L’Europe au bord du gouffre

Cet article constitue une réponse, sous forme d’un long commentaire, à deux articles récemment publiés sur C4N :

 

a) Une réponse Jacques Delors l’Europe est au bord du gouffre, 25-03-2012 09:17 – 127 visites – Flux Politique – Ecrit par anidom nidolga 

 

b) Le chômage, c’est comme l’Euro ! Il faut le traiter au niveau Européen !  24-03-2012 18:15 – 275 visites – Flux Economie, finance – Ecrit par RUI DEALMANTIS 

 

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«L’Union n’est pas une dimension économique et marchande, ce n’est pas une manufacture, ce n’est pas un marché avait-il déclaré devant le parlement Européen le 25 octobre 1989». C’est devenu tout sauf cela.

lit-on dans l’article d’anidom nidolga, qui cite ici un des propos que François Mitterand a tenu à cette occasion.

Quant à résoudre le problème du chômage au niveau européen, comme le souligne RUI dans son propre article, cela présuppose l’existence d’une Europe qui soit non seulement politique (ce qui n’est pas encore le cas – comme le souligne Julien dans l’un des commentaires à cet article), mais industrielle.

 

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Mais d’abord revenons, pour commencer, à l’Allemagne. Depuis les lois Hartz, ce pays n’a fait que reprendre à son compte, tout en l’adaptant à sa propre société, une pratique qui existe depuis Ronald Reagan aux Etats-Unis et Margaret Thatcher en Angleterre, et qui veut que le marché du travail, doive être, en tendance, complètement  libéralisé; ce qui revient à dire que ni l’Etat ni les syndicats (en accord avec le patronat) ne doivent légiférer en cette matière,  puisque seules les puissances du marché sont, selon l’idéologie néolibérale, capables de fixer ce que doit être le prix du travail pour permettre le plein emploi.

 

A cela s’ajoute le fait que les travailleurs doivent pouvoir circuler partout, comme d’ailleurs les investissements et les flux financiers, ce qui signifie qu’il ne doit exister, ni espace Schengen, ni barrière tarifaire aux produits, ni barrière douanière aux produits, aux investissements et aux personnes elles-mêmes;  bref que tout doit être complètement dérégulé.

 

Et il existe, à partir de là, une autre théorie, dite des coûts comparatifs, ou avantages comparatifs (dont le premier auteur fut un certain David Ricardo) qui dit que les produits à forte valeur ajoutée doivent être produits dans les pays où  les salaires sont élevés, et que les produits à faible valeur ajoutée doivent être produits dans les pays à bas salaires.

 

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Voilà pour la théorie.

 

En pratique, les choses sont un peu différentes. Et d’abord parce que les travailleurs ne se déplacent pas à l’échelle mondiale pour trouver du boulot, ne serait-ce que pour des questions culturelle et de langues; et ce d’autant plus qu’il existe encore, de nos jours, des Etats nations auquels les gens sont, par définition, attachés.

 

Or le capital, lui, circule bel et bien (avec des exceptions certes) à l’échelle mondiale, depuis la mondialisation des rapports d’échange initiée sous l’ère de Ronald Reagan aux Etats Unis et de Margaret Thatcher en Angleterre.

 

Qui représente, aujourd’hui, le capitalisme à l’échelle mondiale?

Réponse : les compagnies multinationales.

Qui sont les gros actionnaires de ces compagnies aujourd’hui ?

Réponse : tout dépend ici de l’Histoire.

 

En clair, si, jusque dans les années 2000, les principaux actionnaires furent des Européens, des Japonais ou des Américains, on assiste, en ce moment, à un changement de la donne puisque de plus en plus de Chinois, de Singapouriens, de gens d’Hong-Kong, de Qataris, d’Indiens, de Russes, et, bientôt, de Brésiliens, de Mexicains, etc détiennent, comme grands actionnaires au sein des compagnies multinationales, un pouvoir de décision toujours plus important.

 

Et il en sera également de même, à l’avenir, au sein du FMI, de la Banque Mondiale et de toutes les institutions responsables des échanges mondiaux.

 

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Or, et c’est là où je voulais en venir, la théorie des avantages comparatifs est devenue caduque pour la simple et bonne raison que les pays émergents sont en train de rattraper les pays du premier monde dans tous les domaines, y compris celui de la technologie (elle qui repose avant tout sur des innovations qui doivent elles-mêmes leur existence à des chercheurs et des ingénieurs qui sont de plus en plus nombreux en Chine, en Inde, au Brésil, etc, comparés à ceux des pays du premier monde).

 

ET comme ces pays-là (Europe, Etats-Unis) dominaient  le monde jusque là sur le plan industriel, ils ont pu capitaliser cette avance sur le plan financier et investir à l’étranger.

 

Mais là est le retour, aujourd’hui, du balancier : cette avance est en train de s’effondrer elle aussi, pour la simple et bonne raison que les pays émergents, grâce aux faibles salaires qui sont les leurs, et grâce à leur rattrapage sur le plan technologique, affichent, sur le plan économique, des taux de croissance importants, eux-mêmes accompagnés d’un excédent de leur balance commerciale.

 

A l’inverse, dans les pays du premier monde, les taux de croissance sont faibles et les balances commerciales le plus souvent déficitaire (y compris d’aileurs – comme le souligne RUI dans un autre article – au Japon). Et tout cela car la main d’oeuvre coûte trop cher, dans les pays du premier monde, relativement à ce qu’elle est dans ceux qui sont en train de monter dans la hiérarchie.

 

A partir de là, Mesdames et Messieurs, faut pas rêver : l’Europe (et, avec elle, les Etats-Unis) a beau faire travailler ses travailleurs à un rythme démentiel, afin de compenser, par une hausse de la productivité, le niveau élevé, comparativement, des salaires versés à ces mêmes travailleurs, elle n’arrivera jamais à concurrencer, au point de vue des coûts, les salaires versés à des gens du tiers monde qui, parce qu’ils sont de plus en plus qualifiés, permettent aux pays concernés de rattraper les pays du premier monde.

 

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Voilà pour le premier point.

 

S’agissant du second, l’Europe, en étant dirigée actuellement par une classe de politiciens et de technocrates qui sont quasiment tous acquis à l’idéologie néo-libérale, est en train d’abandonner son pouvoir de  décision, en matière économique en général, et en matière industrielle en particulier. Cela tient au fait que l’argent pour investir se situe de plus en plus du côté des Chinois, des Singapouriens, des Qataris, des Indiens, des Russes, etc. etc.

 

Reste à préciser que ces gens-là sont à la fois très minoritaires et très fortunés dans leur propre pays. Mais le fait est qu’ils ont de plus en plus d’argent. A titre d’exemple, si l’on regarde les plus grandes fortunes au monde, au début de l’année 2012 (cf. http://www.forbes.com/billionaires/list/) on constate que la plus grosse appartient au Mexicain Carlos Sim Helu,  ingénieur de formation et qui a racheté Telmex, une société de téléphonie fixe, lors de sa privatisation en 1990, et qui occupe une situation de quasi-monopole (un Caros Sim Helu qui  détient également des parts dans la très rentable America Movil ou encore dans la société Impulsora del Desarollo Economico de America Latina); que le 7ème rang est occupé par Eike Batista, Brésilien qui doit sa fortune d’abord (par son père) à Vale, l’une des trois plus grandes entreprises mondiales dans la possession des mines et l’exploitation du minerai de fer; que le 9ème rang est occupé par  Li Ka-Shing, immigré à Hong-Kong depuis la région chinoise de Guandong, et qui aujourd’hui à la tête de deux conglomérats, Cheung Kong et Hutchison Whampoa, qui opèrent dans le fret maritime, l’électricité, l’immobilier les télécoms et la beauté;que le 21e rang est occupé par Lakshmi Mittal, de nationalité indienne et président d’ArcelorMittal, premier conglomérat de la sidérurgie dans le monde, un Lakshmi Mittal qui d’ailleurs va venir dans les trois premiers de cette liste durant les prochaines années.

 

Bref, tout cela pour dire que le monde est en train de basculer sur le plan industriel, puisque des nouveaux entrepreneurs financiers des pays émergents sont en train de prendre la place des habituels Américains (USA et Canada réunis) et Européens.

 

Et l’Europe des travailleurs, dans tout cela?

 

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Si le modèle néolibéral continue de leur être appliqué, ils connaîtront (mis à par les gestionnaires eux-mêmes, des entreprises concernées) une baisse de leur niveau de vie, ainsi que, pour nombre d’entre eux, la misère et la précarité.

 

La seule façon pour eux de s’en sortir est que l’Europe se fonde sur des bases politiques et industrielles, ce qui présuppose qu’elle nationalise, au niveau européen s’entend, toute son industrie et toutes ses banques.

 

Dans le cas  contraire, l’Europe ne connaîtra plus jamais le plein emploi. Quant au taux de chômage affiché par les pays membres, c’est là, pour certains d’entre eux, du pipeau, dans la mesure où un travailleur qui travaille une heure par jour a cessé d’être, dans les statistiques du chômage, un chômeur.

 

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PS. Ce complément fait suite à un commentaire de zelectron figurant sous l’article de Rui libellé comme suit :

Le chômage, c’est comme l’Euro ! Il faut le traiter au niveau Européen !

et qui est le suivant :

@clgz11, votre description de l’état économique de l’occident est réaliste, quand aux causes j’ajouterais une forte propension à l’immobilisme y compris devant le danger. Quant aux solutions je crois qu’étant en véritable guerre il n’est pas bon de donner les éléments de stratégie aux adversaires, cela ne passe pas par les nationalisations dont on connait les effets délétères depuis fort longtemps. Pour mémoire un marché est d’abord et avant tout constitué de produits et de clients, les "nationalisées" ne sont pas l’outil ad hoc pour ce faire. En second lieu les hommes constituants les entreprises (pour ma part au dessus de 1000 à 2000 personnes les dérives sont trop importantes et je ne les qualifie pas vous les connaissez) en sont la véritable force et permettent une lutte véritable, sans merci (avec une participation aux résultats qui ne soit pas symbolique, dans tous les cas supérieure aux distributions aux actionnaires!)

 

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Par nationalisation – puisque c’est de cela qu’il s’agit ici – je n’entends pas dire que les hommes politiques doivent gérer les entreprises ou contrôler directement leurs investissements. J’entends par là que l’Europe a assez de ressources en matière grise, et un espace économique suffisant pour que l’on y crée des entreprises dont le capital est contrôlé par les Européens, et dont les entreprises engagent des ingénieurs et chercheurs qualifiés, européeens en majorité, puisque l’essentiel des innovations technologiques reposent sur eux.

 

Il faut en effet, de mon point de vue, que les pays d’Europe se concentrent sur l’Europe même en tant que nation industrielle, ce qui passe forcément par une réappropriation du capital.

 

Quant à l’espace économique européen, je constate qu’il est, aujourd’hui,  une passoire comparé aux espaces chinois ou américain, ce qui n’est pas normal. Et cela ne l’est pas car les dirigeants européens sont la plupart du temps des néo-libéraux qui croient que l’Europe va pouvoir se maintenir, dans le concert des nations – sur le plan industriel notamment – en privilégiant les seules forces du marché. Ce qui n’est pas le cas.

 

C’est ainsi, pour prendre un exemple, que quand Renault va délocaliser au Maroc une partie des ses activités de production, elle dessert l’Europe, en termes de production et d’emploi, au lieu de la servir. Or l’Europe, si elle était  un seul pays doté d’une politique industrielle au service, d’abord, de ses Etats membres,  ferait que Renault et les autres compagnies délocaliseraient, au sein même de l’Europe, et non en dehors, leurs activités de production. Et à cause de ces délocalisations, les Etats membres devraient régler ensemble la question du chômage créé ici et là.  

 

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En résumé, je soutiens qu’on n’a pas besoin, en Europe, de multinationales qui délocalisent leurs activités en Asie ou ailleurs, puisqu’on y a assez de travailleurs pour produire les biens concernés. Et si ceux-ci seront plus cher, comparativement à ceux fabriqués dans ces pays, ils permettront à toute une classe de travailleurs européens de conserver leurs métiers et de ne pas être au chômage. Car un chômeur, non seulement ne produit rien, mais il coûte à la société. Sans parler des dommages causés au chômeur lui-même du fait de cette situation.

A partir de là on peut adopter, vis-à-vis des entreprises qui délocalisent dans les pays à bas salaires, le meme genre de mesure qu’à l’égard des gens qui délocalisent leur fortune à l’étranger pour ne pas payer d’impôt dans leur pays d’origine : ou l’on adopte une amnistie pour les entreprises qui acceptent de relocaliser leurs activités de production dans leur pays d’origine, ou l’on élève des barrières tarifaires sur leurs productions venues de l’étranger.

 

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ET puisque le capitalisme repose sur les OPA et les concentrations, les Etats européens doivent contrôler que le capital des entreprises travaillant sur le sol européen ne quitte pas cette Europe, ce qui est de moins en moins le cas de nos jours puisque de plus en plus de fonds d’investissement d’origine extérieure sont en train de s’investir en Europe. Or plus ce mouvement se poursuivra, plus il existera de chômage en Europe en raison d’une délocalisation à l’echelle mondiale.

 

ET si je réclame, dans cet article, pour l’Europe, des entreprises nationalisées, c’est aussi parce que les gestionnaires européens des entreprises privées, quoique travaillant avec des capitaux européens, favorisent au maximum, par les temps qui courent : a) les concentrations avec des entreprises situées à l’extérieur de l’Europe (américaines notamment), et b) les délocalisations de leurs unités de production dans les pays émergents, toutes choses qui, pour  profiter aux gestionnaires et aux actionnaires de ces entreprises, ne profitent nullement à leurs travailleurs (et encore moins quand ceux-ci sont devenus chômeurs).

 

Or on ne peut pas accepter que des chefs d’entreprise européens pénalisent, au nom des lois du marché, les travailleurs européens au profit des autres travaileurs.

 

Ceci dit, je nie pas que certaines entreprises européennes doivent être restructurées. Mais le mondialisme imbécile qui prévaut actuellement ne doit pas être le prétexte à de telles restructurations, puisque leur seul but est de réduire au maximum les salaires des travailleurs et de payer aux actionnaires un dividende qui ressemble de plus en plus à une rente prélevée sur les salaires; sans parler des bonus encaissés par les chefs des grandes entreprises et des grandes banques, tous imposant, pour leur seul profit personnel, les lois du néo-libéralisme à l’échelle mondiale.

 

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Je terminerai en disant que les grandes compagnies multinationales sont si puissantes, de nos jours, que leur seule présence fait que la concurrence est plus éloignée que jamais du modèle théorique qui veut que la concurrence pure et parfaite – tour à tour des facteurs de production, des ressources et des produits – tende vers cet optimum social que chacun souhaite.

 

Or ce n’est nullement le cas lorsque les grandes compagnies forment des monopoles si puissants qu’elles peuvent corrompre n’importe quel homme politique en lui payant, en échange de passe droits dans tous les domaines (accès aux marchés publics, accès aux matières premières, suppression des barrières tarifaires, subventions sous toutes les formes et dans tous les domaines, abattements sur les impôts et les taxes, droits de polluer s’il s’agit d’entreprises polluantes, etc., etc.) des commissions ou des pots de vin sur des caisses noires situées dans des banques qui sont elles-mêmes situées dans les paradis fiscaux.

 

Et la preuve que c’est le cas, c’est que ces paradis continuent d’exister, aujourd’hui, malgré les cris de tous cette bande d’hypocrites qui ne cessent de lever les bras au ciel au moment des élections, ces bras qu’ils baisseront au moment d’encaisser leurs prébendes, ou bien des grandes compagnies (pour les raisons indiquées tout à l’heure), ou bien grâce à leurs propres entourloupettes durant leur passage (et donc, aussi, celui de leur propre parti) au pouvoir – puisqu’à cet instant ils s’enrichiront, sur le dos des marchés publics, grâce à de fausses facturations ou grâce à des commissions occultes encaissées lors des pseudo-adjudications).