Le texte (version traduite) du magasine "Respekt" ne pouvait que retentir dans toute la presse tchèque, mais aussi française. Adam Hradilek, son auteur, travaille à l'Institut pour l'étude des régimes totalitaires. Selon lui, fiche de police à la main, l'écrivain français d'origine Tchèque, Milan Kundera, aurait, en 1950, dénoncé un espion à la solde de l'ouest, du nom de Miroslav Dvoracek. Reconnu coupable de haute trahison, celui-ci échappera à la peine de mort de justesse et sera soumis pendant 14 ans aux travaux forcés mais aussi à la privation de ses droits civiques pour dix ans. Il se verra également confisqué de tous ses biens.

La fiche de police exhumée par l'auteur existe bel et bien et correspond à Milan Kundera pour le nom, la date et le lieu de naissance mais son authenticité devra toutefois être confirmée, d'autant que des voix s'élèvent pour défendre l'écrivain. Elle a été diffusé en ligne sur un site internet.

Le texte du magasine Respekt est à charge. Il décrit d'abord le rapport de l'auteur du roman "La plaisanterie" avec son pays natal, dans lequel Milan Kundera ne se rend que très rarement, toujours incognito. il ne fait pas même traduire ses romans, écrits désormais en français, en tchèque. Lorsqu'il prend une chambre d'hôtel, se serait toujours sous un nom d'emprunt. Il a également défendu à tous ces amis de répondre à la presse et protège jalousement sa vie privée, ne donnant pas même d'entretien aux journalistes depuis des dizaines d'années. Pour Adam Hradilek, cette attitude cache quelque chose. Il s'empresse d'ailleurs d'expliquer pourquoi, en relatant l'histoire de Miroslav Dvoracek.

Miroslav Dvoracek était passé à l'ouest après les purges, effectuées par le régime, dans l'armée. L' école de pilote de l'air dont il faisait partie avait été dissoute. Transféré dans un régiment d'infanterie, il y prendra la décision de s'enfuir en Allemagne. Il ne reviendra qu'en tant qu'espion, avec de faux papiers. Passant par la fôret de Bohème il entre clandestinement en Tchéquie, camouflé dans un vêtement blanc pour être confondu avec la blancheur de la neige. Il passe la nuit dans une ferme, où passent habituellement les espions de l'ouest. Mais sa destination est Prague, où il devra entrer en contact avec un certain Vaclavik. C'est là qu'il rencontre une amie d'enfance, Iva Militka, qui le logera.

Cette amie et Milan Kundera ont un ami commun, Dlask, qui selon Adam Hradilek, aurait pu demander à Milan Kundera de le dénoncer à la police par jalousie, à moins que Milan Kundera ne se soit trouvé en indélicatesse avec le parti et n'ai trouvé là une manière de se racheter, suite à une correspondance avec un ami interceptée, laquelle contenait une critique du partie. Milan Kundera ne connaissait pas directement Miroslav Dvoracek, mais à cette époque, il était un communiste convaincu. Ne jugeons pas trop vite cette conviction : l'ambiance s'y prétait. Il avait pris la carte du parti communiste Tchèque et écrivait des poèmes à la gloire du socialisme, mais la piste d'un acte gratuit est plus ou moins exclu par l'auteur du texte. Il deviendra ensuite un "réformateur" et sera alors déconsidéré par le parti, qui l'expulsera. Il étudiait à ce moment-là à la Faculté de cinéma FAMU.

Miroslav Dvoracek cherchera sans succès Vaclavik et trouvera, à son retour chez son amie, deux policiers qui l'emmèneront pour l'interroger. Ce sera le début de son calvaire en détention, dans des conditions très dures ensuite.

Il faut lire le récit du magasine Respekt. Il est très instructif sur cette sombre époque. Les lettres étaient interceptées et tout passait par le parti. L'on pouvait se dénoncer joyeusement, parfois entre proches. Miroslav Dvoracek vit aujourd'hui en Suède et a toujours cru qu'Iva Militka l'avait trahi.

Mais il serait trop simple de s'arrêter là. Milan Kundera tout d'abord se défend de cette accusation, en déclarant à une agence de presse Tchèque "Je suis complètement pris au dépourvu par quelque chose à laquelle je ne m'attendais pas du tout, dont je ne savais rien hier encore et qui ne s'est pas produit. C'est un coup bas, je n'ai jamais vu, jamais rencontré cette personne. C'est tout ce dont je me souviens. "

L'authenticité du document de police pose déjà question. L'Académie de Littérature tchèque demande des preuves "tangibles" selon une dépèche AFP et l'écrivain tchèque Josef Skvorecky, dont la femme avait aussi été soupçonnée d'être une informatrice, déclare que "La police communiste et la police secrète sont des organisations toute-puissantes, incontrôlées et incontrôlables. Celui qui se fie à leurs archives comme aux Saintes Ecritures est un idiot".

Des historiens prennent aussi la parole. Pour l'un d'eux le document est très standard et devra être recoupé s'il est authentique avec le procès verbal de la déposition, qui doit se trouver quelque part, tandis qu'un autre rappelle que le romancier avait des responsabilités au sein d'une résidence étudiante, responsabilités qui l'obligeaient à informer la police de toute présence suspecte dans l'établissement.

Enfin pour un autre historien, Dlask aurait admis avoir dénoncé Miroslav Dvoracek, mais cela ne convainc pas plus de l'innocence de Milan Kundera, qui aurait pu, lui aussi, dénoncer à son tour l'espion de l'ouest. Dlask avait épousé par la suite Iva Militka.

Dans le roman "La plaisanterie", un personnage est arrêté pour avoir conclue une lettre par une plaisanterie : "L'optimisme est l'opium du genre humain ! L'esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski !". Une plaisanterie innocente, sauf pour le parti. En sera-t-il de même pour cette fiche de renseignement? Est-ce une manière de plaisanterie? On ne saurait dire encore si Milan Kundera a bien dénoncé Miroslav Dvoracek. Retenons également que l'affaire a plus de cinquante ans.

Mais si le tout est bien embrouillé, l'histoire est digne d'un roman.

Milan Kundera est né en 1929 à brno et est un écrivain et romancier connu et reconnu. Il est aussi l'auteur de "L'insoutenable légèreté de l'être", qui fut porté au cinéma.Il s'est installé à Paris en 1978.

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