Brexit : le Labour dans l’embarras de l’entre-deux

Qu’en sera-t-il du référendum outre-Manche sur le Brexit ? En cas de scission, de départ de l’Union européenne, quelles seraient les réactions – à moyen ou plus long terme – en Écosse, Pays de Galles, Cornouailles encore britanniques ? Pour le moment, même si les Travaillistes ont fini par se prononcer fermement pour le maintien dans l’UE, les pronostics sur le résultat s’apparentent au tirage au sort dans un pot au noir et les prolongements, quel que soit le résultat, sont fort incertains.

Dans un récent entretien avec Atlantico, le géosociologue Emmanuel Todd relevait que « en Angleterre, tout le débat sur le Brexit se passe à droite, la gauche ne participe pas au débat. ». C’était à la fois vrai et un peu trop lapidaire. C’est devenu faux-vrai et vrai-faux avec l’intervention du chef de file des Travaillistes, Jeremy Corbin, qui maintient la consigne de vote contre le Brexit, mais laisse plus ou moins militants et adhérents en penser ce qu’ils veulent.

Le futur ex-Royaume Uni après le Brexit : une Angleterre, plus d'Écosse, de Galles, de Cornouailles ?
Le futur ex-Royaume Uni après le Brexit : une Angleterre, plus d’Écosse, de Galles, de Cornouailles ?

Devant une affiche « Vote Remain, 23 June » (s’opposant au «Vote Leave » de Michael Gove et des partisans du Brexit), Jeremy Corbin, chef de file du Labour, vient ce jour d’inciter l’électorat à s’inscrire sur les listes. C’est cohérent : selon sondages et estimations, plus la participation sera importante, mieux le vote pour le maintien dans l’Union européenne se renforcera.

Mais les thèmes de son intervention peuvent aussi conforter les partisans de la scission dans leurs intentions de vote.

Jeremy Corbin a notamment rejoint Emmanuel Todd sur la question de l’immigration. Même si la fachosphère française continuera de labelliser « islamogauchistes » l’un et l’autre, partant du principe que l’outrance paye davantage que l’analyse pouvant déconcerter ses partisans, ni Todd, ni Corbin ne démentent qu’une forte immigration sera source d’efforts budgétaires et de tensions.

Pour Corbyn, celles et ceux qu’inquiète un afflux migratoire ne sont pas des « Little Englanders, xénophobes ou racistes ».  Ces petits « anglo-anglais » désignent l’équivalent outre-Atlantique des All American, des red necks, mais avec une nuance isolationniste plus marquée, y compris, par le passé, quant à la question du Commonwealth. Ni chauvins, ni xénophobes ou racistes… donc pouvant sincèrement voter pour regagner le large d’une insularité renforcée.

Il n’en considère pas moins que le budget britannique devra, du fait de cette immigration accélérée, renforcer les services publics, ce qui est supposé profiter à tout le monde.

Cela pourrait avoir aussi des effets de relance et Corbyn a critiqué vertement le chantage à la récession qu’entraînerait un Brexit : David Cameron et George Osborne ne cessent de marteler que le pouvoir d’achat serait fortement affecté par une scission.

Le chef du Labour a aussi fait un appel du pied aux Britanniques résidant à l’étranger, ou ayant pu y travailler ou étudier. L’argument est relativement faible dans la mesure où des dispositifs bilatéraux pourraient être maintenus après un éventuel Brexit. Les pays membres de l’UE d’après le vote ne vont sans doute pas exercer des représailles feutrées à l’encontre du plus d’un million de Britanniques résidant en Europe.

En revanche, il semble bien que le gouvernement conservateur puisse plus facilement abroger des dispositions du droit du travail : cela étant, l’appartenance de la France à l’Union ne semble guère à présent une garantie trop contraignante en ce domaine. Il reste que le Parlement européen et la Commission ont influé sur la question des congés payés et des horaires hebdomadaires au Royaume-Uni. En France aussi, le FN et l’extrême-droite misent sur une refonte des règles communautaires qui aboutirait à une extrême libéralisation des conditions de travail : « Le PS méprise son électorat, mais le FN aussi. Même si Florian Philippot a fait du rétropédalage, il était déjà trop tard », résume Todd.

La continuité de l’adhésion à l’UE est aussi fortement appuyée par la confédération syndicale GMB (qui a rassemblé des syndicats des services publics et de la métallurgie) qui lie fortement la question du Brexit à celle du maintien des droits acquis par les salariés et fonctionnaires.

Par ailleurs, un économiste favorable au Brexit, Patrick Minford, a fini par admettre que la scission pourrait avoir des répercussions négatives pour les produits britanniques sur le marché continental ; mais, ajoute-t-il, ce serait compensé par l’essor des échanges mondiaux hors Europe, du fait de la levée des restrictions imposées par Bruxelles. Pourtant, la poursuite des négociations sur le Ceta (Comprehensive Economic & Trade Agreement) entre l’UE et le Canada, laisse entrevoir fortement que ces restrictions sont déjà fortement écornées.

De fait, le Brexit divise quant à ses répercussions économiques (à court, moyen et long termes), mais aussi sociétales. Selon les tranches d’âges, les conditions sociales, ou les bénéfices patronaux escomptés ou mis en danger, et bien évidemment les convictions profondes, l’un de ces facteurs peut l’emporter sur l’autre.

Michael Gove, conservateur qui fut chargé des affaires judiciaires a déclaré que Bruxelles ne permettait pas de protéger le pays de l’entrée de criminels et de terroristes. D’autres voix autorisées soutiennent à l’inverse que la coopération policière serait affaiblie en cas de scission.

À ces considérations s’ajoutent les ambitions des uns et des autres, notamment de l’ancien maire de conservateur de Londres, Boris Johnson, qui a rejoint le camp du Brexit, s’opposant ainsi à David Cameron. Le Brexit implique aussi des divergences d’approche du côté des indépendantistes écossais ou même gallois. Selon le résultat du référendum, le SNP, europhile par périodes, eurosceptique à d’autres, peut miser diversement sur ses suites.

Les Travaillistes, longtemps situés entre deux chaises par leur propre électorat, vient de clarifier ses options. Il n’est pas sûr du tout que leurs électeurs les suivent.

De même, la dirigeante du SNP, Nicola Sturgeon, et sa direction (54 députés à Westminster, 63 à Holyrood, le parlement écossais), se sont fermement prononcées pour le maintien. Mais de fortes personnalités indépendantistes ont contrecarré les directives d’unanimité, des économistes ont argué que le Brexit favoriserait agriculteurs et pêcheurs écossais. D’autres soutiennent qu’en l’état des choses, le SNP n’a pas d’influence à Bruxelles et qu’une scission, pouvant être suivie d’une adhésion indépendante, modifierait la donne. C’est dans le bastion SNP de Dundee que les dissensions sont les plus marquées et le parti a dû désavouer le lancement d’une campagne « SNP Vote Leave ».

Tant les instituts de sondage que les bookmakers, à 20 jours du scrutin, donnent l’avantage au maintien mais les indécis (et abstentionnistes) semblent imprévisibles. En plus, le 31 mai dernier, un sondage par téléphone commandité par The Guardian donne cette fois, à l’inverse, le camp du Leave l’emporter. Le même jour, celui publié par The Telegraph, indiquait un effritement de la majorité pour le Remain. On pourrait présumer, que, comme en Autriche pour sa dernière élection présidentielle, il faudra recompter les votes et que la marge sera plus serrée que prévue, même si la recension du Financial Times de ce jour, portant sur tous les sondages récents, donne trois points d’avance pour le maintien (avec, toujours, 11 % d’encore indécis).

Si les dirigeants des sociétés cotées, de la finance et de l’industrie, se prononcent pour le maintien, les patrons des TPE et PME commerciales, artisanales ou de services seraient pour ou contre à stricte égalité, la majorité de l’opinion estimant qu’après un lustre, l’économie britannique ne se porterait pas plus mal qu’à présent en cas de séparation de l’UE.

Un élément peut détourner les jeunes étudiants des urnes. Ils sont en général plus europhiles, mais la date du vote tombe en périodes d’examens ou de congés. De même, les Britanniques résidant sur le continent européen sont considérés majoritairement pour le maintien. Mais des retraités âgés pourraient s’abstenir, et les expatriés depuis plus de 15 ans ne seront pas admis à voter. On ne sait guère non plus comment les ex-immigrants européens ayant obtenu la nationalité britannique se prononceront (certains espérant un regroupement familial facilité, d’autres redoutant la concurrence des nouveaux venus).

Pour envisager autrement la question du point de vue « britannique » (en dépit des fortes divisions), Sophie Gindensperger, de Slate (avec d’amusantes illustrations de DataYolo), en a pris le pouls. L’issue, au doigt mouillé, semble aussi aléatoire qu’un lancer à pile ou face par la chanteuse et actrice franco-anglo-galo-helvète Petula Clark (native d’Epsom) retombant, submergé, dans la gadoue. Quant à prévoir les conséquences à long terme du Brexit pour le Royaume-Uni, avec possibilité de Cornxit, Scotxit, Welshxit, autant renoncer tout de suite…