes à se plier à un style inadéquat pour s’y conformer.

 

Pour qui lit l’anglais, relevons tout le bien que cet autre maître, John D. Berry, pense de cet ouvrage (« Ai-je vraiment appris quoi que ce soit sur la typo ces vingt dernières années ? La plupart des remarques rabâchées à mes interlocuteurs se trouvent dans ces pages, classées et explicitées plus clairement que sous la plume de tout autre auteur… » : adaptation libre du texte publié sur son blogue-notes, Easily Amused). Berry offre en ligne une version téléchargeable de son propre ouvrage, Dot-Font, Talking about Design, expurgé des illustrations (et de celles présentes sur le CD-ROM qui accompagnait l’édition originale). Nul besoin de comprendre l’anglais pour consulter l’ouvrage et se rendre compte de ce qu’est un bon « gris » (ou une bonne « couleur ») typo, un empagement élégant, &c. Le Hochuli, si vous n’êtes pas vous-même professionnel, ne suffira sans doute pas pour parvenir d’emblée à cette maîtrise. Mais au moins, vous vous épargnerez (et épargnerez à vos lectrices et lecteurs) un bon nombre de gaffes qui passent peut-être inaperçues du profane, mais heurtent l’œil de l’amateur éclairé agressé par des courriers, des livres, des publications, des affiches, des publicités typographiquement mal conçus. Et peut-être saurez-vous les déceler bientôt d’emblée.

 

Peut-être même deviendrez-vous « accro » à la typo, dissertant bientôt sur les mérites comparés de l’Arial ou de l’Helvetica (même « encombrement » au point près) et du nouveau Century Gothic qui emploie un tiers de moins d’encre que ces polices courantes, pour un même texte, mais aussi parce qu’il « couvre » moins bien une page (l’économie d’encre est pondérée par une moindre économie de papier). S’il vous faut commencer votre éducation typo par un ouvrage, autant que ce soit le Hochuli. Et tant que vous y êtes, intéressez-vous aux autres publications de B42, et visitez leur site…

 

Détail en typographie (Le), Hochuli, Jost, éds B42, Paris, 2010 – 64 p., 15 €