La ministre de l’Économie est une récidiviste du mensonge. Après rappel de ses précédents faits d’armes en la matière, dissection de ses déclarations à propos du scandale Tapie.

On a l’habitude des mensonges de Christine Lagarde. On se souvient qu’en présentant la loi prétendument "pour le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat" (TEPA), elle avait eu cette phrase : "Selon la formule désormais célèbre, travailler plus permettra à chacun de gagner plus". Ou comment, par l’emploi de ce simple petit mot de "chacun" (pronom indéfini, désigne toute personne), affirmer que la défiscalisation des heures supplémentaires allait régler le problème du pouvoir d’achat de tous les Français, alors que la formule correcte aurait été de dire : "travailler plus permettra aux Français salariés auxquels leurs employeurs proposeront de faire des heures supplémentaires de gagner plus". Beaucoup moins vendeur mais stricte vérité : cette loi ne concerne évidemment en rien les salariés des entreprises qui n’ont pas besoin de faire effectuer davantage d’heures à leur personnel (par exemple à cause d’un carnet de commandes insuffisamment rempli), ni les indépendants, ni les professions libérales, encore moins les chômeurs et RMIstes, pas plus que les 1,3 millions de personnes (dont 80% de femmes) en temps partiel subi qui voudraient travailler plus (mais à qui leur employeur le leur refuse), suivant les chiffres récemment publiés par l’Observatoire des inégalités. Prétendre que chacun va pouvoir travailler plus et gagner plus est donc parfaitement mensonger.

logo bakchichDeuxième flagrant délit pour la ministre de l’Économie le jour où, interrogée par une journaliste de Bakchich.info, Virginie Roels, à propos d’un rapport de l’INSEE sur les niches fiscales des entreprises, elle répond : "je suis tout à fait intéressée par toute information dont vous disposeriez sur des niches fiscales à des centaines de millions d’euros". "Vous n’avez jamais entendu parler du rapport de l’INSEE ?", s’étonne Virginie Roels. Réponse alambiquée : "Des niches fiscales de centaines de millions d’euros au bénéfices des entreprises… j’aimerais bien avoir plus de clarifications. Donc si l’INSEE dispose de ces informations, je le lui demanderai. L’INSEE est un organisme indépendant qui exerce ses missions et qui rend ses rapports d’une manière indépendante. Je n’exerce pas de droit de contrôle, en l’état, sur l’INSEE. Mais je leur poserai la question." Le problème est que le rapport dont il est question, titré Les structures de groupe et les procédés d’optimisation fiscale, que Bakchich s’est procuré, a été conjointement élaboré par l’INSEE et la direction du Trésor, porte l’en-tête du ministère de l’Économie et a été présenté lors d’un symposium organisé à Bercy le 20 juin 2007 ! Lagarde est donc parfaitement au courant que le fisc français subit une perte chiffrée à 600 millions d’euros en cinq ans du fait des tours de passe-passe auxquels se livrent les grandes entreprises, via des paradis fiscaux. Mais la croisade contre la fraude menée par le gouvernement ne concerne pas cette hémorragie-là (lire Une lutte contre la fraude très sélective). Et la ministre feint donc de ne jamais en avoir entendu parler.

La dernière illustration de la propension de Lagarde à mentir comme un arracheur de dents est toute récente : après Bernard Tapie, elle prétend elle aussi que Nicolas Sarkozy n’est marlène blinpour rien dans la décision de faire appel à un "tribunal arbitral" pour régler le contentieux Adidas/Crédit lyonnais (résumé de l’affaire dans Bienvenue en monarchie bananière). Sur France 3 où elle est invitée lundi 28 juillet du 19/20 (vidéo ici), la pugnace Marlène Blin l’interpelle : "Quand on regarde la dernière décision de justice, le dernier jugement de la Cour de cassation en 2006 était plutôt favorable au Crédit lyonnais et donc à l’État, donc on peut s’interroger sur la pertinence d’être allé vers l’arbitrage…" La ministre énumère alors les avantages liés selon elle à cette voie (mettre fin à toutes les procédures d’un coup et "plafonner" les demandes à 300 millions d’euros maximum au lieu des trois milliards réclamés au total), puis à propos de la décision de justice dont parle Marlène Blin, assène : "Deuxième avantage, les arbitres ont jugé en droit, c’est-à-dire qu’ils ont examiné l’ensemble des décisions, y compris celle de la Cour de cassation, dont Monsieur Bayrou dit qu’elle est favorable. Elle est favorable sous de tout petits aspects et sur une seule procédure." Double mensonge ! Si les "arbitres" avaient examiné toutes les décisions, ils n’auraient pas accordé 45 millions d’euros à Tapie – somme jamais vue pour une personne physique, à mettre en parallèle, comme l’a fait François Bayrou, le président du Modem, avec les 45 000 euros que touche le veuf d’une victime de l’amiante – pour "préjudice moral". Quel peyrelevadeest le préjudice en question ? Lisons ce qu’en écrit Jean Peyrelevade, PDG du Lyonnais à l’époque (et aujourd’hui vice-président du Modem), sur son blog chez Médiapart : "il semblerait que je sois accusé d’avoir lancé une « violente campagne de presse » pour « discréditer », voire humilier M. Tapie auquel j’aurais ainsi créé un grave préjudice moral. Cette assertion est tout simplement fausse. La seule campagne dont j’ai souvenir date de septembre 1994. Il s’agit d’une publicité financière accompagnant la publication des comptes du premier semestre 1994. Le texte est titré « Pour changer la banque c’est maintenant ou jamais » puis « Votre banque vous doit des comptes ». Elle ne comporte, sur quatre colonnes, aucune allusion ni de près ni de loin à M. Tapie. Ce texte est simplement agrémenté, par une sorte de volonté d’autodérision, de trois dessins assez agressifs vis-à-vis du Crédit Lyonnais, parus antérieurement dans la presse nationale ou internationale (The Economist, Les guignols de l’info et Libération) et que nous avons reproduits. Celui de Libération faisait apparaître le Crédit Lyonnais et sous la bulle « Bon, plus que la cave et les greniers à nettoyer » un certain nombre de poubelles dont l’une marquée « MGM » et l’autre « Tapie ». Les trois arbitres semblent avoir oublié l’autorité de la chose jugée. M. Tapie a cru bon, à l’époque, d’attaquer le Crédit Lyonnais. Je crois me souvenir que c’était en diffamation. Il a été débouté par un jugement du Tribunal de Grande Instance du 22 décembre 1994." Voir la page en question ci-dessous :

cl changer la banque

Lagarde prétend aussi que la décision de la Cour de cassation "est favorable sous de tout petits aspects". Or que lit-on textuellement dans son arrêt ? "Aucune faute n’est en l’état caractérisée à l’encontre du Crédit lyonnais". La plus haute juridiction française, réunie en séance plénière sous l’autorité de son premier président, configuration particulièrement solennelle, blanchit totalement le Crédit Lyonnais ("aucune faute") et la ministre appelle ça "de tout petits aspects" ?

Le coup de grâce, enfin, quand Marlène Blin demande à Lagarde : "Est-ce que vous pouvez affirmer ce soir que Nicolas Sarkozy n’est pas intervenu dans ce dossier ?" et qu’elle répond : "Est-ce que vous croyez que j’ai une tête à être copine avec Bernard Tapie ? Point numéro un. Et est-ce que vous croyez que j’ai reçu des instructions pour protéger ? Non." Elle réitère très clairement l’affirmation dans Libération : "Je n’ai reçu aucune instruction de Nicolas Sarkozy". Respirons un grand coup et examinons la situation. "Les caisses sont vides", paraît-il. C’est le président qui le dit. Son Premier ministre se déclare pour sa part "à la tête d’un État en faillite". Prenant appui sur ce constat catastrophiste, le leitmotiv gouvernemental est de faire des économies et la Révision générale des politiques publiques sabre par exemple les dépenses du service public de façon éhontée. C’est ainsi qu’on décide de ne pas remplacer un fonctionnaire partant à la retraite sur deux. Par exemple dans l’Éducation nationale. Lorsque le ministre concerné, Xavier Darcos, annonce supprimer à la rentrée prochaine 13 500 postes, lui demande-t-on si l’Élysée est intervenu dans cette décision ? Non, parce que la réponse est évidente : si le président n’est pas là pour rendre ce type d’arbitrage, à quoi sert-il ? Surtout quand on connaît son interventionnisme forcené, résumé par le terme d’ "hyperprésidence". Or le montant de l’indemnisation accordé à Bernard Tapie, sans les intérêts, à savoir 285 millions d’euros, représente "la totalité de tous les salaires annuels des 15 000 postes d’enseignants qui vont être supprimés l’an prochain", comme le souligne François Bayrou. Lorsque les services du ministère de la Santé planchent sur un plan de rigueur pour les hôpitaux, afin de résorber les déficits, pose-t-on la question à Roselyne Bachelot de savoir si Sarkozy y est pour quelque chose ? Encore non : il est le chef de l’État et de la majorité UMP qui applique la politique qu’il définit et exécute ses ordres. Or si l’on compte l’indemnisation de Tapie augmentée des intérêts, qui devrait atteindre les 400 millions d’euros, elle "représente l’effacement du déficit de l’hôpital public en France. Tous les hôpitaux publics, comme vous savez, sont en déficit. Ça représente à peu près cette somme-là" (encore François Bayrou). Et la ministre de l’Économie veut nous faire croire que le président, sur l’affaire de confier la procédure à un "tribunal arbitral" puis sur la décision de ne pas faire appel de la sanction exorbitante qu’il a prononcée, n’est pas intervenu ? Foutage de gueule total !

Seulement admettre le rôle de Sarkozy dans l’histoire laisse planer le doute sur une récompense accordée par le prince à l’homme qui lui a fait allégeance lors de la campagne présidentielle. Comment expliquer autrement que Tapie se voit gratifié, une fois ses dettes épurées, d’un bénéfice net de 40 à 50 millions d’euros ? Parce que le Crédit lyonnais a été très méchant avec lui, il mérite de vivre dans la fortune et l’opulence jusqu’à la fin de ses tapie phocéajours ? "Rassurez-vous, il ne me restera pas de quoi racheter le Phocéa !" a le toupet d’ironiser l’obscène personnage, dans une interview au Parisien/Aujourd’hui en France, titrée Quelle violence contre moi ! (rien que ce titre…). Le pire de cette provocation, c’est que le luxueux quatre-mâts a été hypothéqué par l’affairiste en 1992 pour 95 millions de francs de l’époque, soit environ 14,5 millions d’euros : suivant ce calcul, il lui restera bien plus qu’il n’en faudrait pour le racheter !

Bien sûr que Sarkozy, dans cette affaire comme pour toutes les questions importantes du pays dont il s’est emparé de tous les leviers de pouvoir, est le décideur suprême. Laisser dire qu’il n’y est pour rien témoigne du lâche refus d’assumer ses responsabilités. Sa ministre de l’Économie, qui porte ici un chapeau bien trop grand pour elle, s’en fait la pitoyable complice. Elle n’a pas une tête à être la copine de Bernard Tapie, dit-elle. Mais alors, pour paraphraser Alain Badiou, "de quoi Christine Lagarde a-t-elle la tête" ?