« Une  formation solide est la clé de l’emploi. » C’est avec ce genre d’évidences que l’on nie les faits : aujourd’hui, de trop nombreux diplômés  se retrouvent, à la fin de leur cursus, obligés d’enchaîner d’autres formations et de faire des stages professionnalisants mais surtout pas rémunérés. Les nécessités de la vie (un loyer, un enfant…) deviennent des fardeaux alors que l’ascenseur social était censé les récompenser à l’aune de leur mérite…

 

Nombreux sont les étudiants qui, au sortir de l’université, ne trouvent pas de travail. Parle-t-on à ce stade d’un travail prestigieux avec salaire mirobolant et tout le tralala? Non ! Juste d’un travail qui permette de gagner de quoi vivre pour s’assurer le strict minimum. Parmi ces pommés, tous n’iront pas travailler en CDD dans un hypermarché… une partie se retrouvera à travailler dans le secteur public. Comme fonctionnaire. Le top : sécurité de l’emploi, vacances à gogo et pause café toutes les heures – à ce qu’il paraît.

Nous savons tous le sort peu enviable qui est réservé aux caissières : salaire ridicule et absence de toute perspective de carrière! Mais qu’en est-il des autres ? Ces fameux fonctionnaires ? Un vacataire, malgré un niveau d’études au moins égal à un professeur certifié, ne peut pas travailler plus de 200 heures par an. Quitte à faire sortir ledit vacataire de son cours manu militari s’il s’aventurait à dépasser le plafond ! Et les congés payés ? Il lui faudra trouver un job d’été en attendant la rentrée prochaine. Ne parlons pas des autres professions qui leur disputent le privilège de la précarité.

 

Les exemples sont parfois plus parlants que les idées. La génération des 25-40ans a connu l’apologie des études lors de sa scolarité et ce, dès l’école primaire !

« Je me souviens que j’avais une instit qui disait que si les gens étaient ouvriers, c’est parce qu’ils n’avaient pas fait d’étude ! »« Dès la classe de sixième, on nous saoulait avec le Brevet : on nous expliquait que seuls les meilleurs l’auraient et que le reste serait obligé d’aller faire des études en cycle pro pour se taper des métiers manuels ! » Un cycle pro vendu par le corps enseignant d’une certaine époque comme le cauchemar ultime ! commente Tom, fonctionnaire en CDD depuis cinq ans.

Cette génération a donc fait des études. Brevet, Baccalauréat – général de préférence ! Littéraire, scientifique ou économique… et ceux qui ne pouvaient se coucher dans ce lit de Procruste se voyaient condamnés à errer, réorientés de force, en cycle pro !

Le Bac !… Portes ouvertes à la Faculté ! Car parmi tous les bacheliers, rares sont les heureux élus à avoir eu les moyens d’une inscription dans une école préparatoire ! Une conséquence de ce qu’on appelle l’éducation de masse : la formation mais pas les moyens pour qu’elle profite un jour.

DEUG, Licence, maîtrise, DEA ou DESS, puis Doctorat… ou l’équivalent depuis la réforme LSD… Je veux dire LMD.

Les Bourses ne sont pas nombreuses et même quand on a la chance de les toucher (il est notoirement plus facile de toucher les siennes que celles de l’Etat !), on ne peut pas dire qu’elles permettent d’assurer les frais quotidiens ! Puisque se loger, se nourrir et se chauffer ne relèvent pas du droit le plus élémentaire… il faut, au choix, que les étudiants aient recours soit à des emplois à mi-temps, soit à l’aide de papa et maman ! Et c’est là que les choses se gâtent…

 

Travailler en même temps que faire ses études ? C’est possible jusqu’à un certain point… La maîtrise, peut être. Le DEA ?… Pourquoi pas ?… Mais avec le temps, viennent les frais incompressibles : la voiture, le premier enfant, que sais-je !… Des situations qui ne permettent plus de se contenter d’un mi-temps !

« J’ai du bosser d’abord à mi-temps parce que le taf à temps plein n’était pas légion ! – dixit Tom – Je me souviens qu’à l’époque où je faisais mon DEA, je travaillais dans un resto, à la plonge !… La patronne m’avait choisi en fonction des profils… J’étais en DEA et j’avais grillé la priorité à une jeune fille de licence !… Je remplaçais une plongeuse en doctorat (qui faisait un doctorat et non une doctorante en plonge !…) de lettres qui, selon la cheftaine, parlait cinq langues ! Entre l’aide cuisinier, la serveuse et moi-même, on alignait le profil d’une équipe de labo universitaire.»

Les temps sont durs quand on n’est pas encore sur le marché de l’emploi !

Et après, aussi !…

 

Car quand vient le jour où il faut chercher du travail… c’est l’enfer ! Nicolas, bientôt 29 ans, bac+5 archi en poche, ne trouve rien. Après plus d’un an au chômage et quelques stages non-rémunérés, il fini par travailler… comme réceptionniste dans une sale de fitness. Il a eu de la chance ! Pierre-Edouard, 31 ans, est encore surveillant dans un collège malgré deux ans à l’école doctorale. « Quand un employeur voit que je n’ai pas fini mon Doctorat de sciences cognitives, il me dit que je n’ai pas un profil adéquat… même pour mettre en rayon des salades, travail pour lequel un diplôme en produits frais est demandé ! » Il faut savoir que des postes d’animateurs de centre aérés ou de surveillants de collège sont occupés par une génération qui ne trouve rien de mieux…

 

D’où la réaction de nombreux jeunes : « Si j’avais su, j’aurais fait un bac pro ! », assène Magalie, un enfant à charge, caissière dans un supermarché après avoir étudié les langues étrangères à l’Université. Mais il ne faut pas croire : tous ceux qui ont suivis un parcours professionnel ne s’en sont pas sortis forcément avec tous les avantages qu’on leur faisait miroiter quand ils ont fait leur deuil de n’être pas admis dans les cursus pour « intellos » !

 

Cédric, 32 ans : « Mes beaux-parents m’offrent encore des sous pour Noel ! Je n’ai qu’un CDD au terme duquel je vais vers le chômage ! Pourtant j’en ai fait des études ! » Toujours Tom : « Je me fais snober par des individus qui oublient un détail : ils sont arrivés à leurs postes à une époque où il leur était demandé beaucoup moins de qualification qu’il n’en faut maintenant ! Ce qui ne les empêche pas d’asséner qu’il faut encore exiger un niveau toujours plus haut, eux qui sont moins diplômés ou qualifiés que moi ! Un comble ! J’ai l’impression, quand je les écoute, que si je suis dans la précarité, c’est parce que je le veux bien ! »

 

 

 

 

 

 

 

N.B. Les prénoms ont bien entendu été changés.