Bénéficiant d'une mesure de grâce prononcée avec générosité (?) par le Président tchadien, Idriss Déby, les six membres de l'Arche de Zoë sont libres depuis hier. Mais l'affaire est pourtant loin d'être éclaircie et de nombreuses questions gênantes restent posées.

Condamnés le 26 décembre 2007 par la Cour criminelle de N'Djamena à huit ans de travaux forcés pour "tentative d'enlèvement d'enfants", les six Français de l'Arche de Zoë avaient été incarcérés en France, leur peine adaptée en huit ans de prison. Seul le Président tchadien, Idriss Deby, possédait le pouvoir de les gracier : c'est chose faite, les voilà libres depuis lundi dernier. Mais cette décision laisse en suspens de nombreuses questions.

La grâce n'est qu'une "dispense d'exécution de peine" mais n'annule en rien ladite peine, qui restera inscrite au casier judiciaire des six membres de l'association prétendument humanitaire, si leur appel n'aboutit pas. Autrement dit, ils sont toujours considérés comme coupables. Au nom de quoi, alors, le dirigeant tchadien prend-il le risque politique de les faire libérer, quitte à déchaîner la fureur de son opinion publique, très remontée contre ceux qu'on désigne en Afrique comme des néocolonialistes ? Y aurait-il là comme un remerciement au Président Sarkozy, pour le coup de main contre les rebelles qui ont fait vaciller Déby début février, l'armée française ayant alors soutenu son pouvoir menacé ? Il avait fait savoir qu'il était "prêt à pardonner" aux membres de l'Arche quelques jours plus tard…

S'agit-il d'une histoire de gros sous ? Qui va payer les 6,3 millions d'euros toujours dus aux familles des 103 enfants tchadiens ? Cette question "n'est pas concernée par la grâce", insistent les autorités africaines. Mais problème : selon l'avocat de l'un d'entre eux, les membres de l'Arche de Zoé "n'ont pas les moyens de payer quoi que ce soit". La France mettra-t-elle alors la main à la poche ? "Hors de question !", tranche sur France Inter le Premier ministre François Fillon. Tout cela n'évoque-t-il pas un peu la libération des infirmières bulgares, "sans compensation" selon la version officielle de l'Elysée ?

Quoi qu'il en soit, les graciés n'en ont pas fini avec la justice, puisque quatre d'entre eux sont encore mis en examen pour "exercice illégal de l'activité d'intermédiaire en vue d'adoption", "aide au séjour irrégulier de mineurs étrangers en France" et "escroquerie". Les procès à venir livreront-ils la vérité sur les liens entre l'Arche de Zoë et des laboratoires de recherche en médecine et en pharmacie, dans l'organigramme desquels on trouve le nom de François Sarkozy, frère cadet du Président ? On se souvient que ce dernier s'était rué à N'Djamena en novembre 2007, sitôt que l'affaire avait éclaté, pour nous jouer Sarko Assistance, rapatriements express, en ramenant dans l'Airbus présidentiel les trois journalistes arrêtés en compagnie des membres de l'Arche. Et qu'il avait même déclaré : "J'irai chercher ceux qui restent, quoi qu'ils aient fait". Alors qu'on compte environ 1700 Français détenus à l'étranger, que signifie cette précipitation et l'intérêt exorbitant accordé à ce dossier ? Oui, vraiment, beaucoup de questions restent à élucider. On nous cache tout, on nous dit rien ?