A Lyon le week-end dernier, Libération a organisé son cinquième forum citoyen, consacré à un état des lieux du monde, vingt ans après la chute du mur de Berlin. De nombreuses personnalités étaient réunies pour débattre. Voici le compte-rendu des quelques séances auxquelles j’ai pu assister.

1ère journée : où l’on parle de l’opposition…

« Quels termes pour une alliance ? » avec Daniel Cohn-Bendit (Europe-Ecologie) et Claude Bartolone (PS).

– A l’avenir, l’alternance ne pourra guère s’obtenir par des alliances sur un coin de table, réalisées dans l’opacité par les chefs de partis : voilà au moins une chose qui réunissait Cohn-Bendit et Bartolone. Pour l’écologiste, inspiré par le succès de sa liste aux européennes, il faut bâtir des rassemblements au-delà des partis, avec des syndicats et des associatifs. Définir « un espace d’opposition à l’UMP » et appeler, sans exclusive, toutes les forces qui le souhaitent à rejoindre ce grand rassemblement, voilà la méthode qu’il propose. Bartolone y apporte tout de suite un bémol : le tout-sauf-Sarkozy ne marchera pas sans contenu programmatique fort. D’où son souhait de réhabiliter la « politique par la preuve », en nouant des rassemblements d’abord avec ceux avec qui on travaille, notamment dans les régions. En réponse à Cohn-Bendit qui pointait le déficit de cohérence des différents projets régionaux, Bartolone répond qu’il faut effectivement être dans un début de réponse nationale à la cohérence sarkozyste (baisse des contributions des plus aisés, réduction du périmètre des services publics).
– Cohn-Bendit s’empare alors du sujet de la taxe carbone, pour mettre en difficulté son interlocuteur. De fait, les socialistes sont d’accord sur la taxe prévue par le rapport Rocard, mais pas sur les modalités décidées arbitrairement par Sarkozy. Pourquoi, alors, demande Cohn-Bendit, ne pas défendre avec les écolos et le Modem, qui sont sur la même position, un projet de loi reprenant la version Rocard ? Bartolone est piégé, obligé de dire qu’il ne souhaite intégrer le Modem dans un front commun, qu’à la condition express d’avoir rassemblé toute la gauche auparavant. « Ajouter sans retrancher », telle est sa ligne de conduite. Foutaises, lui répond en somme Cohn-Bendit, qui trouve ridicule de rechercher une position commune avec un PC ou un NPA, qui, en l’occurrence, sont hostiles au principe même de la taxe. Selon lui, la victoire en 2012 ne passera que par un rassemblement large, sans crispation sur son camp d’origine, façon gauche plurielle des années 90 (« en face, ils n’attendent que ça », insiste-t-il).

« Le logiciel social-démocrate est-il obsolète ? » avec Alain Minc (essayiste et conseiller du Prince) et Jean-Luc Mélenchon (Parti de Gauche, ex-PS).

– C’est Minc qui ouvre la discussion. Pour lui, la social-démocratie règne en Europe. Si elle règne en son « paradis nordique » (caractérisé par une articulation entre un excellent secteur productif et une forte cohésion sociale), ses principes sont mêmes suivis par des gouvernements de centre-droit, qui ont su se montrer interventionnistes pendant la crise. En revanche, en France elle est impossible à pratiquer, car elle repose sur l’existence de syndicats puissants, capables de contractualiser les rapports sociaux avec le patronat. Or, les syndicats sont très faibles en France.
– Mélenchon affirme d’emblée qu’il n’est pas social-démocrate, parce qu’il tient à l’exception française. La social-démocratie a consisté, dans d’autre pays, en une alliance entre un parti ouvrier et un syndicat de masse. Dans ce système, les accords syndicaux ne s’appliquent qu’aux salariés syndiqués. Or, JLM préfère un système où un accord s’applique à tous, où la loi a le dernier mot : « la République est une et indivisible…je crois à l’intérêt général », dit-il. Il constate cependant que la social-démocratie a énormément apporté aux travailleurs. Aujourd’hui, ce temps est fini, car elle a été rattrapée par un capitalisme financier et transnationalisé. Selon lui, le bilan réel de la social-démocratie ces dernières années est catastrophique (politique néolibérale de Schröder en Allemagne, dérèglements de nombre de dispositifs sociaux par l’UE, etc.).
– Alain Minc tente de défendre le bilan européen, en expliquant comment l’euro a protégé notre pays d’une grave crise de la monnaie. Il loue aussi le sang-froid du directeur de la BCE (1), qui a su mettre des millions d’euros sur le marché, au moment le plus critique. Il défend aussi le capitalisme, en soulignant que ce système économique produit de l’efficacité, mais inévitablement de l’inégalité, qu’il s’agit de tempérer. JLM s’insurge contre le terme d’ « efficacité », citant la destruction de l’éco-système et une économie de la dette qui a abouti à l’effondrement actuel. « Le monde vit en état de panique structurelle », résume-t-il en pointant les dérives de la finance. Pour lui, il s’agit maintenant de mieux redistribuer la richesse, de bâtir une planification écologique, de restaurer la République et de rejeter le traité de Lisbonne qui entérine une Europe néolibérale et ouverte à tous les vents du libre-échange. Pour conclure, Alain Minc juge JLM très efficace dans l’opposition, comme aiguillon du système, mais redoute la politique qu’il mènerait une fois au pouvoir. Tous deux s’accordent cependant pour estimer que la sortie de crise passera par de l’inflation, qu’il faudra savoir maîtriser…

« La gauche et le centre ont-ils des choses à se dire ? » avec François Bayrou (Modem) et François Hollande (PS).

Résumer ce débat est simple : accord total ! Du moins sur les modalités des discussions à avoir au sein de l’opposition. Pour François Bayrou, d’un côté tout est en ordre pour permettre au pouvoir sarkozyste de durer dix ans ; de l’autre l’opposition est émiettée. Afin de rendre un espoir à beaucoup de citoyens, et de stopper l’idéologie de défense des puissants qui anime le pouvoir actuel, Bayrou renouvelle sa proposition d’un Parlement de l’alternance, qui permettrait de confronter publiquement les points de vue de tous les opposants sur des sujets concrets. Les positions communes seront le socle de l’alternance, les positions divergentes seront tranchées par le vote des citoyens au 1er tour des élections. Hollande prône peu ou prou une méthode semblable, en partant du constat que les 4 familles de l’opposition (socialistes, gauche radicale, écologistes, centre) s’excluent au lieu de mutualiser leurs efforts. Le débat à mener devrait permettre de savoir enfin si socialistes et centristes, notamment sur les questions économiques et sociales, ont plus de convergences que de divergences. Les enjeux principaux selon Hollande : quelle marge de manœuvre avec l’héritage de lourds déficits ? & quelle politique de redistribution qui soit autre chose qu’une ponction des classes moyennes ? Grâce à cette méthode, les soutiens apportés entre les deux tours des élections pourront être annoncés longtemps à l’avance.

(1) : Banque centrale européenne, dirigée par Jean-Claude Trichet.