Chaïm Soutine : l’ordre du chaos…

Né en 1893 pendant la période des pogroms dans un village de Lituanie, à Smilovitchi, Chaïm Soutine fils d’un ravaudeur juif, a connu une enfance pour le moins tourmentée. Très tôt il se consacrera à la peinture et s’exilera à Paris où il se liera d’amitié avec Modigliani et d’autres compatriotes. 

Rarement satisfait de ses toiles, il en jetait les damnées et incendiait après les avoir rachetées toutes celles ayant réussi à atterrir à son insu chez des marchands via certains récupérateurs zélés.

 

Battu pour avoir déjà enfant, enfreint la Loi juive par la représentation illicite de figures humaines, témoin aussi de rituels sacrificiels, les occasions qui étaient siennes de pousser des cris d’horreur n’auraient pas manqué. Tous ces cris n’ont pas été poussés. Ils sont venus s’étrangler tout au  "fond de sa gorge", pour s’échouer au cœur de ses peintures, histoire de les "restituer".

 

On raconte qu’il aimait à peindre sous la houle et la nature semble sous son pinceau saisie d’effroi, avec tous ces arbres, le gros bleu, le courbé, et bien d’autres, à ne presque plus tenir sur leurs racines, à vouloir se déraciner pour s’échapper loin de ces cieux tourmentés bleu pétrole qui les enserrent. 

 

Comme la nature même morte qu‘il parvient à animer, les maisons aux toits souvent pointus sous l’emprise de la musique du vent semblent presque valser. En plus des couleurs parfois scintillantes, il y’a du rouge Soutine à n’en plus finir. 

 

Rouge, rose, carmin ou pourpre, il est omniprésent dans tout ce sang qui imprègne ces cadavres que quelques grosses tomates viennent parfois raviver. Afin de les peindre, l’artiste commandait ces bêtes aux abattoirs et une fois suspendues dans son atelier à Montparnasse, il prenait son temps et ne répugnait pas une fois ternies à les arroser d’un sang frais : bœuf écorché, poulet, lièvre pendu,  lapin, bœuf et tête de veau. Et d’exhumer dans toute sa terreur ce cri d‘antan si longtemps enfoui. 

 

Et que dire de tout ce qu’a pu provoquer en lui la misère humaine, étalée sur toute cette palette de portraits ! Décidément, rien n’est figé, même pas les visages. Avec yeux, nez, oreilles, proéminents, le visage est souvent déformé, dissymétrique, souvent comme en proie à une profonde tristesse. " La petite fille à la poupée"  n’est qu’une enfant au visage prématurément vieilli, un peu comme celui de "l’enfant au jouet" . Et de la déchéance, de la vieillesse avec un regard qui regorge d‘effroi. 

 

Des uniformes amples de divers corps de métier viennent recouvrir les corps rendant plus ostentatoires les mains toujours présentes. Des portraits émouvants où dit-on, « la mesure et la démence luttent et s’équilibrent ». Mort en 1943 d‘un ulcère de l‘estomac mal soigné, Soutine est enterré à Montparnasse. 

 

L‘ordre du chaos est le nom de l‘exposition étrange qui a lieu au Musée de l‘Orangerie jusqu‘au 21 janvier.