Crise migratoire : Recep Tayyip Erdogan le Messie

« Si tu veux pendre tu pends, si tu veux couper tu coupes », drôle d’injonction que lançait hilare Erdogan à une fillette siégeant à sa place, lors de la fête des enfants, à l’époque de son troisième mandat de Premier ministre. Une boutade qui à elle seule semble bien définir ce nostalgique de la Sublime Porte. Dureté qu’il cherche à compenser, exhibant parfois devant la galerie une facette plus soft de sa personnalité, en arrêtant son cortège officiel pour acheter à un marchand ambulant sa « madeleine » : « un simit ».

Avec la fulgurance de son ascension, Soliman le Magnifique ne lésine plus sur rien pour se donner les moyens de ses ambitions. On voit de ce fait fleurir tous azimuts des restrictions sur les libertés. Une véritable chasse aux sorcières s’est installée dans ce pays où l’on ne jure plus que par limogeages, emprisonnements pour propagande en faveur d’organisation terroriste, emprisonnement pour outrage à agent public ; ou encore pour un oui tout comme pour un non ! Quiconque ose tenir tête en est pour ses frais : pour avoir osé valider le secret de Polichinelle à propos du régime Erdogan fournisseur d’armes aux jihadistes, le journaliste Can Dündar s’est retrouvé au cachot, comme tant d’autres.

Comme par hasard, exit Ahmet Davutoglu, celui qui a négocié avec succès le dossier épineux des migrants volant au passage la vedette à son suzerain. Alors qu’allait être bouclé le cahier des charges relatif à cet étrange accord avec l’UE, voilà que surgit de nulle part une polémique autour d’un critère non respecté: la révision de la législation antiterroriste ! Il n’en fallait pas plus pour faire monter sur ses grands chevaux le sultan allergique à toute forme d’ingérence dans ses affaires personnelles surtout venant de ceux qui encensent le PKK, sa bête noire à lui. Du coup l’exemption de visas dans l’espace Shengen pour ressortissants turcs, volet âprement négocié par Davutoglu, risque de voler en éclats. Les passeurs et les migrants y trouveront leur compte.

A moins qu’il ne s’agisse là que d’un scénario destiné à calmer les frayeurs de tous ceux qui n’ont vu qu’exécution des quatre volontés du Pacha dans cette opération de marchandage. La clause,rendant possible la suspension de l’exemption des visas en cas de problème, initiée par la France et l’Allemagne, vendue comme prouesse, n’ayant pas réussi à elle seule l’effet placebo escompté, sur les sceptiques en question. L’UE semble reculer pour mieux sauter pour le plus grand bonheur de l’unique détenteur de la potion magique capable de résorber le flux migratoire. Celui qui lorgne toujours vers cette Europe récalcitrante en priant: Sésame, Sésame ouvre toi… On ne voit si mal qu’avec la politique l’essentiel est invisible pour les yeux de l’intérêt.