Du bon et du mauvais opposant

Par Sami BEN ABDALLAH

 « Je suis devenu un renégat en m’attaquant dans mes écrits à Mohamed Charfi, Saadoun Zmerli et Khemais Chammari, des fondateurs de la LTDH, et à Mohamed Moada, leader du MDS, le principal parti d’opposition, des hommes canonisés par les démocrates tunisiens et les deux grosses boites des droits de l’Homme. J’ai touché à leur capital, à leurs investissements, à leurs cotations en Bourse sur le marché des droits de l’Homme en Tunisie. (..) Que puis-je faire, face à ces gens qui ont une réputation d’intellectuels indépendants, et qui le sont ? Comme pris dans un filet, je me résigne, si je bouge, je m’étrangle…Même mes plus fervents alliés, dans ces situations, m’abandonnent. Je n’ai pas usurpé ma réputation d’emmerdeur, tunisiequement incorrect. Dans les rapports des organisations de l’orthodoxie démocratique, je n’avais plus droit de cité. Les manitous de la presse internationale m’évitaient. « il n’est pas crédible…laissez tomber, il est brouillon, incapable d’analyser..il cherche à tout vampiriser… méfiez-vous, c’est un manipulateur. ».

Depuis Londres ou Paris, ils sont briefés par leurs chevaux de Troie : Kemal Jendoubi, Donatella Rovera…ces bons militants des droits de l’homme canalisent toutes les missions d’enquête et d’information, établissent les listes des personnalités « à voir absolument », « à éviter », « à éviter absolument »… généralement, c’est dans cette dernière  case que je figure ».

Taoufik BEN Brik, Le Rire de la baleine, pp 81-83, Éditions du Seuil, Novembre 2000.

M. Sahbi Amri était jusqu’à récemment un « bon opposant », il  exprimait avec des articles d’une rare violence, toute son opposition à M.Ben Ali. Il fût un temps où le net tunisien accouchait, presque quotidiennement, de ces dernières aventures avec la police politique tunisienne. Un jour, il est violemment agressé, un autre, menacé et un troisième interdit de travailler. Aujourd’hui, il est devenu un «mauvais opposant », il est accusé de «jouer le jeu du régime et de diviser l’opposition ». Sacrée union que M. Sahbi Amri risque de remettre en question !  Certains l’accusent même d’être «un flic »…on connaît la chanson qu’un quarteron de barons et de baronnes qui squattent les devants de la scène médiatique, nous chantent depuis des années. Un flic ? Et pourquoi faire ? y’a -t-il des secrets au sein de l’opposition ?  Ceux qui connaissent le microcosme tunisien ou parisien, savent pourtant que rien ne se cache, tout se communique.

Selon la terminologie officielle du pouvoir, M.Sahbi Amri était dans son passé, un «traître », «allié à des puissances occidentales », il a «vendu sa conscience à l’étranger » et «s’est fait le vecteur du mal contre son propre pays ». On croirait la Tunisie en guerre ! On connaît aussi la chanson du pouvoir tunisien. Les officiels ? « Ils sont des patriotes qui s’investissent, jour et nuit (ils ne dorment pas ?) pour le bien de la Tunisie et des Tunisiens, la gloire de la Tunisie et son image rayonnante dans le concert des nations..D’autant plus que la Tunisie -grâce à la clairvoyance de ses officiels- fait désormais partie des « rares pays »…personne ne vous expliquera quoique se soit ! Ce sont des «expressions » que les officiels répètent à volonté. Une sorte de distraction  et de défoulement. L’exemple le plus  criant de ce verbiage creux est l’appellation du dernier congrès du RCD, « le Défit » ! L’avant dernier Congrès fut appelé « l’Excellence ». Un non-sens ! Il y a des années, le pouvoir disait qu’on était «excellent » ! Aujourd’hui, on vous dit, « le défit ». On n’est plus excellent alors ?  Et puis, défier qui et quoi ? Défier la torture ? Les agressions lâches ? La corruption ?

Sahbi Amri n’est plus aujourd’hui un «traître » ou un «vendu ». Officiellement, il a retrouvé «le droit chemin ». Le Parti au pouvoir va-t-il le récompenser en lui offrant un an d’abonnement au journal du Parti, « Le Rounouveau » dans ses deux versions arabe et française ?  On ne le saura pas ! Mais ce qui est sûr, c’est qu’il lui serait difficile de continuer à publier ce qu’il écrit dans les journaux de la dissidence qui sont dissidents car ils militent pour «la liberté d’expression ».

On dit que nous vivons sous un « Etat policier ». Officiellement, vous êtes libre de tout dire et le Président est monté au créneau plusieurs fois pour « appeler les Tunisiens à s’exprimer en toute liberté ».  Officieusement, il y a des limites rouges qu’il ne faut pas dépasser ! Vous voulez critiquer ? On vous dira : « Eviter le Président, critiquez les ministres à volonté, Attention ! De préférence, évitez les Ministres de la Justice, de l’intérieur et de la défense ! Il s’agit de Ministères de souveraineté. Evitez aussi, le ministre du Tourisme, le Ministre des affaires religieuses, le Secrétaire d’Etat aux nouvelles technologies !  Evitez les sujets de la torture, de la corruption, des droits de l’homme, mais sinon pour le reste, vous êtes libres de critiquer ! ». Peut-on par exemple critiquer la réaction des autorités à propos du «sort » subi par l’ancien footballeur Tarek Dhiab pour avoir refusé de serrer la main du Ministre ? C’est du sport ! « Bien sûr ! C’est un acte grave car il remet en cause l’autorité et le prestige du Ministre ! Et le Ministre a été nommé par le Président ! Et le président a été élu par le peuple souverain en vertu de la Constitution ! L’affront fait au Ministre est un affront contre tout le peuple tunisien ! Et la Tunisie est un pays arabe. C’est donc un affront à la Nation arabe ? Et la Nation arabe fait partie de l’Humanité! C’est donc un affront à toute l’Humanité? Voilà, il faut dire cela, vous êtes libre de l’écrire ou de ne pas l’écrire ! À vrai dire, pourquoi critiquer ! Soyez constructif !  Personne n’a prétendu que le régime est parfait ! Il y a un processus démocratique, soutenez le plutôt que de le critiquer ». Mais ce processus durera combien  d’années encore?

Durant 31 ans, Bourguiba a réprimé toutes les libertés sous prétexte qu’il fallait se consacrer à la lutte contre le sous-développement ! 50 ans après, le sous-développement est là et tous regrettent l’absence des libertés ! Depuis 20 ans, pas un jour ne passe sans qu’on évoque les droits de l’homme en Tunisie. La  révision de la Constitution en 2002 a été officiellement justifiée par le fait d’inscrire les droits de l’homme dans la Constitution et probablement, une autre révision de la Constitution aura lieu dans un an ou deux -officiellement-pour inscrire les «droits de l’Homme » encore dans la Constitution… Mais sauf la parenthèse démocratique de 1987-1990, il y a cette impression que rien n’a changé ou presque ! Les mêmes flics, qui tabassent les mêmes dissidents qui confisquent les mêmes passeports.

Du coté de l’opposition,  c’est un tir nourri contre tous ceux «osent » formuler la moindre critique ! Untel c’est un Flic ! Untel est en mission commandée ! Officiellement, nous militons tous pour une liberté d’expression. Officieusement il y a une minorité qui impose à la majorité des limites à ne pas dépasser ! Si vous critiquer les islamistes ou le voile, on vous traitera d’éradicateur de Gauche et Ennahdha publiera le lendemain un Communiqué dans lequel  « il vous présentera comme l’instigateur d’une nouvelle croisade contre l’Islam » ! Si vous critiquer La Gauche, on vous traitera d’islamiste ! Et si vous l’êtes pas, on vous dira «  tu réfléchis comme un islamiste et tu n’en es  pas conscient » ! Si vous critiquez les féministes, l’ATFD vous gratifiera d’un Communiqué dans lequel elle vous accusera d’être « un machiste, sexiste, voulant atteindre aux acquis progressistes et civisationnels de la femme tunisienne ». Evitez donc  les islamistes, la Gauche, les féministes, les journalistes, les militants des Droits de l’Homme, sinon pour le reste, vous êtes vraiment libres de vous exprimer!

Allons y  donc pour la liberté d’expression mais attention à ne pas dépasser les limites. Et pourquoi donc ?  Ceux qui se prennent pour les martyrs vivants de la liberté d’expression vous expliqueront que «le régime risque de tirer profit de telle dénonciation et par conséquent, il faut se taire ! Ce n’est pas le moment » (j’ai connu des opposants qui depuis 10 ans déclarent : ce n’est pas le moment !).

A la vérité, toutes « ces histoires » sont des prétextes. Dans un cas comme dans l’autre. Il y a un ordre et il ne faut pas le remettre en cause car tout changement risque de nuire à ceux qui en tirent profit. Que gagnent-ils ? Le pouvoir et le fric. Cela est très visible du coté du pouvoir. Il est moins visible du coté de l’opposition car rares sont ceux qui se sont aventurés à évoquer ces sujets tabous ! La majorité ne méconnaît pas pourtant qu’une minorité d’opposants a instrumentalisé les luttes des tunisiens pour les libertés et les droits de l’homme.  Salaires, avantages en nature, remboursement de frais, subventions, billets de voyages gratuits, séjours  dans des hôtels luxueux (tout comme les officiels du régime) pour discourir sur « la misère que vivent les prisonniers politiques » ! Il n’y a rien de honteux de percevoir des subventions ! Mais rien ne remplace la transparence ! Rien ne remplace la liberté d’expression.

Note – Pour consulter l’intégralité du Texte de Sami Ben Abdallah, voir : TUNISNEWS 15 08 2008

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