Comes, le village fantôme.

C’est dans les Comtats de la tramontane, aux confins septentrionaux su Conflent originel, en confronts directs avec le Fenouillèdes, et au cœur de l’antique vallée de Molitg(1), que se situent Comes, son église Saint Estève(2), ses maisons abandonnées à partir de l’an 1928, délabrées, ruinées et pillées, son terroir foncier et agrarien, – exceptés quelques journaux de sols de terre, de pâtures et de pâquis d’appartenance à un berger qui a réinvesti les lieux depuis 1955 -, majoritairement en l’état de landes, de jachères, de maquis et de friches, et sa dépendance Estanyils toute aussi déchue.  

 

Son fond territorial est limitrophe avec les territoires communaux, au levant, d’Arboussols, au midi, d’Eus et de catllar, au ponant, de Molitg, et, à septentrion, de Sournia et de Campoussy.

 

Le village, ou ce qu’il en subsiste, des vestiges squelettiques et fantomatiques, des pierriers infâmes, et son église noble, crâne et majestueuse, du haut de son anticlinal et de sa « Rocha quae dicitur Tumba propere Rocham Rogum(3) », – l’éminence en dôme sur lequel il est bâti et solidement ancré -, navire en perdition sur son récif culminant à 794 mètres, surplombe, en premier plan, une terre hostile, un temps inamicale, antagonique et antithétique, lézardée par des ravins adverses, certains aux noms évocateurs, – ravin dels Taillats(4), ravins dels Morts, ravins dels Garrigos(5)… -, un temps conciliante, empressée et bienveillante, offrant en pacage au canton de la Font clotade, – ou cloutade -, des herbes grasses et craquantes, continûment verdoyantes, riches d’une flore endémique, sub-endémique, nourricière et thérapeutique, aux troupeaux d’ovins et de caprins y paissant.

 

 

 

Étude étymologique.

 

Si nous en croyons Lluis Basseda, nous lisons dans son ouvrage, fort bien documenté, certes, mais trop restrictif dans l’entièreté de son étude stéréotypée « …noms de llocs de la nostra terra… Toponymie historique de Catalunya Nord » :

– COMA(6). IXe siècle. Comba, Cumba ; XIe siècle. Coma ; XVIIe siècle. Coma, Comes : combe, dépression, petite vallée généralement sèche. Cumba est devenu Comba à l’époque romane, puis Coma, la chute du « b », dans le groupe « mb », étant une caractéristique du catalan. Le torrent qui dévale dans la petite vallée s’appelle toujours la Coma. Le village de Coma a été rattaché à la commune d’Eus et son nom a été francisé « Comes », avec un « s » de faux pluriel.

– COMA(7). Combe, bas latin Cumba, d’un thème pré-latin signifiant creux. Ce mot, désignant d’abord une dépression, s’est appliqué ensuite aux petites vallées dans les montagnes et aux ravins des plaines et des plateaux. Quelque fois synonyme de pâturages, il a pris pourtant une extension considérable ; nous lui devons plus de 200 noms de lieux dans les Pyrénées Orientales.

 

Si nous nous documentons auprès d’un dictionnaire de langue française, la précision y concédée est tout autant généraliste et limitative : COMBE. Dépression longue et étroite parallèle à la direction des reliefs et entaillée dans les parties anticlinales d’un plissement. Du gaulois cumba.

 

 

 

Si nous comprenons le raisonnement de Joan Corominas, « Dictionari etimologic i complementari de la llengua catalana », nous conviendrons de sa définition : Com(8), Comba, Cumba. Auge, petite cuvette ou abreucoir pour permettre aux animaux de boire, en particulier ceux qui se situent souvent légérement en aval, ou en dessous, des sources en zones de montagne. Du Gaulois « Cǔmbos », vallée étroite, mot commun aux langues pré et indo-européennes, particulièrement celtiques ; breton, « komm », une auge, un bac, un abreuvoir : gaélique irlandais, « comm », une vallée étroite ; germanique, « cummal », un verre, une cuvette ou une louche ; sanskrit, « Kumbháh », un pot, une carafe, un broc, un pichet, un vase à fleur ou une urne ; uranien, « Xumba », un pot ou une marmite ; et, en catalan, « coma », vallée étroite.

 

Et si nous acceptons ces trois explications similaires quant à leur finalité, deux de souche catalane, la troisième de parentèle française, l’antique village de Comes, dépeuplé, pillé et ruiné, devrait se situer dans le creux d’une vallée, d’un vallon, d’un val, d’un bassin, d’une ravine, d’une gorge ou d’un défilé, ce qui n’est point réalité. Au différent, il surplombe, perché tout au sommet d’un synclinal et d’une éminence en dôme culminant à 794 mètres d’altitude, non un mais trois ravins, l’un en son Nord-Nord-Ouest, le ravin de la Font de l’Orry, et les deux autres en son Sud-Sud-Est, le ravin dels Taillats et celui des Morts, peut-être, par éponymie, aussi dénommé la Coma(9), drainant, au cours des saisons, un filet d’eau fraiche, devenant occasionnellement torrentueux à la fonte des neiges ou lors des grosses pluies, donc des torrents non taris alimentés par une noria d’exutoires aquifères et de fontaines, escamotant toute idée déraisonnable, contraire aux usages antiques ou moyenâgeux, de construire villa, villare ou vicus, premières expressions des communautés villageoises qui se sont développées, au Haut Moyen-Âge, tant en Pagus Rossilionensis, en Pago Confluentanis, en Pagus Lliviensis qu’en Vallis Asperis(10), des des vallées sèches ou des emplacements dépourvus de sources, par excellence, des lieux particulièrement inhospitaliers pour les hommes et les animaux.

 

Clôturant là l’étude étymologique afférente au site de Comes, – jusqu’en 1828, un village d’identité pérenne, depuis un hameau de la commune d’Eus -, il serait hardi et téméraire d’emboiter, sans discernement et sans réflexion, les pas de Lluis Basseda et de Joan Corominas, de les suivre aveuglément et d’en accepter, sans contradiction aucune, leurs conclusions.

 

 

 

Si Cicéron et Virgile employaient le mot latin « Cumba, Comba ou Cymba », du grec « ҳóμβος, ҳομβου, ҳóμβή », dans le sens de navire, bateau, barque, canot, esquif ou nacelle, Sidoine Appolinaire, gaulois, évêque de Clermont vivant au milieu du Ve siècle, et emprisonné, un temps, par les Wisigoths, dans le forteresse de Llivia, en usait pour définir la carène, partie d’un navire qui plonge dans l’eau. En outre, Varon et, occasionnellement, Virgile, cosommaient, indifféremment, des vocables « Cumbii ou Cymbii, Cumbius ou Cymbius, Cumbiæ ou Cymbiæ », comme spécifique à gondole, à tasse ou vase en forme de bateau. Apulée de Madaure, dans son « Metamorphoseon sive Asini aurei, liber XI, 11-10 », désignait, ainsi, une lampe en forme de vaisseau, alors que Pline l’ancien, ou le naturaliste, en définissait un mont ayant forme de navire renversé et, qu’enfin, Corripe, – Just. 3-196 -, figurait, de la sorte, – mais lors, étant une expression de mauvaise latinité, soit un archaïsme, soit un néologisme -, une voûte.

 

Il n’est point à occulter, de même, le substentif « Cumbago ou Cymbago », de « Cumba ou Cymba » y adjoint « ăgo, ăgĭs, ĕgi ou ăgĕre »spécifiant un char, un vaisseau…, emmener des personnes ou des troupeaux dans un bateau, élever en croix ou une croix sur un navire, chasser un troupeau en direction d’un cargo…, qui, pour Tite Live, explicitait se retirer, avec des hommes, des troupeaux, dans un vaisseau ; pour Cicéron, conduire ou diriger une mine ; pour Horace, envoyer un enfant chez les morts ; pour Suétone, mettre en croix ; et, pour Tacite, lieu de repos, de paix ou de retraite d’un exilé.

 

Mais en oublierait-on, pour cela, que tous ces termes latins découlent d’une même racine grecque, « ҳóμβος, ҳομβου, ҳóμβή », définissant soit, comme les auteurs latins en usaient, un navire, un bateau, une barque, un canot, un esquif ou une nacelle ; soit un dôme, un tertre, une éminence ou un tumulus, en terre rapportée ; soit une maisonnette, un appentis ou un endroit où l’on se tient ? Fort de ces préceptes linguistiques, bien que méconnu ou omis par les scientifiques catalanophones versés dans l’évolution et le développement des langues, dans son « Glossarium Mediæet InformeæLatinatis », Domino du Cange, déterminant « Cumba ou Cumbæ , est assez proche de la signalétique hellénique : « Sepulcrum lapideum, quod cavum et longum ad modium, seu navigii… », se traduisant par « un sépulcre en pierre, creusé dans le sol ou le roc, se conformant à des normes architecturales, ou toutes sortes de navires… ».

 

 

 

De fait, « Comba », et par la chute du « b », devenu « Coma » en catalan et « Comes » en français, les toponymes des ravins attenants étant explicites, « Ravin dels Taillats », « Ravin des Morts » et « Ravin dels Garrigos », le sommet du mamelon sur lequel il est bâti, ressemblant à la coque d’un navire renversé, aurait été érigé sur un sépulcre en pierre. Et n’y a-t-il point, en son lieu, pour le confirmer, un dolmen ?

 

Notes.

 

(1)Acte de vente, du 18 Novembre 844, consenti par Rotrude, veuve d’Alaric, Comte d’Ampuries et de Roussillon, à son fils Auriol. Marcæ Hispanæ appendix LXII.

(2)Saint Étienne pour les francophones, Saint Estève pour les catalanophones.

(3)Charte concédée par Charles I le Grand à Bera de Barcelone, en 803. Collection particulière Rigat i Roselle, Barcelone.

Rocha quæ dicitur Tumba : Tumba de mauvaise latinité, soit un archaïsme, soit un néologisme, désignant une sépulture, une tombe ou une nécropole.

Rocham Rogum : Roc del Rouguet, à l’Ouest de l’église Saint Estève de Comes, culminant à 820 mètres d’altitude. Comes, plan cadastral de 1810 dit Plan Napoléon.

Rocha quae dicitur Tumba propere Rocham Rogum : Roc dit Le Tombeau proche du Roc del Rouguet.

(4)Ravin dels Taillats : ravin des hommes tranchés ou lapidés.

(5)Ravin dels Garrigos : Ravin des Teusch, – ou Teutons -, ou des Cimbres, peuples barbares du IIe siècle avant J.C., jouant du sistre bruyant et sinistre.

(6)Lluis Basseda. Toponymie historique de Catalunya Nord. Tome 2. Eus pages 458, 459 § 650. Éditions Terra Nostra. 73 à 80. Prades. 1990.

(7)Lluis Basseda. Toponymie historique de Catalunya Nord. Tome 1. Coma pages 107, 108 § 104. Éditions Terra Nostra. 73 à 80. Prades. 1990.

(8)Joan Corominas. Dictionari etimologic i complementari de la llengua catalana. Tome II. Curial Edicions Catalanes. Caixa de pensions « La Caixa ». Barcelona. 1981.

(9)Mais lequel, du torrent ou de la communauté d’âme, donna le nom à l’autre ? Par principe, la ville, le village ou la villa prenait l’intitulé toponymique du cours d’eau comme le Ruskinon, la Têt, Ruskino ou Ruscino, la ville ; Illibère, le Tech, Illibéris, la ville ; etc… Dans le cas de Coma, c’est la communauté d’âme qui a donné nom, au XIXe siècle, au ravin, « Correc de Coma ou Ruisseau de Coma »

Pagus Rossilionensis, le Roussillon ; Pago Confluentanis, le Conflent ; Pagus Lliviensis, la Cerdagne ; et Vallis Asperis, le Vallespir.

 

12 Novembre 2012 © Raymond Matabosch