Réalisateur : Michael Dudok de Wit
Date de sortie : 29 juin 2016
Pays : Belgique, France, Japon
Genre : Animation
Durée : 80 minutes
Budget : NC
Casting :
Un homme en pleine mer s’échoue sur une île déserte. Sur ce morceau de terre perdu dans l’immensité océane vivent uniquement des tortues, des crabes, des phoques et quelques oiseaux, bref l’homme est seul et désemparé. Après de multiples vaines tentatives pour quitter cette prison à bord d’un radeau de fortune, il se rend compte qu’une étrange tortue rouge est à l’origine de ses échecs. Plein de rage sur la plage, il retourne la tortue sur sa carapace la promettant à une mort certaine. Pris de remords, il la sauve et, au bout d’une longue convalescence, elle se transforme en une jolie femme à l’épaisse chevelure rousse.
Ce que l’on retient tout premièrement de cette Tortue Rouge c’est son minimalisme. Le décor unique, un petit morceau de terre dans la mer, le point de départ du scénario, celui d’un naufragé, le style graphique très épuré avec des visages proches de la BD belge où les yeux sont représentés par des points noirs, l’absence de nom et les dialogues inexistants, juste des onomatopées, rendent le film universellement compréhensible. L’homme n’a pas de passé non plus, on ne connaîtra jamais la raison de l’accident qui l’a conduit ici, ni son métier, ni s’il a de la famille, des amis, des proches. Cet homme est un nouveau né, une nouvelle vie s’offre à lui et c’est là que le film prend tout son sens. Bien plus qu’une simple histoire de survie dans un milieu hostile vu et revu, ici on ne s’intéresse pas à comment il survit mais comment il coexiste avec ce monde étranger et sauvage. La Tortue Rouge est un véritable conte. Pas seulement pour les enfants mais également pour les plus grands. Le fantastique se mêle au réel pour narrer une véritable ode à la vie. L’île est une métaphore et offre une double lecture à ce récit.
Nous suivons le parcours existentiel de cet homme et toutes les étapes de la vie y passent. Joie, désillusion, regret, amour, nostalgie, paternité, vieillesse, témérité, résignation, la vie de couple, voir son enfant quitter le nid, exploration et bien sur, la mort. De très belles scènes illustrent tous ces moments à l’image de cette séquence où la jeune femme se débarrasse de sa carapace dans la mer tandis que l’homme fait de même avec son radeau, une symbolique signifiant qu’ils abandonnent leur individualisme et leur projet personnel pour vivre ensemble. Ou bien celle au crépuscule de sa vie où sur la plage, face à un coucher de soleil, les deux amants entament une dernière danse. La mort est présente dès les premières minutes, l’homme échoue dans une crevasse et manque de peu de se noyer. Les animaux aussi meurent, que ce soient les crabes, les poissons ou les phoques. Cependant la Nature fait bien les choses car ces cadavres sont utiles pour les vivants, pour se nourrir et se réchauffer, une forme de recyclage biologique.
Véritablement enchanteur, l’oeuvre du dessinateur néerlandais nous enveloppe dans une ambiance douce, pleine de pudeur mais réaliste et cruelle par moment. Graphiquement, c’est une alliance parfaite du numérique et de l’artisanal avec des dessins au fusain, ce qui donne un léger aspect granuleux à l’écran. Tout comme les mouvements, filmés au préalables avec des acteurs et redécomposés ensuite sur le papier. La musique se substitue parfaitement à la parole, elle donne le rythme, instaure des climats en faisant peur, émouvoir ou encourager. Les très jolies embardées lyriques apportent une puissance à faire frémir. On est proche de ce que l’on peut trouver dans les compositions des oeuvres du studio Ghibli. Ce n’est pas une surprise. Tout l’ADN de la maison nippone est contenu dans La Tortue Rouge, fruit d’une collaboration exceptionnelle car pour la première fois elle produit un auteur non japonais.
La Tortue Rouge résulte d’un travail de longue haleine. Presque 10 ans à mettre en place à cause d’un premier jet refusé et remanié par De Wit, sommité de l’animation, surtout du court métrage, déjà cesarisé et oscarisé entre autres. Il signe avec La Tortue Rouge son premier long après de nombreuses petites pépites pleines de poésie. Ce film est une fable où il faut croire à l’incroyable, garder une âme d’enfant, rejeter la réalité et les conceptions cartésiennes qui transformeraient cette jolie histoire d’amour en un délire issu d’un cerveau malade, seul et sans repère qui est en train de s’imaginer une vie idéale.