Apart together : drames de l’exil, de la modernité

 

Dire que le beau film «Apart together» de Wang Quan’an était à l‘affiche depuis plus de deux semaines et que je ne l‘ai découvert qu‘hier ! Mieux vaut tard que jamais…

Après la mort de sa femme, Liu Yangsheng, cet ancien soldat du parti nationaliste chinois qui en 1949, lors de la victoire des troupes communistes de Mao s’était réfugié à Taîwan, est de retour sur la terre de ses ancêtres. Mais il resurgit tout vieilli par la charge écrasante de ses cinquante éprouvantes années d‘exil.

Après tout ce temps écoulé et enfin suite à l‘amélioration des relations entre les deux pays, le voilà qui revient à Shangaï animé du vif espoir de renouer avec Qiao Yue, la femme qui portait leur enfant au moment de cette tragique rupture.

Hagard, comme inconscient du mal que son rêve imprégné de nostalgie pourrait susciter, il s’emploie à rallumer les braises du passé, aspirant à revivre la page morte de leur histoire, faisant fi de toute la configuration de la nouvelle famille.

Désormais sa bien-aimée est mère, grand-mère, arrière grand-mère et surtout épouse de celui qui non seulement à l’inverse de ses collègues, n’a jamais été gradé mais aussi ostracisé du fait de son mariage avec la femme d‘un traître car soldat nationaliste.

Et c‘est sans rancœur, à bras ouverts que le vieux mari, Lu, accueille ce revenant venu lui arracher le socle même de son existence, se livrant sans parcimonie à de folles dépenses inhabituelles jusque là. Sans même rechigner devant le grand luxe d’acheter de gros crabes que dénigrent les pauvres en les qualifiant de "mauvais", comme pour se consoler de leurs privations…

Et quand le Taïwanais meurtri lui fait part de son piètre désir de le dédommager matériellement en contrepartie d’emporter Qiao Yue, le père foncièrement altruiste ne sait faire preuve que d’extrême noblesse de coeur. Comme d’habitude, en toute circonstance, de l’abnégation absolue agrémentée de quelques notes d‘humour, histoire de mieux dissimuler ses fêlures.

Quant à la principale concernée, la mère, elle est plus bouleversée que jamais face à ce douloureux dilemme, entre une ardente envie de revivre ce qui reste d’un vieil amour brisé dès son éclosion et le chagrin de voir se démanteler toute une famille construite dans le dur labeur et autour de laquelle de solides liens s’étaient tissés.

De très nombreuses scènes du film se déroulent autour de table garnie d’une belle variété de mets chinois où se retrouvent tous les membres de la progéniture pour mieux communiquer. Parfois attablés, grisés par le vin, et quand les mots se mettent à faire défaut, que la douleur est trop grosse, des chansons viennent à la rescousse pour dire avec pudeur les souffrances de l’exil, de la séparation, de l’amour.

Qu’elles sont bouleversantes certaines de ces scènes tragiques filmées avec subtilité entre les déchirements d’un vieil homme déchu découvrant si tardivement le néant de quelques unes de ses «vertus à lui» pour lesquelles il s’était si pitoyablement échiné au cours de sa laborieuse vie, puis cette grand-mère en déclin noyée dans ses étranges égarements.

Des drames humains, irréversibles nés de conflits politiques qui n’ont eu de cesse de déchiqueter tant de familles ! Une histoire qui se déroule sur fond d’avènement de la modernité venue balayer tant de choses sacrées sur son passage.

La vieille ville de Shangaï avec ses vieux logis presque insalubres mais si propices à l’épanouissement familial en vient à se défigurer avec la prolifération agressive de gratte-ciel jusqu’à y laisser son âme… Même la salle à manger perchée en hauteur semble froide, dépeuplée sans l’attrait magique de la table d’antan laquelle était parfois dressée même sous un ciel menaçant.

 Comme si, en perdant ses logements de fortune, en déracinant son monde, Shangaï s’était déshumanisé…

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