A tous ceux  qui,  à l’approche des fêtes, retrouvent un peu de leur esprit d’enfance , je dédis ce récit d’un très vieux monsieur lotois  dont la plume  et l’esprit nous enchantent et font revivre pour nous la douceur des temps d’autrefois… Je publie cette histoire avec sa permission, elle l’a déjà été aussi dans un journal local, et j’espère qu’elle sera pour vous tous, amis lecteurs un joli cadeau de Noël

repas_chorale_2007_001.jpg« Dans nos campagnes, les grandes fêtes religieuses étaient vécues en famille. Noël surtout , en cette froide saison, mettait une douce chaleur au cœur des enfants qui se trouvaient étroitement entourés par les parents et les grands-parents durant les longues veillées , dans la seule pièce chauffée par la grande cheminée. Nous étions en vacances pour une dizaine de jours, pas de devoirs ni de leçons à étudier…

A la  maternelle, on avait répété « mon beau sapin » ; au catéchisme «  il est né le divin enfant ». A l’étalage de l’épicier, bonbons et jouets faisaient l’objet de bien des convoitises. En silence, chacun confiait son choix au  « petit Jésus » ou au Père Noël, qui devait passer dans la nuit…A l’église, la crèche dirigeait nos pensées vers cette étable lointaine  où Jésus avait souri à ses parents et aux Mages sous l’étoile qui les avait conduits.

Dans la maison, maman avait fait le ménage et mis le gros bouquet de houx sur le buffet, à côté du crucifix. Papa avait rangé le hangar et balayé les dernières feuilles de la cour. A l’étable, la jument, qui devait nous conduire à la messe de minuit, avait profité d’une toilette qui faisait reluire son beau pelage noir.

A la tombée du jour, la grosse souche de chêne était installée dans la grande cheminée devant l’antique plaque de fonte, selon la tradition : elle méritait le respect car ses racines étaient nourries de la même terre qui assure la vie de la famille de génération en génération. Ce soir, elle réchaufferait les petites mains des enfants et le cœur de la grand-mère – qui évoquerait le souvenir des bonnes cueillettes de glands, des vols de palombes qui s’y abritaient, de son ombre où venaient se reposer les brebis…Pendant que nous regardions le feu entamer lentement  cette masse énorme, maman préparait la dinde pour le lendemain, pétrissait un gros gâteau destiné à la tourtière.

Puis toute la famille prenait place pour le souper, un peu hâtif car il fallait être à jeun pour communier et aussi pour profiter de la veillée.Le chien et le chat, tout heureux de cette soirée de bonté, jouaient avec les petits. Papa nous racontait les noëls de son enfance ; grand-mère nous chantait quelques refrains en occitan, qu’elle tenait de son aïeule. On commentait les principaux évènements qui avaient marqué cette année la vie du village : naissances, mariages, décès, le départ d’un ami au régiment ou son retour, les récoltes et le gros orage de l’été…Puis venait l’heure du départ pour la messe.

Parents et enfants bien emmitouflés se serraient dans la carriole, éclairée d’une lanterne où vacillait la flamme de la bougie. Les trous et les ornières du chemin provoquaient de bons éclats de rire. Dans cette ambiance, nous arrivions à l’église toute illuminée. Le prêtre et les enfants de chœur apparaissaient devant l’autel, le « minuit chrétien » chanté avec ferveur ouvrait solennellement la fête, on se sentait heureux  d’être ensemble. Peu après, le carillon annonçait la naissance du divin enfant. Dans la liesse, le village entier vibrait de toute son âme et la messe terminée, on échangeait des vœux autour de la crèche.

Puis nous reprenions le chemin de la maison. La souche rougeoyante de braise avait dissipé la froidure habituelle, une légère fumée nous piquait un peu les yeux. Un bouillon chaud, quelques charcuteries ou des os de canard, sortis du chaudron, aussi quelques friandises composait le réveillon.Enfin, nous les enfants, nous nous enfilions dans le lit chauffé par le moine où l’on avait mis quelques braises. La maman nous avait avertis que le « petit jésus » ne passerait pas avant que nous soyons endormis et malgré nos efforts pour déceler un signe de son arrivée, nous étions vaincus par un sommeil profond.

Mais au réveil, quelle joie de découvrir dans nos sabots des friandises, des chocolats pliés dans du papier brillant et surtout le jouet tant convoité…Et nous allions de chambre en chambre faire part de notre joie à toute la famille !

Le repas de midi n’était pas moins solennel avec son imposant menu et la présence de quelques aïeux , derniers survivants d’anciennes familles du village.

Noël a façonné la douceur de nos premières années….N’ayant pas trouvé  place dans l’hostellerie, Jésus aurait-il choisi nos cœurs d’enfants pour son premier sourire ? »                                                           Marcel Redon ( 90 ans)