Comme annoncé notamment sur les sites de l’ATypI-Francophone et de La Condition publique, une rétrospective est consacrée à Roubaix au typographe, graphiste et musicien nordiste Jean-Jacques Tachdjian. Elle présente, sur de grands et larges panneaux, une évocation de trente ans de créations de ce prolixe créateur d’alphabets, de visuels foisonnants, de fanzines associatifs… L’expo, intitulée Nographie (peut-être pour signifier que ce n’est pas plus une pipe qu’une monographie), se prolongera jusqu’au 21 novembre 2009.

L’homme est un animal singulier, Jean-Jacques Tachdjian est un homme, donc l’homme est typographe, mais… Mais… Attention, pas seulement ! Jean-Jacques « Jiji » Tachdjian n’est pas que sage, mage, diogéno-socrato-épicurien, musicien, graphiste, illustrateur, imprimeur, réalisateur de rêves, producteur d’images, graffiticulteur, ébénistograffeur, et je vous passe d’autres activités dont il à l’heur…

 

De toute façon, j’y reviendrai tout à l’heure.

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Je tiens Jiji Tachdjian pour l’un des artistes et producteurs des plus bosseurs depuis ce très bon faiseur qu’était Sacha Guitry (né Alexandre Georges-Pierre, Petersburg, 1885, † Paris, 1957). Et aussi pour l’un des personnages les plus extravagants et marquants depuis Joséphine Baker (car l’œuvre ne doit pas éclipser l’homme, qui est parfois, et même souvent plus souvent, une femme).

 

L’une disait : « j’ai deux amours, le travail et la France » ; l’autre chantait « j’ai deux amours, mon pays et Paris ! » ; à moins que ce ne soit le contraire.

 

Jiji Tachdjian aime tellement la Grande Lille et son Nord-Pas-de-Calais qu’en dépit de moult appels du téléphone à pied (c’est vous dire si cela date de longtemps : on utilisait encore des combinés avec cadran tournant dans le pied du support de l’appareil), suivis de maintes sollicitations – tant des deux pieds qu’à quatre mains –, il est toujours resté Lillo-roubaiso-mouscrono-tourquennois.

On l’a réclamé à Paris, il est passé, s’en est revenu. On lui fit triomphal accueil à Los Angeles, où il exposa en 2008, et nous le retrouvons, aussi hardi qu’un Comtois ne se rendant pas à la raison du plus fortuné, aussi cœur fidèle qu’un Ardéchois attaché à son picodon aux châtaignes…

Il est derrière sa presse, avec sa Chienne, très sainement logé à la Maison Folie Wazemmes, ici à Roubaix, publiquement conditionné, et là, à Lille, postalement trié. Comprend qui veut, ou qui peut : il est de ces légendes urbaines que les Sous-Ysérois ne peuvent pas connaître.

 

On ne m’en voudra pas d’évoquer ici le maréchal de Mac Mahon et son fameux « J’y suis, j’y reste ! » à propos de Jiji Tachdjian. J’ajouterai, avec la conviction d’un sous-préfet flattant la ménagère à l’inauguration d’un hypermarché Auchan : « Quel talent ! Quels talents ! ».

 

Bien sûr la proximité de l’Aa lui inspira des alphabets que lui envie plus d’un épitreur[1] à Philémon. Et qu’on retrouve dans les Nouvelles Légendes improbables du Nord-Pas-de-Calais qu’il illustra et mit tant en fausses qu’en belles pages. Ses fausses pages sont d’ailleurs si belles que les experts ont bien du mal, même en se concertant tels des médecins de Molière, à distinguer une bene, bene bellissima, d’une fossi, fossi imitata. En la matière, le Roi n’est point son cousin. Cosi seul fait Jiji.

 

On a souvent, pour le siècle passé, évoqué l’illustrateur Massin. Pour le présent et ceux à venir, ce sera Sa Chienne. Celle de Jiji. Elle passera à la postérité. Car elle nous a tant fait de mâtins que l’expression est tout outrepassée dans le langage courant : gardarem longtemps des mâtins (et non des massins, comme je déplore qu’on l’entende trop souvent) de sa canidée. Soit des productions de ses fanzines siglés La Chienne, l’association qu’il nourrit exclusivement à la pâtée biologique avec des moules et des frites issues de l’agriculture et de la mytiliculture responsables dedans.

 

Sa Chienne fraye avec toute une faune parfois mafflue et visqueuse, qui fait semble avoir été toilettée au marteau-perforateur de chez Bosch mais qui évoque aussi le coup de crayon de saint Jérôme l’Agnostique. Et question coloris, vous pouvez toujours tenter de les faire passer au Kärcher, le ton tient bon !

 

Illustrateur animalier, donc, et peintre des mœurs et us, tensifs s’il le faut : il appuie là ou cela fait mal mais c’est pour soulager. D’ailleurs, on a surpris, murmurerait-on, Soulages à marmonner : « si j’étais aussi bon coloriste que Tachdjian, je n’aurais point tant peint en noir et blanc… ». Faites l’examen fenêtre : mettez un Poliakoff à côté d’un Tachdjian au grand soleil. Jamais vous n’échangeriez un baril de Jiji pour deux de Sergueï ! C’est grand teint.

 

Jiji Tachdjian, après avoir été longtemps dans les revues et magazines, à la une ou en pages intérieures (car il écrivit aussi sous pseudonymes) est désormais dans les livres, ceux le mentionnant ou consacrés à sa personne. Bientôt Jiji T. au Jité – lévité par sa présence ?

 

En ouvrage, comme à l’ouvrage, il se met sans limitation, sans modération.

Mais non point sans préalable avertissement…

 

Un Tachdjian peut nuire gravement à la flore intestine morose. La sinistrose en prend plein les gencives. La tristouille s’exhale à plein poumons, chassée par le mentholé Tachdjian.

Avec Vick Vaporum, plus jamais de rhume, avec Jiji Tachdjian, adieu le gnangnan !

 

Enfants, nul n’est besoin d’agiter vos rouges tabliers quand cafards et cancrelats passent. Appelez donc le Père Tachdjian. Quand un Père Jiji afflue, un père Nicolas Fouettard reflue !

 

Du coup, on se sent moins abusé par les donneurs de leçons et leurs morales à deux ronds intimant d’obéir à leurs injonctions mais de ne point faire ce qu’ils commettent éhontés, et déments (légalement, le plus souvent, car c’est étudié ad hoc pour eux).

 

Là où nul contrebandier monténégrin résidant monégasque n’oserait établir un camp de base, Jiji Tachdjian gravit la pente. Du coup, tel un Monty vidant les étriers et retirant éperons pour chausser crampons et planter pitons, il bien haut hisse les éléments de son chenil, refuge pour animaux singuliers.

Bref, avec lui, nous atteignons des sommets.

En sus, comme disent les sherpas : et pour pas cher !

 

Pénétrons donc, avec ou sans nos ânes Martin, dans son Canin Circus. Point n’est besoin de retirer nos bonnets : c’est à la bonne franquette. Entrons chez lui, et en joyeux cortèges !

Ses jours de gloire sont nos jours de fêtes ! Il est au faîte, nous, à sa suite, avec, et nos joies nues, aucunement contre ni refaites ! Sa Chienne trottine sans laisse, et nous, en liesse !



[1] du genre à tancer les Philippiens, les Colossiens, les Corinthiens et autres Phrygiens, et notamment Philémon, qui a peu à voir avec celui d’un Fred bédéisto-océano-atlantiste.

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 Petites précisions :

Il m’advient de préfacer des documents ou catalogues de Jean-Jacques Tachdjian et le texte ci-dessus en est un.
Si ce n’est pas très clair, chez Tachdjian, c’est net : d’ailleurs voyez son site, i-c-i.net (enfin, ce n’est pas forcément plus net, mais beaucoup plus visuel).