Affaire Benalla : impunité ou non pour les policiers témoins de ses actes ?

Trois membres de la direction de l’ordre public et de la circulation sont sanctionnés sur soupçon d’avoir communiqué des enregistrements de ses actes à Alexandre Benalla… Mais quid des policiers témoins sur place, qui l’ont laissé poursuivre ses agissements sans intervenir ni rapporter les faits à leurs supérieurs ?
Fort bien, les syndicats de policiers, de la « tenue », des officiers et commissaires s’insurgent. Si l’un de leurs adhérents ou eux-mêmes s’étaient livrés à ce qu’a commis Alexandre Benalla, le « superviseur » (y compris des gendarmes chargés de la protection des personnalités, semble-t-il…) de la sécurité du président Emmanuel Macron, ils auraient été, assurent-t-ils, beaucoup plus lourdement sanctionnés… À juste titre, ce avant d’être déférés devant la justice, laquelle, sauf rare exception, la jurisprudence le confirme, se montre très réticente à alourdir les charges (et condamnations s’ajoutant aux sanctions administratives) et n’indemnise guère les victimes à la hauteur de ce qu’elle accorde à d’autres pour des faits survenus entre particuliers. Ce nécessaire rappel vaut encore davantage pour les prévenus n’ayant pas été totalement désavoués par leurs collègues et leur hiérarchie : les magistrats, dont les rapports avec les forces de police et de gendarmerie sont fréquents, savent se montrer parfois plus circonspects qu’usuellement. Benalla, simple « pékin » (civil), n’aura sans doute pas droit à de telles indulgences… D’autant que la plupart sont sans doute moins bien rétribués qu’il le fut.

Circonstances atténuantes

Donc, Laurent Simonin, contrôleur général, Maxence Creusat, commissaire, et un commandant de la DOPC, prévenus d’avoir communiqué des images de surveillance à l’auteur d’usurpation de la qualité de policier et ayant commis des voies de fait sur la personne d’un manifestant, sont sanctionnés par la préfecture de police de Paris… Reste à savoir qui leur a vraiment demandé de communiquer ces enregistrements, sous quelle forme, et à qui exactement. S’il s’agit d’une démarche personnelle (cas de Jean-Jacques Urvoas, ancien ministre, ayant communiqué des informations au prévenu de fraude fiscale Thierry Solère, député), soit. S’ils avaient reçu injonction présumément autorisée de transmettre ces éléments à qui que ce soit à la présidence, ces sanctions semblent totalement injustifiées.
Mais qu’en est-il donc des membres des forces de l’ordre qui assistent aux faits, mais n’interviennent pas, ne procèdent à aucun signalement auprès de leurs supérieurs, et semblent – le conditionnel s’impose – avoir toléré des agissements dont ils savaient que s’ils s’y livraient, ils seraient, leurs syndicats l’affirment, très lourdement sanctionnés ? N’incriminons pas sans recul : dans le feu de l’action, il se peut qu’ils n’aient « rien vu, rien entendu » ou trop partiellement pour s’alarmer. Si c’est bien le cas, une simple réprimande s’imposerait ou non. Si, au contraire, ils ont « tout vu, tout entendu », ils étaient tenus de signaler les faits délictueux et non de les tolérer. S’ils ont voulu protéger un présumé « collègue », que penser des réactions des syndicats ? Considèrent-ils simplement que la justice et la hiérarchie doivent se montrer plus indulgents pour de tels faits ? Est-ce bien l’essentiel du message sous-jacent qu’ils communiquent ? Les policiers et gendarmes intervenant lors de manifestations violentes doivent certes bénéficier de circonstances atténuantes : je ne voudrais pas me retrouver à leur place, encore moins à celle de celles et ceux (parfois aussi des femmes enceintes, cela s’est vu par le passé, de très jeunes gens…) qu’ils « maîtrisent » parfois quelque peu « brutalement ». Mais place de la Contrescarpe il ne s’agissait pas d’une émeute, aucun « meneur » muni d’arme par destination n’a été appréhendé… Or donc, les policiers témoins des faits étaient-ils en mesure de réagir efficacement et conformément à leurs devoirs et obligations ? Ce sont certes des « lampistes » et il reste à déterminer ce que leur encadrement avait donné pour consignes. On doute très fort qu’il ait décrété de son propre chef qu’il fallait « terroriser » des « terroristes » en puissance… À moins que le concept de « l’ultra-gauche » cher à Michèle Alliot-Marie (auparavant à MM. Papon, Marcellin, Poniatowski…) ait été repris à son compte par Emmanuel Macron. Dans ce cas, cet encadrement ne serait-il un zélé exécutant et complice ? Cette présomption n’a pour l’instant aucun fondement et il serait souhaitable que la présidence le précise ou le fasse préciser. Jusqu’à présent, force est de constater que c’est sous la pression de l’opinion que la présidence feint de s’insurger et réagit en conséquence.
Cela peut se concevoir : les liens de copinage entre Emmanuel Macron et Alexandre Benalla étaient patents, mais il n’est pas du tout sûr que le président soit lui-même intervenu pour modérer la sanction infligée, et admissible qu’il ait eu d’autres préoccupations plus pressantes. Il est aussi possible qu’il ait pensé que l’avertissement suffirait, qu’il n’ait pas un instant songé que la justice devait être saisie. Sa formation à l’Ena a pu être défaillante ou superficielle sur certains points de droit. Mais le doute subsiste : sanctionné par une mise à pied, et mise à l’écart des opérations de terrain, Alexandre Benalla a pu reprendre la totalité de ses fonctions et prérogatives, être présent lors de diverses manifestations (hommages, défilé du 14 juillet) sur la voie publique.

Trop peu, trop tard…

Les sénateurs vont se livrer à des investigations pour déterminer pourquoi la présidence a voulu « doubler » les services officiels en se dotant d’une douteuse garde rapprochée. Le chef du service officiel de la protection sera entendu et devra s’exprimer sur ses présumés liens de subordination de facto… Même Charles Pasqua n’avait pas promu des membres du Service d’action civique à tels postes. Les commissions d’enquête sénatoriale et de la chambre basse devront aussi déterminer si Alexandre Benalla n’était bien qu’un simple « observateur » et non pas, officieusement, le « superviseur » des forces de police. D’autres questions émergent : un Emmanuel Macron n’aurait-il pas fait d’un Benalla un préfet hors-cadre pour le récompenser de ses bons et loyaux services ? La présidence ne glissait-elle pas dans l’aire (ou l’ère) du népotisme ? Il sera sans doute reproché à la presse de monter un « simple » fait-divers en affaire de premier plan. Il s’agit là d’une courte vue : David Le Bars, du Syndicat des commissaires, indique que Benalla donnait « des orientations à des commissaires ».
Olivier Faure a posé publiquement une question essentielle : « pourquoi les policiers qui entouraient M. Benalla (…) ne sont pas intervenus ? ». En clair : avaient-ils reçu des ordres, et Benalla avait-il reçu des directives pour « casser du manifestant », et de qui ? S’agissait-il ou non d’une initiative personnelle ? Qui est le véritable ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb ou Emmanuel Macron ? Ce dernier ne dispose – pas davantage que son ministre – d’une formation pour traiter du maintien de l’ordre : a-t-il délégué à un Benalla, novice en la matière (rappelons que la gendarmerie mobile est dotée d’un groupement blindé, le 45e bataillon de chars de combat, qui fut engagé au Kosovo, en Afghanistan et en Côte d’Ivoire…) ? Non, il ne s’agit pas d’un banal fait-divers, car il importe de déterminer l’étendue des dérapages…
Philippe Mizerski, un gradé de la police, était censé « encadrer » le simple observateur qu’était Benalla… Était-il en fait son « aide de camp » ? Et de quoi fut-il témoin ? En a-t-il averti sa hiérarchie  ?

Benalla était logé quai Branly, dans un immeuble ayant eu pour locataires François de Grossouvre, conseiller spécial de François Mitterrand, et Anne et Mazarine Pingeot. Une voiture (Renault Talisman, coût 30 000 euros ou davantage) avec chauffeur lui avait été allouée. Restons circonspects : il n’était pas question de doter sa résidence d’Issy-les-Moulineaux d’une piscine au frais des contribuables… Mais il serait bon de tirer au clair l’ensemble des avantages, prébendes et rémunérations dont il bénéficiait. Et de les comparer avec ce dont jouit un officier subalterne (d’aspirant à capitaine) ou supérieur, ou un magistrat. Brefs, quels furent les « faits du prince » traduisant la gratitude d’Emmanuel Macron ? Benalla bénéficiait-il d’une « charte de transparence » comme Brigitte Macron qui, elle, « supervise la tenue des manifestations et réceptions officielles », prenant le pas sur le chef du protocole ? On attend donc que le budget alloué à Benalla fasse l’objet « d’une présentation transparente dans la comptabilité analytique de l’Élysée. ». Les faits divers sont révélateurs de l’état d’une société… Celui-ci l’est sans doute aussi d’une micro-société. Qui semble s’apparenter très peu avec celle des Charles et Yvonne de

Alexandre Benalla en action

Gaulle et de leur proche entourage.
Benalla coûtera encore cher au contribuable. Même en droit du travail amendé par l’Élysée, une sanction ne peut s’ajouter à une autre pour les mêmes faits. Il peut prétendre toucher deux mois de rémunération devant les prud’hommes. Au moins ne pourra-t-il pas invoquer des « circonstances vexatoires » car tout démontre qu’il était particulièrement choyé…