C’est une sorte d’ovni qui est monté, via La Poste, du rez-de-chaussée : un livre-album surprenant, rare, et qui vous sera cher. Il m’apportait de plein pied près de 66 photos de jeunes chinoises qui ne l’étaient pas moins (ainsi prises, pour la plupart, hormis quelques-unes, en plan américain ou autre). L’auteure en est Laura Mate, une Anglaise, bilingue (elle parle aussi visuel car elle est photographe), comme ce livre mettant en regard une brève évocation de chaque personnage posant dans son environnement habituel.
Half the Sky, xxist Century China Girls, publié par La Chienne éditions (Bitch Publishing, désormais, aussi) à Lille, est un hommage aux Pékinoises.


Elles forment plus du dixième du monde mais aussi la moitié du ciel, de l’Empire du Milieu. Laura Mate en a rencontré quelques-unes, à Pékin, mais il s’agit bien de Chinoises car tout comme Paris s’est peuplée de provinciaux, la capitale chinoise a drainé de nombreuses jeunes femmes de partout. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur une carte et la liste des noms des modèles et de leurs origines. Laura Mate, qui vivait alors à Pékin, est une photographe anglaise qui aborde tout juste la trentaine, réside à Paris, et qui était en empathie avec ces jeunes femmes, âgées de 18 à 30 ans pour la plupart.

Le livre rend compte de la diversité de leurs conditions et de leurs aspirations. C’est un ouvrage bilingue puisque les noms propres sont déclinés en idéogrammes et translittérés en anglais  « transatlantique » ; le texte, en anglais, donne en quelques courts paragraphes la quintessence des entretiens accordés. Laura Mate a sans doute principalement fréquenté l’intelligentsia artistique et entrepreneuriale féminine émergente qui doit être son milieu naturel occidental (artistes, journalistes, musiciennes, décoratrices, créatrices de mode, stylistes, éditrices…) mais aussi ces femmes « de la rue » que sont les simples employées ou vendeuses, ou leurs jeunes patronnes qui ont pu se mettre à leur propre compte.

 

La mise en page, de Jean-Jacques Tachdjian (ce qui me vaut d’avoir reçu le livre et de rencontrer bientôt Laura Mate, merci Jiji), graphiste et créateur d’alphabets (dont celui de la titraille du livre, non sinisante mais évocatrice), est en adéquation avec la tonalité de chaque image, tant pour les couleurs que… la stature, voire la personnalité de chaque personnage. Chaque page bénéficie d’une approche individualisée, l’ensemble conférant à l’ouvrage tant une intimité, une proximité qui vous rend familières ces jeunes femmes, qu’un étrange sentiment d’être dans leur univers qui, sauf à avoir fréquenté Pékin, nous est doublement exotique. La modernité de cet Orient extrême n’est pas transcontinentale ou typée de la même manière que le Japon contemporain, devenu presque familier.

 

Techniquement et créativement, Laura Mate a varié les approches. Photographe d’objets (mode et décoration), de mode (pour des magazines féminins), elle ne s’est pas toujours départie de ses réflexes quand les univers étaient proches de ses pratiques habituelles, mais elle n’a pas abordé les autres à la manière du photojournalisme « efficace ». Bien sûr, on songe parfois à la touche Vu’ (de l’agence Vu’, de Caujolle et consorts des débuts) empreinte de justesse non esthétisante. Mais il s’agit de vraies rencontres, uniques, entre femmes, entre elle et chacune. Il y a un côté photographe qui fait des clichés de copines sans chercher à faire une photo qui finirait dans un album autre que de famille. À d’autres rares occasions, le flou est assumé pour rendre compte d’une attitude, d’un détail caractéristique…  Il en ressort un récit urbain (genre Lisa Alther fait l’album de ses Kinflicks et de ses roomates) emprunt de bienveillante urbanité

 

« Qu’elles aient en tête de fonder des empires commerciaux ou financiers ou aient parcouru des milliers de kilomètres pour devenir serveuses, j’ai trouvé leurs histories tout autant captivantes, » indique-t-elle sur son site et dans une brève introduction aux portraits.  Elles ont certainement su lui insuffler leur enthousiasme…

Mate, Laura Claire, Half the Sky – xxist Century China Girls, 136 p., format 18 × 24,5, couv. cartonnée, La Chienne éd., Lille 2010, ISBN 978-2-9535052-4
L’ouvrage est disponible en divers lieux dont, à Paris, la librairie Flammarion du Centre Pompidou ou Violette & Co , la librairie des « filles et des garçons manqués ». On le trouve aussi dans certaines galeries d’art ou des librairies graphiques et bien sûr auprès de l’éditeur.

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