Par : Ridha KEFI
«Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés». Cette phrase de Georges Clemenceau, le général Charles de Gaulle aimait la répéter, car il a eu lui-même l’occasion d’en vérifier la véracité et d’en tirer aussi les conséquences, en décidant de se retirer du pouvoir après les émeutes de Mai 68 et le «non» assourdissant que les Français lui ont lancé au référendum du 27 avril 1969. Peu de temps avant sa mort (survenu le 9 novembre 1970), l’ancien président français répondit à un journaliste qui lui demandait simplement «Comment allez-vous ?»: «Je vais bien, mais rassurez-vous, je ne manquerai pas de mourir».
Peu d’hommes après de Gaule, surtout au sud et à l’est de la Méditerranée, ont eu la clairvoyance et le courage de cet homme d’Etat d’exception. Car, il n’est pas toujours facile de tirer sa révérence quand on est au faîte du pouvoir et de la gloire et qu’on a vécu dans la certitude qu’on est indispensable aux siens et qu’après soi ce serait l’anarchie absolue, sinon la fin du monde.
Cette clairvoyance et ce courage ont malheureusement manqué à notre Habib Bourguiba national, dont on vient de célébrer le huitième anniversaire de la mort, et qui a achevé son interminable règne (trente-trois ans tout de même !) d’une manière affligeante dont les Tunisiens gardent un souvenir amer.
On a cité Bourguiba parce qu’il représente l’exemple le plus parlant pour nous. Mais on aurait pu citer beaucoup d’autres chefs d’Etat qui ont lamentablement raté leur sortie eux aussi, comme le chah Mohamed Reza d’Iran, ou encore les présidents égyptien Sadate, Ivoirien Houphouët-Boigny, Indonésien Suharto, Mauritanien Mouaouia Ould Ahmed Taya… Plus près de nous, le président zimbabwéen Robert Mugabe est en passe de rater la sienne en s’entêtant à ne pas reconnaître sa défaite à l’issue d’une élection qu’il a pourtant eu le courage d’organiser à la loyale.
Cette question de la succession ne se pose pas seulement au niveau des Etats. Elle se pose aussi, particulièrement chez nous, au niveau des partis politiques, qui sont souvent dominés par leurs fondateurs et leaders maximo, qui les utilisent souvent comme des appareils exclusivement voués à la défense de leur leadership et à la réalisation de leurs ambitions personnelles de pouvoir. D’où les luttes intestines qui divisent ces partis, provoquent des scissions en leur sein et menacent parfois de les faire imploser. D’où aussi leur faiblesse, leur marginalité et leur incapacité à jouer le rôle qui leur est dévolu : celui de rassembler les gens autour d’un ensemble d’idées, d’objectifs et de programmes visant à régénérer les forces vives du pays.
Ce constat est malheureusement valable aussi pour bon nombre d’organisations et d’associations, où la passation du pouvoir entre les hommes, mais aussi entre les générations, alimente parfois des luttes fratricides. Ces luttes, pour légitimes qu’elles puissent être dans une démocratie, dépassent parfois le cadre du débat d’idées et dégénèrent en conflits personnels où tout est permis : croche-pieds, coups bas, insultes et déballage de linge sale sur la place publique. Il arrive même que le bébé soit jeté avec l’eau du bain… Combien d’organisations et d’associations ont payé – pour ainsi dire – de leur «vie» l’entêtement de leur premier responsable à garder le gouvernail au-delà de toute raison ?
Cette question de la succession se pose d’ailleurs aujourd’hui avec la même acuité au niveau des entreprises privées. Sachant qu’en Tunisie, 70% entreprises sont de type familial, que 80% des groupes sont aussi de propriété familiale et que bon nombre de ces entreprises et ces groupes sont gérés – jusqu’au dernier souffle – par leurs fondateurs même, des patriarches qui pensent être indispensables à vie – et même, si possible, dans l’au-delà -, on imagine l’intérêt qu’il y a aujourd’hui à assurer une succession sans déchirements à la tête de ces cellules de création et de production dont dépend la pérennité (et donc la régénérescence) de notre tissu «entrepreunial» national, garant du dynamisme et de la prospérité de notre économie.
«Les cimetières sont remplis de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés», disait donc Georges Clemenceau. «Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions», dit aussi un fameux proverbe français.
Édito de Ridha KEFI – L’EXPRESSION du 11 – 17 avril 2008
Par : Ridha KEFI
«Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés». Cette phrase de Georges Clemenceau, le général Charles de Gaulle aimait la répéter, car il a eu lui-même l’occasion d’en vérifier la véracité et d’en tirer aussi les conséquences, en décidant de se retirer du pouvoir après les émeutes de Mai 68 et le «non» assourdissant que les Français lui ont lancé au référendum du 27 avril 1969. Peu de temps avant sa mort (survenu le 9 novembre 1970), l’ancien président français répondit à un journaliste qui lui demandait simplement «Comment allez-vous ?»: «Je vais bien, mais rassurez-vous, je ne manquerai pas de mourir».
Peu d’hommes après de Gaule, surtout au sud et à l’est de la Méditerranée, ont eu la clairvoyance et le courage de cet homme d’Etat d’exception. Car, il n’est pas toujours facile de tirer sa révérence quand on est au faîte du pouvoir et de la gloire et qu’on a vécu dans la certitude qu’on est indispensable aux siens et qu’après soi ce serait l’anarchie absolue, sinon la fin du monde.
Cette clairvoyance et ce courage ont malheureusement manqué à notre Habib Bourguiba national, dont on vient de célébrer le huitième anniversaire de la mort, et qui a achevé son interminable règne (trente-trois ans tout de même !) d’une manière affligeante dont les Tunisiens gardent un souvenir amer.
On a cité Bourguiba parce qu’il représente l’exemple le plus parlant pour nous. Mais on aurait pu citer beaucoup d’autres chefs d’Etat qui ont lamentablement raté leur sortie eux aussi, comme le chah Mohamed Reza d’Iran, ou encore les présidents égyptien Sadate, Ivoirien Houphouët-Boigny, Indonésien Suharto, Mauritanien Mouaouia Ould Ahmed Taya… Plus près de nous, le président zimbabwéen Robert Mugabe est en passe de rater la sienne en s’entêtant à ne pas reconnaître sa défaite à l’issue d’une élection qu’il a pourtant eu le courage d’organiser à la loyale.
Cette question de la succession ne se pose pas seulement au niveau des Etats. Elle se pose aussi, particulièrement chez nous, au niveau des partis politiques, qui sont souvent dominés par leurs fondateurs et leaders maximo, qui les utilisent souvent comme des appareils exclusivement voués à la défense de leur leadership et à la réalisation de leurs ambitions personnelles de pouvoir. D’où les luttes intestines qui divisent ces partis, provoquent des scissions en leur sein et menacent parfois de les faire imploser. D’où aussi leur faiblesse, leur marginalité et leur incapacité à jouer le rôle qui leur est dévolu : celui de rassembler les gens autour d’un ensemble d’idées, d’objectifs et de programmes visant à régénérer les forces vives du pays.
Ce constat est malheureusement valable aussi pour bon nombre d’organisations et d’associations, où la passation du pouvoir entre les hommes, mais aussi entre les générations, alimente parfois des luttes fratricides. Ces luttes, pour légitimes qu’elles puissent être dans une démocratie, dépassent parfois le cadre du débat d’idées et dégénèrent en conflits personnels où tout est permis : croche-pieds, coups bas, insultes et déballage de linge sale sur la place publique. Il arrive même que le bébé soit jeté avec l’eau du bain… Combien d’organisations et d’associations ont payé – pour ainsi dire – de leur «vie» l’entêtement de leur premier responsable à garder le gouvernail au-delà de toute raison ?
Cette question de la succession se pose d’ailleurs aujourd’hui avec la même acuité au niveau des entreprises privées. Sachant qu’en Tunisie, 70% entreprises sont de type familial, que 80% des groupes sont aussi de propriété familiale et que bon nombre de ces entreprises et ces groupes sont gérés – jusqu’au dernier souffle – par leurs fondateurs même, des patriarches qui pensent être indispensables à vie – et même, si possible, dans l’au-delà -, on imagine l’intérêt qu’il y a aujourd’hui à assurer une succession sans déchirements à la tête de ces cellules de création et de production dont dépend la pérennité (et donc la régénérescence) de notre tissu «entrepreunial» national, garant du dynamisme et de la prospérité de notre économie.
«Les cimetières sont remplis de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés», disait donc Georges Clemenceau. «Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions», dit aussi un fameux proverbe français.
Édito de Ridha KEFI – L’EXPRESSION du 11 – 17 avril 2008
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