Apprendre…ou à laisser…

Amoureuse de la calligraphie, de ces mots tracés sur des lignes qui se muent en portées musicales pour mieux les faire danser, nostalgique de ces pleins et déliés dessinés avec délicatesse par mes mains d’écolière en tirant parfois la langue à force de concentration, nostalgique aussi de l’encrier et de sa plume, du buvard qui absorbe mes « débordements », je suis pourtant là,  en train de tapoter sur des touches avec une certaine frénésie. Parce que je ne peux envoyer une lettre manuscrite à tous les potentiels lecteurs et reporters de ce si citoyen site….

Oui, mon clavier est usé. J’en abuse sans doute. J’en reste désabusée, parfois.  Mais j’ai l’excuse de mon âge. J’ai fait l’apprentissage, moi, du crayon, du stylo à bille et du porte-plume, du contact charnel entre le poignet et le papier.  Ce qui me mine c’est l’annonce de leurs possibles disparitions. L’ère du tout numérique va-t-elle se poser comme un OVNI au pays de Jules Ferry… ?

La révolution a déjà commencé. Alors que, petite, à l’heure du goûter, je cassais une tablette de chocolat pour en prélever quelques carrés, les gosses d’aujourd’hui se délectent de leurs tablettes tactiles. Ne va-t-on pas s’en mordre les doigts ? Ne faut-il pas ouvrir la bouche pour exprimer des doutes ? Ne faut-il pas raison garder ?

A la rentrée 2014, au royaume d’Obama, de Steve Jobs, et Mark Zuckerberg, 45 états vont supprimer les belles boucles de l’écriture cursive des leçons d’anglais et de mathématiques, au primaire… A la place les gosses apprendront « Word ». Encore des mots, toujours des mots, mais pas les mêmes mots !   L’université, elle, a déjà « basculé »…Et partout ailleurs, l’écriture en script, les SMS et les courriels règnent en maîtres incontestés…

En France, on va prendre le train en marche. Monsieur Peillon défend l’école numérique. Lang, lui, défendait notre langue… Quid de l’enseignement du geste graphique ? Inapproprié, dépassé ? J’espère, moi, en une « cohabitation » pacifique ! Je m’émerveille encore devant des parchemins égyptiens, des rouleaux de calligraphies chinoises, devant nos majuscules et nos minuscules….

En Grande Bretagne, 40% des citoyens disent n’avoir rien écrit à la main depuis 6 mois… même pas une liste de courses ?…

Les graphologues et les psychologues s’insurgent : L’écriture est un acte constitutif de l’apprentissage au niveau du cerveau. Priver l’enfant de l’écrit, c’est le mutiler au niveau de son raisonnement. S’il ne sait pas écrire en lettre cursives, il ne saura pas non plus lire, et sera coupé de tout un pan de la civilisation… Les japonais l’ont bien compris et écrivent souvent « avec leur doigt », pour mémoriser les idéogrammes de leur alphabet. Apprendre à écrire, c’est se confronter à une norme et s’intégrer dans un modèle social… L’écriture manuscrite est une signature intime et unique  qui retranscrit nos émotions… Et si l’enfant, un jour, ne savait même plus signer ? Peut-être fera-t-il juste une croix, ou laissera-t-il son empreinte digitale… ?  Sera-t-il en mesure de lire la musique s’il n’apprend pas le solfège, ces notes et ces signes griffonnés pour être déchiffrés et joués… ? Que de points d’interrogation, après tant d’inquiètes exclamations !

Voilà, « C.E.S.T.F.I.N.I »….

Il est incroyable que je puisse écrire ces huit lettres aussi facilement, alors que je suis incapable de les accepter…

(Frédéric Beigbeder).