Trente huit témoins, société autiste…

 

Inspiré du meurtre de Kitty Genovese perpétré en 1964 à New York par un tueur en série, trente huit témoins, le film de Lucas Belvaux nous renvoie brutalement à la figure et en vrac, toute une palette troublante des faiblesses inhérentes à la nature humaine.

Un odieux crime transposé dans cette étrange ville portuaire du Havre, en une sinistre nuit déserte, à l‘heure où les gens roupillent, où les gens sont égoïstement confinés chez eux. Comme pour se protéger, les 38 témoins refuseront d’entendre les hurlements de la malheureuse victime, de voir la violence, à l’état brut, qui se déroule juste en bas de chez eux.

Sans doute, par souci de préserver l‘impératif qui est le leur, une petite tranquillité inaliénable comme pour de tas d‘autres choses qui dépassent l‘entendement, laissant ainsi crever la victime dans la plus grande indifférence générale.

Pourtant, d’après la reconstitution, le cri bestial de cette étudiante de vingt ans se faisant poignarder, venu déchirer la nuit ne pouvait laisser personne englouti dans le moindre brin de sommeil.

Une cinglante non assistance à personne en danger qui met en lumière de terrifiantes zones d’ombre tapies dans les méandres de la nature humaine. Peut-on dans cette société sclérosée, comprendre ce déni collectif face à une horreur que l’on aurait certainement pu éviter avec un peu moins de lâcheté ?

Une société où prévalent la peur des représailles, l’indifférence, la paresse, l’inconscience, la banalisation du mal, l’effroi, l’explosion de l’individualisme, le repli sur soi. Mais on a beau faire semblant d’oublier notre médiocrité, la maladie de la conscience est toujours là, pour nous rattraper, nous miner notre sacro-sainte tranquillité.

En effet parmi ces nombreux témoins, un seul d’entre eux, Pierre joué par Yvan Attal brisé par le poids du lourd secret culpabilisateur qu’il trimballe, en arrive à craquer. Alors honteux, pour ne pas croiser le regard de son interlocutrice, à huis clos, dans une chambre aux rideaux tirés, bien noyée dans l’obscurité, il décide de se libérer de cette charge, s’adressant à sa compagne Louise (Sophie Quinton) dans son sommeil.

Et là, croyant pouvoir s’en défaire, il ouvre ses vannes qui laissent couler son monologue pesant tissé de mots et de mots à n’en plus finir…Seul contre tous, il tentera de renaître de ses cendres sans plus vouloir se laisser intimider par des considérations désormais révolues et quoiques bien lourdes de conséquences.

Comme s’il avait en définitive découvert la véritable échelle des priorités. L’excellente Nicole Garcia toujours aussi belle, joue à merveille le rôle de la journaliste en quête d’informations dans cette ville autiste fortement marquée par les empreintes insidieusement déposées par ce meurtre.

Un film qui quelque part nous interpelle surtout à l’heure où autour de nous sévit une certaine précarité, où certaines régions du monde sont le théâtre quotidien de violences…

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