le petit qui veut être comme le grand !

 

Petit à petit la mayonnaise prend, cela fait bien de faire comme François Mitterrand s’inclinant devant les cercueils de Jean Jaurès, de Jean Moulin, et de Victor Schoelcher et y déposant une rose le jour de sa prise de fonction le 21 mai 1981. Un hommage symbolique à ces trois hommes qui ont incarnés le combat des socialistes, la résistance et la lutte contre l’esclavagisme, mais aussi lors du transfert des cendres de Jean Monnet le 09 novembre 1988, de René Cassin et de Marie Curie le 20 avril 1995 avec celles de son époux Pierre Curie.

François Mitterrand devant le Panthéon le 21 mai 1981.

Crédit photo : Sipa Paris.fr

Mais également comme l’a fait en 1996 Jacques Chirac transférant au Panthéon les cendres d’André Malraux le 23 novembre 1996. En 2002 ce sont les cendres d’Alexandre Dumas qui rejoignent celles de Voltaire, Rousseau, Hugo et Zola, écrivains qui ont participés symboliquement à la construction de la Nation. Le cercueil était entouré de mousquetaires et d’une Marianne métisse lors de la cérémonie. Cela devient un rituel, Mitterand, Chirac et maintenant Sarkozy pourquoi pas ? Il faut laisser une trace autre que celle d’une politique pas toujours à la hauteur de la fonction, et le symbolisme du transfert des cendres des Grands Hommes exceptionnels qui ont façonnés notre république lorsque l’on s’incline devant le cercueil, est une image qui reste pour l’éternité.

Le transfert des restes d’une personne de notre Nation qui, lors de son existence s’est montré une Grande Dame ou un Grand Homme exceptionnels, est conditionné par le fait qu’il doit être de nationalité Française ou naturalisé, que ses restes soient encore disponibles, et c’est ensuite par décret du président de la république sur proposition du premier ministre et sur rapport du ministre de la culture et de la communication que le transfert peut avoir lieu. D’autres conditions sont probables et cela dépend en fait de la volonté du président de la république qui supplante tout, mais probablement aussi de la famille de l’illustre personnage. Pour les femmes ce devrait être la même chose, seulement elles sont beaucoup moins nombreuses seules deux d’entres elles y sont entrées il s’agit de Sophie Berthelot pour ne pas la séparer de son époux, et Marie Curie deux fois prix Nobel. Le machisme s’exerce jusqu’au Panthéon.

Le 20 novembre, le président Sarkozy souhaite faire entrer les restes d’Albert Camus au Panthéon,

«C’est vrai que j’ai pensé que ce serait un choix particulièrement pertinent que de le faire entrer au Panthéon», a déclaré le chef de l’Etat.

«Le président de la République y pense», confirme l’un de ses proches, tout en assurant que la décision n’est pas prise. On ne peut qu’approuver.

 

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L’écrivain Albert Camus en juin 1947, prix Nobel en 1957 à l’âge de 44 ans

 

Cette idée a germée pendant le voyage de Sarkozy dans l’ancienne citée Romaine à Tipaza en Algérie le 04 décembre 2007.

Accompagné de plusieurs membres du gouvernement et de guides, leurs regards furent émerveillés, face à la mer un paysage de «Noces» rappelant le livre qu’Albert Camus avait offert à Nicolas Sarkozy. Le mot d’ordre, tout est magnifique «C’est beau, hein ?», ne cessait d’interroger le président. «Depuis que j’ai lu le livre, j’ai envie de venir ici».

«Depuis le début de l’humanité, il y a des hommes qui habitent ici. On peut le comprendre lorsqu’on voit la beauté exceptionnelle du site. Et puis c’est un lien entre les deux rives de la Méditerranée. Il y a Camus qui nous tient des deux côtés», commentait le chef de l’État.

La stèle à la mémoire d’Albert Camus érigée en 1961 et gravée par Louis Bénisti face au Mont Chenoua à Tipaza près d’Alger, «Je comprends ici ce qu’on appelle gloire le droit d’aimer sans mesure»

 

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Fin 2007 l’ancienne journaliste Catherine Pégard conseillère du président de la république avait organisé un déjeuné avec le président et la fille de l’écrivain Catherine Camus et ses anciens amis. C’était pour célébrer le discours de Stockholm lorsque que Camus avait reçu le prix Nobel de littérature. Cela a été l’impulsion du transfert des restes d’Albert Camus par Sarkozy qui connais bien l’œuvre de Camus auquel il a rendu cet hommage en allant à Tipaza lors de son voyage en Algérie. Rien n’est fait, il faut avoir notamment l’accord des familles nuance un proche qui indique, qu’à sa connaissance, l’écrivain n’a pas fait d’opposition de son vivant.

Et c’est là que tout se corse le fils d’Albert Camus Jean Camus présente un refus. Selon son entourage, Jean Camus estimerait qu’une telle décision serait un «contresens» sur la vie de l’auteur de «l’Homme révolté». Il craindrait une «récupération» de son père par le chef de l’Etat. Ce qui ne peut être nié comme d’ailleurs pour tous les présidents qui ont Panthéonisés nos gloires, ce n’est pas sans arrière pensées politiques.

La situation apparaît compliquée la fille de Camus qui gère l’héritage de son père serait d’accord mais refuse de parler de son frère. Le problème est de savoir si celui-ci qui vit dans la discrétion et gère son héritage peut s’opposer à un transfert de son père au Panthéon ? Il serait curieux que malgré le refus du fils on passe outre sa décision qui d’ailleurs n’a pas été annoncée publiquement.

Alors depuis que l’annonce a été faite, la polémique enfle. François Bayrou parle de récupération politique, Olivier Todd spécialiste de Camus craint l’ensevelissement de la pensée de l’écrivain sous les honneurs républicains. A gauche on dénonce une nouvelle forme de l’ouverture sur la dépouille d’un écrivain de gauche. Jean Daniel, le fondateur du Nouvel Observateur et qui fut l’ami d’Albert Camus, estime que l’homme de «l’héroïsme de la mesure» ne pourrait pas se trouver bien dans un temple de la démesure, et préfère qu’on laisse Camus à Lourmarin. Ce n’est pas par antisarkozysme. C’est un lieu qu’il avait étudié, chanté, qui l’avait rapproché d’Algérie», déclare au Monde Jean Daniel.

«Le caractère écrasant de la consécration me paraît contraire aux notions que Camus a approfondies. Pour moi, Camus c’est l’auteur de «l’Homme révolté, l’héroïsme de la mesure». Je ne vois pas le Panthéon glorifiant l’héroïsme de la mesure. Camus a été totalement libertaire. Jamais le reniement du totalitarisme ne l’a fait rejoindre le centre ou la droite», poursuit Jean Daniel.

Alors refuser l’entrée de Camus au Panthéon pour objectif politique de Sarkozy me parait inconvenant, Albert Camus mérite cet honneur national et ce n’est pas le premier écrivain philosophe de gauche qui serait au Panthéon.

L’Étranger extraits :

«Extrait 1 : Meursault et Marie à la plage»

J’ai pris le tram pour aller à l’établissement de bains du port. Là, j’ai plongé dans la passe. Il y avait beaucoup de jeunes gens. J’ai retrouvé dans l’eau Marie Cardona, une ancienne dactylo de mon bureau dont j’avais eu envie à l’époque. Elle aussi, je crois. Mais elle est partie peu après et nous n’avons pas eu le temps. Je l’ai aidée à monter sur une bouée et, dans ce mouvement, j’ai effleuré ses seins. J’étais encore dans l’eau quand elle était déjà à plat ventre sur la bouée. Elle s’est retournée vers moi. Elle avait les cheveux dans les yeux et elle riait. Je me suis hissé à côté d’elle sur la bouée. Il faisait bon et, comme en plaisantant, j’ai laissé ma tête en arrière et je l’ai posée sur son ventre. Elle n’a rien dit et je suis resté ainsi. J’avais tout le ciel dans les yeux et il était bleu et doré. Sous ma nuque, je sentais le ventre de Marie battre doucement. Nous sommes restés longtemps sur la bouée, à moitié endormis. Quand le soleil est devenu trop fort, elle a plongé et je l’ai suivie. Je l’ai rattrapée, j’ai passé ma main autour de sa taille et nous avons nagé ensemble. Elle riait toujours. Sur le quai, pendant que nous nous séchions, elle m’a dit : "Je suis plus brune que vous." Je lui ai demandé si elle voulait venir au cinéma, le soir. Elle a encore ri et m’a dit qu’elle avait envie de voir un film avec Fernandel. Quand nous nous sommes rhabillés, elle a eu l’air très surprise de me voir avec une cravate noire et elle m’a demandé si j’étais en deuil. Je lui ai dit que maman était morte. Comme elle voulait savoir depuis quand, j’ai répondu : "Depuis hier." Elle a eu un petit recul, mais n’a fait aucune remarque. J’ai eu envie de lui dire que ce n’était pas de ma faute, mais je me suis arrêté parce que j’ai pensé que je l’avais déjà dit à mon patron. Cela ne signifiait rien. De toute façon, on est toujours un peu fautif. Le soir, Marie avait tout oublié. Le film était drôle par moments et puis vraiment trop bête. Elle avait sa jambe contre la mienne. Je lui caressais ses seins. Vers la fin de la séance, je l’ai embrassée, mais mal. En sortant, elle est venue chez moi. Quand je me suis réveillé, Marie était partie. Elle m’avait expliqué qu’elle devait aller chez sa tante. J’ai pensé que c’était dimanche et cela m’a ennuyé : je n’aime pas le dimanche. Alors, je me suis retourné dans mon lit, j’ai cherché dans le traversin l’odeur de sel que les cheveux de Marie y avaient laissée et j’ai dormi jusquà dix heures.

«Extrait 2 : La demande en mariage»

Le soir, Marie est venue me chercher et m’a demandé si je voulais me marier avec elle. J’ai dit que cela m’était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l’aimais. J’ai répondu comme je l’avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l’aimais pas. "Pourquoi m’épouser alors?" a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n’avait aucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D’ailleurs, c’était elle qui le demandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J’ai répondu : "Non." Elle s’est tue un moment et elle m’a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si j’aurais accepté la même proposition venant d’une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon. J’ai dit : "Naturellement." Elle s’est demandé alors si elle m’aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j’étais bizarre, qu’elle m’aimait sans doute à cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais, n’ayant rien à ajouter, elle m’a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu’elle voulait se marier avec moi. J’ai répondu que nous le ferions dès qu’elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et Marie m’a dit qu’elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j’y avais vécu dans un temps et elle m’a demandé comment c’était. Je lui ai dit : "C’est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche."

«Extrait 3 : Le meurtre»

J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire. J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. A cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait de toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.

Albert Camus, L’Étranger, 1942.

Ce roman prend place dans la trilogie que Camus nommera le cycle de l’absurde.

On voit que même pour glorifier à homme pour l’éternité, des oppositions apparaissent qui sont pertinentes et non dénuées de raison, mais Albert Camus n’a nul besoin d’être au Panthéon, mais pourquoi n’y serait-il pas ? 

Albert Camus devrait être transféré au Panthéon pour le cinquantième anniversaire de sa mort en 2010.