Les banlieues, ces ghettos qui n'osent pas dire leur nom, véritables verrues à la face de notre société, nous explosent de temps à autre en pleine figure, car nous nous voilons la face et nous refusons d'entendre leurs douleurs. De temps à autre, nous envoyons la police, et nous nous en lavons les mains. Jusqu'à la prochaine explosion.
Les cités sont des zones de non-droit – où se concentrent les pires problèmes de notre société – , le symbole de l'échec de nos politiques , le dépotoir de tous les malaises qu'on ne traite pas en profondeur, la honte qu'on s'évertue à cacher, le point de fixation de tous les maux qu'on ne veut pas voir et encore moins traiter à la racine, le lieu où plus personne n'ose entrer, pas même les employés des services publics, les médecins, les pompiers, voire les forces dites de l'ordre. Surtout depuis qu'un gouvernement imbécile – devinez lequel – a chassé ceux qui quadrillaient les quartiers pour mieux connaître la population, établir des liens de confiance avec elle, et prévenir les embasements. Je connais d'autant mieux la question que j'ai réalisé le premier reportage, à la télévision française, sur les îlotiers, ces policiers travaillant au contact des habitants. L'idée de police de proximité, proche des citoyens, date de cette époque là – les années 80, si ma mémoire ne me trahit pas.
Les jeunes des banlieues sont marqués au fer rouge. Le sceau de l'infâme, quand ils cherchent un emploi ou un logement…. Et ce n'est pas la nomination d'une fille de la cité au gouvernement qui changera la donne. Parce que les discriminations dont sont victimes les jeunes, finalement, ça n'intéresse personne. Il n'y a pas de pétrole dans les cités, pas de sur-doués – en tous cas on n'essaie pas trop de les trouver – , pas de jeunes loups comme on en raffole aujourd'hui, non il y a seulement des gamins qui survivent en mettant en place une économie parllèle, la débrouille des pauvres, des pas-de-chance, des relégués, des marqués… des pestiférés. Laissons-les s'entretuer, s'il le faut, mais surtout pas touche à mon policier, si d'aventure il s'égare dans le ghetto de pauvres.
Les gangs américains, je les ai bien connus. Oui, j'ai vécu au milieu des guerriers du Bronx. Pas mal, pour l'ambiance. Chaud, très chaud. Et haut en couleurs.
C'était dans les années 80 . Deux voyages pour partir à la recherche des gangs de West Side Story ; Pas difficile, pour une journaliste, de pénétrer dans le milieu : Les jeunes aiment qu'on parle d'eux ; ils existent, enfin ! Pas difficile non plus aux Etats-Unis quand on est, comme moi, une "born again" – et c'était plutôt rare à l'époque. Textuellement, cela veut dire "née de nouveau". Par le Saint-Esprit, et grâce aux Eglises Pentecôtistes, que j'ai depuis quittées parce qu'elles sont sectaires, fanatiques, repliées sur elles-mêmes, et foncièrement sympathisantes de l'Amérique bushiste néo-conservatrice et ultra-sioniste. J'en ai gardé la foi vivante, j'ai laissé tomber les excès. En tous cas, le fait d'être une "born again", dans l'Amérique puritaine, m'a ouvert toutes les portes : Celle des missionnaires vivant au milieu des jeunes, comme celle des policiers de l'Unité anti-gang, avec qui je patrouillais en compagnie de mon mari et même de notre fils de deux ans, lors du deuxième voyage – j'ai séjourné au milieu d'eux, en plein coeur du Bronx, de Brooklynn et du Queens, pendant deux longs mois.
Et c'est ainsi que je me suis retrouvée, grâce aux aides gentiement fournies,
au milieu des bandes de gosses paumés, rejetés de partout, écrasés de douleur et de désespoir, à la recherche d'une identité, d'une reconnaissance qu'ils ne trouvent plus qu'en semant la terreur dans les quartiers, en se proclamant membres d'un gang et maîtres d'une parcelle de territoire en ruines, ou en devenant les caïds d'une prison quand ce n'est pas en glorifiant leur propre mort au combat – les jeunes tués au cours d'une équipée sauvage deviennent les héros du bitume américain. Aux Etats-Unis, on a les héros qu'on peut, du désert texan ou du macadam éventré. Ici, on est en plein dans la culture de la violence chère aux Américains, du colt ou du poignard.
Et parfois, justement, tel est le paradoxe de ce pays où Dieu fait bon ménage avec les dollars, l'opulence, la misère et la violence, brusquement surgit un jeune qui a troqué le poignard contre la croix, et ces conversions flamboyantes sont la fierté de l'Amérique évangélique, elles entraînent à leur tour de radicaux changements de vie à la chaîne. N'essayez pas de comprendre les Yankees : ils sont déroutants. Avec eux, vous passez sans transition de Manhatan au Bronx, des arrogantes tours d'acier et de verre aux immeubles délabrés, à bout de souffle, s'épaulant l'un l'autre comme pour défier encore le temps, – et des guerriers des rues aux convertis zélés. J'ai personnellement séjourné chez un membre de gang devenu policier puis missionnaire, et revenant à la case départ après moult péripéties.
Les gangs sont multicolores, pluri-ethniques, noirs, hispaniques, jaunes, et même blancs, irlandais. Ils se livrent une lutte sans merci pour la possession d'une parcelle de terre à moitié calcinée, ou pour la vente des drogues qui leur procureront ensuite, au milieu des ruines, la sensation de voyager, de dépasser l'horizon de leur misère sans remède.
Qui connaît le désespoir de ces jeunes, privés d'enfance et d'avenir ?
Privés de passé comme de présent, aussi . Avant de les stigmatiser
quand, dans leur rage de vivre, ils cassent les abri-bus, souvenez-vous qu'ils n'ont plus de père, pas de foyer véritable, ou une famille brisée par l'alcool, et souvent une mère très jeune dépassée par les grossesses à répétition et les charges familiales qui, pour survivre et nourrir ses enfants, est parfois obligée de se prostituer. Quand le gamin de deux ans est attaché à son lit toute la journée en attendant le retour de sa mère, il accumule de la haine, qu'il déversera plus tard sur les équipements publics, ses congénères ou sur le passant qui résistera quand il lui prendra de quoi payer sa dose.
Lorsqu'on n'a pour horizon, dans les rues des grandes villes américaines ou dans les cités-dortoirs françaises, que des murs étroits, gris, sales, lépreux, et la stigmatisation, et le chômage, et le racisme, et l'échec scolaire, et l'alcool, et la violence, et l'incompréhension, et les contrôles d'identité, et les coups, et le mépris, et la relégation, et le ghetto, et le vide, et le désespoir, et l'absence de considération ou de perspectives… vous vous étonnez, ensuite, si ça explose ?
Vous vous étonnez, si le gamin qui est victime d'une bavure policière ou d'un dysfonctionnement de la société, va ensuite provoquer dans le quartier des réactions en chaîne ?
Vous êtes surpris, si la cité explose lorsqu' elle voit que les délinquants en col blanc, grâce à Sarkozy, pourront désormais commettre des délits d'initiés sans être punis, alors que les jeunes n'ont droit qu'à la répression pour toute réponse ?
Que fait-on pour prévenir le mal.. à sa source ? Pour prendre véritablement à bras-le-corps le problème des banlieues, oui, véritablement, c'est-à-dire pas avec des mots ou des mesures-bidons, mais avec des mesures qui traitent réellement le problème à la base, la racine du mal de vivre, du désespoir ou des frustrations ? Je ne suis pas là pour m'ériger en conseillère des politiciens qui ont trop longtemps démissionné, ou qui ont proposé des solutions qui ne tiennent pas compte des réalités sur le terrain. Il y a des experts pour cela. Et je vous suggère la lecture du livre "banlieues, de l'émeute à l'espoir". Dans cet article, j'ai simplement voulu aborder un instant la souffrance des jeunes desesperados des banlieues françaises, ou des ghettos américains.
Ensuite, il ne faut surtout pas s'imaginer que les cités ne sont que des lieux à problèmes. J'y ai été, notamment pour porter, au moment de Noël, des jouets aux enfants qui en sont privés, ou afin de distribuer, ici une couverture, là un sourire, ailleurs des vêtements, ou tout simplement pour échanger l'amitié autour d'une tasse de thé, quand ce n'est pas afin de trouver un dépanneur bénévole pour la télé en panne. Et je peux vous dire une chose : dans les cités, oui, là, il y a une immense solidarité, des élans du coeur, de la générosité, de la fraternité, toutes sortes d'initiatives, émanant du grand frère, de la soeur qui réussit, ou de la maman seule mais épaulée par toutes ses voisines, et qui veulent tous faire de leur quartier, en dépit de toutes les difficultés, un lieu où il fait bon vivre, fraternel, chatoyant. Ici, ce sera le gâteau d'anniversaire partagé avec les voisins de palier, ou le couscous, et ailleurs la douleur d'une maman qui perd son enfant prise en charge par les habitants comme si c'était le leur.
Enfin, la troisième chose que je voudrais encore vous dire, c'est qu'à Marseille, ville où pourtant la pauvreté est un fléau, les banlieues n'explosent jamais ; Je le sais, j'y ai vécu plus de dix ans. Et pourquoi cette spécificité ? Parce que la banlieue est intégrée dans la ville ; Elle n'est pas " à part ", une entité extérieure menaçante, mais elle fait partie de Marseille. On habite les quartiers nord – plus pauvres – ou les quartiers sud – plus bourgeois – , mais tous se sentent citoyens de la même ville. Et c'est très important. Ensuite, il existe à Marseille des myriades d'associations, de soutien, d'entraide, sportives, culturelles, et même une pour réunir fraternellement les différentes confessions religieuses, " Marseille Espérance " , et qui transmet des paroles apaisantes pour désamorcer les tensions ponctuelles. Enfin, les Marseillais vivent dans une ville paradisiaque : ensoleillée 330 jours par an, jouxtant la mer, et l'été, des hordes de gamins déferlent sur les plages aménagées, vont patauger, rafraîchir leur ennui éventuellement, et des activités sont organisées à leur intention, bref les habitants des quartiers nord sont intégrés dans leur cité – Marseille. Un exemple pour tous.
Pour terminer, mes amis, parmi mes rêves – Victor Hugo disait que si on réalise le dixième de ses rêves, on a bien vécu – je voulais partager la fraternité multicolore, chatoyante, des habitants des cités. Je ne l'ai pas encore réalisé ! Qui sait, un jour ? Ceci pour vous dire qu'on peut aussi avoir envie de vivre dans les cités, par choix, par plaisir. Pour faire sauter les ghettos. Au moins un ! Les ghettos ne sont-ils pas aussi dans nos têtes ?
Illustration 1 : livre: BANLIEUES, DE L’EMEUTE A L’ESPOIR
Posted in 1 – Nouveautés, 4 – REGAIN DE LECTURE, 4.3.1 – Collection L'Écrit d'alarme by admin on the juin 2nd, 2007 éditions Corsaire Yves BODARD Préface de Jean-Pierre Rosenczveig Collection L’écrit d’alarme 16 € isbn 978-2-35391-000-7 Gencod 978235391000
Illustration 2 : http://nanarland.com
illustration 3 : http://fluctuat.net, film Bronx-Barbès
Illustration 4 : http://syti.net "l'embrasement des banlieues est, (entre autres), le résultat de l'exaspération"