Il est de bon ton pour des politiciens populistes de dénoncer la recherche effrénée du profit qui a fait prendre des risques irresponsables aux acteurs de la bulle spéculative immobilière et aux banquiers, ou qui a permis à ces derniers de recevoir des récompenses financières même lorsque leurs résultats étaient mauvais. Ils jouent sur le besoin du public qu’on montre du doigt des coupables et sur la croyance, répandue mais injustifiée, que le capitalisme peut être moralisé.

Le problème vient de la nature humaine : à part les très rares saints, tous les hommes recherchent à tout moment le profit maximum, c’est dans leur nature psychologique et cela ne changera pas. Les 51 millions d’épargnants français détenteurs de Livrets A voudraient tous bénéficier du maximum d’intérêts, ce sont tous des capitalistes. Si une société veut empêcher ou rendre obligatoires certains comportements, elle doit adopter démocratiquement des lois à cet effet et se doter d’institutions qui veillent à leur respect.

Tant qu’ils respectent les lois, il ne sert à rien de dénoncer la rapacité des financiers, due à leur nature d’hommes; ceux qui la stigmatisent doivent être dénoncés comme les démagogues qu’ils sont. Un politicien honnête doit proposer des lois et des institutions pour empêcher les excès des financiers préjudiciables à la société, lois qui seront ensuite analysées par les parlementaires pour vérifier que leur application est souhaitable et possible.

 

  MAIS COMMENT S’EST TRANSMIS LA CRISE SUR L’ECONOMIE REELLE ?

 

 

Extraits Figaro économique du 2009-09-25

"Les banques sont au coeur du financement des économies et lorsque leur situation financière ne leur permet plus d’assurer cette mission, la croissance est compromise. C’est la raison pour laquelle, dans tous les pays, des plans de soutien au secteur bancaire ont été mis en place. Ces plans engagent les finances publiques, mais le ralentissement de la croissance qui accompagnerait une paralysie du crédit serait potentiellement beaucoup plus coûteux.

Le déficit de croissance dû à la crise bancaire résulte de plusieurs facteurs parfois concomitants : l’éclatement d’une bulle boursière ou immobilière met les banques en difficulté, mais réduit simultanément la richesse des autres agents économiques et pèse sur la consommation privée. C’est pourquoi il est difficile d’isoler exactement l’effet des crises bancaires. Dans le passé, et si on prend en compte l’ensemble des pays (y compris émergents) les crises ont duré, en moyenne, entre trois et quatre ans, ont entraîné une charge, pour les finances

publiques, de 13 % du PIB et un déficit cumulé de croissance, sur la même période, de près de 20 %."

"Le développement économique passe par la réalisation d’investissements productifs et la couverture d’un besoin en fonds de roulement lié à la constitution de stocks et à la longueur du processus de production. Le financement des activités productives via les crédits aux entreprises, ou de la consommation via les crédits aux ménages, est donc crucial."

"Un système bancaire en crise ne peut assumer correctement son activité d’intermédiation ; il y a arrêt des financements nouveaux, ce qu’on appelle un “credit crunch”. Deux mécanismes peuvent jouer :

 L’insuffisance de fonds propres des banques. Les règles prudentielles proportionnent les risques que peuvent prendre les banques à leurs fonds propres. En période de retournement économique et financier, des pertes peuvent apparaître qui réduisent le capital des banques ; cet effet peut être amplifié par des règles comptables qui imposent, pour certains actifs, des valorisations instantanées en prix de marché. Parallèlement, les risques, souvent mesurés par référence à des notations d’agences régulièrement abaissées en période de crise, augmentent et requièrent plus de fonds propres.

 L’insuffisance de liquidité. Lorsque les marchés ne fonctionnent plus et que les banques n’ont plus l’assurance de pouvoir se financer, elles cessent de distribuer du crédit.

 

Ces deux « canaux » sont susceptibles de se combiner et de se renforcer, notamment en cas d’accumulation de crédits douteux dans certains établissements qui met en question leur solvabilité ; des faillites bancaires sont alors envisageables, avec les effets de dominos associés. Tout le système se bloque, le financement de l’économie ne s’effectue plus."

 

 

Nous avions déjà vu, ci-dessus, que le crédit est indispensable à l’économie : aucune reprise économique n’est possible sans un crédit à la fois abondant et à taux d’intérêt raisonnable ; nous venons de préciser le rôle des banques dans le financement de l’économie et la manière dont une crise bancaire devient crise économique. Pour combattre la crise économique et les malheurs qu’elle entraîne, chômage, baisse du niveau de vie et destruction d’épargne, il faut donc commencer par résoudre le problème du freinage du crédit par les banques possédant des actifs à risques.

 

 

Habituellement, déjà, les finances publiques sont en déficit : bien que l’économie soit saine, les dépenses budgétaires de l’Etat dépassent ses recettes. Mais en temps de crise économique, le PIB qui baisse diminue encore plus les rentrées fiscales : des recettes comme la TVA, l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu diminuent ; il faut en outre relancer l’économie et assister des entreprises et un plus grand nombre de chômeurs, ce qui accroît les dépenses. Pour pouvoir continuer à payer ses fonctionnaires, à fournir les services publics habituels et à entretenir les infrastructures et bâtiments publics, l’Etat doit emprunter et les générations suivantes devront rembourser avec intérêts. Compte tenu des dettes publiques actuelles (1284.8 milliards d’euros au 3ème trimestre 2008 en France) et des

retraites dues aux fonctionnaires, la charge sera terrible et le poids des dettes handicapera la croissance de l’économie et le niveau de vie pendant des décennies.

 

COMMENT FAIRE POUR REDUIRE A LA SOURCE LE DEFAUT DE PAIEMENT ?

 

La première possibilité consiste à aider le maximum de propriétaires emprunteurs à honorer leurs échéances, à la fois pour que les banques n’aient pas à constater un défaut de paiement et pour qu’eux-mêmes ne soient pas expulsés. Le président Obama a donc proposé le 18/02/2009 un plan d’aide pouvant atteindre 275 milliards de dollars pour soutenir jusqu’à 9 millions d’emprunteurs solvables et leur permettre de garder leur maison. En même temps, son gouvernement étudie la possibilité d’incitations fiscales aux achats immobiliers à crédit, achats qui contribueraient à faire redémarrer ce secteur économique sinistré. Mais il n’est pas certain que ces mesures, bien que volontaristes, suffisent pour stopper la vague de saisies

 

ON VA RECAPITALISER LES BANQUES.

 

Le total des prêts qu’une banque peut accorder étant limité par l’obligation de respecter le ratio de solvabilité Cooke , la première mesure prise par tous les gouvernements a été de recapitaliser les banques. En dehors de la France, cette recapitalisation n’a pas eu autant d’effet qu’escompté : les banques ayant toujours dans leur bilan des actifs toxiques (des fonds adossés au moins en partie à des prêts hypothécaires risquant d’être mal remboursés) étaient tétanisées de peur à l’idée d’accorder de nouveaux prêts ; et quand elles en accordaient un, elles demandaient des taux d’intérêt dissuasifs pour se protéger des risques de défaut de l’emprunteur. En outre certaines banques ont utilisé les capitaux reçus pour se désendetter.

En France, où l’exposition des banques aux fonds adossés à des prêts subprime était minime et les banques étaient toujours bénéficiaires, la dizaine de milliards d’euros apportés par le gouvernement a imposé des taux d’intérêt assez élevés pour que les banques soient obligées de les prêter, et même plusieurs fois compte tenu des refinancements. En outre, le gouvernement a créé (à l’occasion du sauvetage de Dexia) une société de recapitalisation des banques dont les fonds proviennent d’emprunts garantis par l’Etat français, la Société de prises de participation de l’Etat (SPPE), gérée par l’Agence France Trésor . L’Etat en garantit 40 milliards d’euros et les fonds de recapitalisation pourront atteindre 360 milliards d’euros .

Le gouvernement russe a prévu de recapitaliser les banques et entreprises du pays à hauteur de 15 % de son PIB, soit plus de 200 milliards de dollars.

Nous verrons plus bas les mesures annoncées par le gouvernement des Etats-Unis.

LA SOLUTION DE LA BAND BANK

 

La deuxième possibilité consiste à aider les banques à nettoyer leur bilan : celles qui ont accumulé dans leur actif des fonds basés sur des crédits (prêts) dont certains risquent de ne pas être remboursés, ou de l’être seulement en partie, doivent s’en débarrasser en les refinançant, pour les raisons suivantes.

 Leur ratio de solvabilité Cooke  est mauvais tant qu’elles gardent ces crédits, et les règles prudentielles Cooke limitent le total des prêts qu’elles peuvent accorder. Tout crédit qu’une banque refinance (c’est-à-dire revend) peut être remplacé par un nouveau crédit ; donc pour accorder de nouveaux crédits à des

 

emprunteurs dignes de confiance, la banque doit se défaire d’anciens crédits à risques.

 Les banques se sont souvent endettées pour pouvoir accorder les crédits aujourd’hui considérés comme « toxiques » du fait des risques de défaut. Elles doivent honorer leur promesse de rembourser les prêts, et le faire aux dates convenues.

 

Elles doivent donc soit se procurer des liquidités, soit refinancer ces prêts, par exemple en les rééchelonnant. A part l’Etat, aucun investisseur privé n’a envie d’apporter des liquidités à une banque qui possède trop d’actifs risqués. Et pour obtenir un refinancement ou un rééchelonnement, une banque doit inspirer confiance, ce qui est difficile si trop de ses actifs sont toxiques. En outre, le manque de confiance se paie par des taux d’intérêt bien plus élevés.

Le besoin d’honorer leurs échéances de remboursement malgré un manque de liquidités peut devenir si pressant que certaines banques sont prêtes à accepter des pertes en revendant à prix cassé certains actifs toxiques, ou à accepter une prise de contrôle par l’Etat (nationalisation partielle ou totale) si celui-ci apporte des fonds.

Le gouvernement des Etats-Unis a étudié la possibilité de créer une ou plusieurs "Bad Bank" (par exemple dans le cadre de l’agence de garantie des dépôts bancaires FDIC , banque d’Etat chargée de racheter aux banques privées leurs actifs à risques, puis de les revendre au fur et à mesure des possibilités, éventuellement après les avoir quelque peu nettoyés.

Une telle solution a prouvé depuis longtemps son efficacité et son coût ; exemples :

Aux Etats-Unis, à la fin des années 1980, elle a permis de sauver 747 caisses d’épargne spécialisées dans les prêts hypothécaires. Ces caisses étaient en difficulté pour s’être lancées dans des activités financières nouvelles pour lesquelles elles n’avaient pas la compétence. Ce sauvetage avait coûté 124 milliards de dollars aux contribuables américains .

En France, le Consortium de réalisation (CDR) a été créé en 1993 pour racheter les actifs à pertes du Crédit Lyonnais au prix de 28 milliards d’euros environ, suite au scandale de sa gestion calamiteuse par de hauts fonctionnaires, et s’en défaire au plus tôt. Le coût pour les contribuables français de ce scandale de gestion d’une grande banque par de hauts fonctionnaires irresponsables se chiffre donc en dizaines de milliards d’euros.

 

En Suisse, la Banque Nationale Suisse a décidé de racheter fin 2008 60 milliards de dollars d’actifs toxiques de la plus grande banque du pays, UBS. Elle financera cet achat par une émission d’obligations à court terme.

 

Chaque actif racheté peut être payé comptant ou à crédit, l’important pour une banque privée est qu’il sorte de son bilan.

Voyons donc comment on peut évaluer la valeur d’un actif composé de fonds communs de placement adossés à des prêts à risques.

 

Si le Trésor français ou américain doit racheter à une banque un actif à risque, le premier problème vient de ce que cet actif est invendable (ou seulement à prix cassé) sur le marché, parce que la proportion de défauts des prêts sous-jacents est inconnue et difficile à évaluer. Invendable, il est impossible de chiffrer objectivement sa valeur, nécessairement inférieure à sa valeur faciale (valeur du fonds lors de sa mise sur le marché). Le problème est très grave, car pour le Trésor américain le total d’actifs à racheter toutes banques confondues peut représenter plus de 1000 milliards de dollars.

Nous avons vu ci-dessus les inconvénients théoriques d’une estimation trop basse ou trop haute de la valeur d’un fonds repris.

La grande agence de notation américaine Standard & Poor’s a analysé début 2009 la valeur d’un fonds adossé à des prêts hypothécaires.

 

L’établissement de crédit propriétaire du fonds estime sa valeur à 97 % de sa valeur faciale, estimation basée sur l’espoir qu’il n’y aura que 3 % de défauts après déduction des intérêts rapportés par les remboursements honorés.

 

Il faut déplorer l’attitude générale d’opacité des banques, qui refusent de révéler des détails précis sur leurs actifs, accroissant ainsi la suspicion qui pèse sur eux. Il faudrait une loi obligeant les banques à révéler ces détails au gouvernement, pour qu’il puisse évaluer plus objectivement la valeur des actifs à racheter.

 S&P estime la valeur actuelle du fonds à 87 %, compte tenu du taux de défauts effectivement constatés, valeur qui pourrait baisser jusqu’à 53 % si la proportion de défauts doublait.

 Mais même l’estimation de 53 % pourrait être optimiste, compte tenu du fait que les ventes récentes de titres de ce fonds se sont faites à 38 % de sa valeur faciale : leurs propriétaires étaient prêts à accepter une grosse perte pour s’en débarrasser et se procurer de l’argent, et les investisseurs n’étaient acheteurs qu’à condition d’être pratiquement certains de faire une bonne affaire.

 

Il est évident qu’à long terme (10 à 30 ans) l’incertitude sur tous les prêts à risques disparaîtra, chacun ayant été soit remboursé soit déclaré en défaut. Progressivement donc et quel que soit le prix de rachat, le coût ou le bénéfice pour les contribuables sera connu. Dans le cas du fonds de l’exemple ci-dessus, adossé à 9000 prêts hypothécaires, près du quart des prêts sont déjà en défaut début 2009, les pertes sur ces prêts représentant en moyenne 40 %. Et dire que les agences de notation avaient au départ accordé à ce fonds la note AAA, l’estimant sans aucun risque !

On peut se faire une idée de l’enjeu pour le Trésor et les contribuables des Etats-Unis en songeant qu’il s’agit d’une différence de 97 %-38 % = 59 % sur des centaines de milliards de dollars. Les économistes estiment que le rachat des actifs toxiques coûtera plus que les 350 milliards de dollars restants des 700 votés par le Congrès le 18 septembre 2008 ; ils pensent que la somme nécessaire sera plus voisine de 1000 milliards de dollars, en plus des 787 milliards de dollars sur deux ans du plan de relance économique .  

Autre enjeu pour un gouvernement soucieux d’obliger une banque à avoir une politique de crédit qui soutienne l’économie, au lieu d’agir dans le seul intérêt de ses actionnaires : participer à son conseil d’administration, voire même en prendre le contrôle par nationalisation.

L’enjeu pour les banques est tout aussi crucial : si elles n’obtiennent pas assez d’argent du Trésor pour leurs actifs toxiques, non seulement leurs actionnaires peuvent y laisser leur chemise, non seulement elles peuvent manquer d’argent pour rembourser leurs dettes, mais après ce nettoyage de leur bilan elles auraient trop peu de fonds propres pour prêter autant que par le passé – sans même parler de prêter assez pour que l’économie redémarre.

 

ET LES CONTRIBUABLES ?

 

A part les pays pétroliers, aucun pays n’a, dans son Trésor public, les milliards nécessaires pour recapitaliser les banques et entreprises, et pour financer la relance économique. Tous les pays recourent donc aux marchés financiers  internationaux de capitaux, où ils empruntent ce dont ils ont besoin, en général en émettant des obligations que les investisseurs achètent ; en France, par exemple, l’Agence France Trésor (AFT)  gère quotidiennement des emprunts obligataires pour le compte du gouvernement.