Affaire Benalla : du Macron laxiste et diverti au Macron impitoyable et rancunier

Parce qu’il s’est comporté tel un foutriquet, au lieu de faire amende honorable, Emmanuel Macron va désormais charger la barque de son confident, Alexandre Benalla… Mais on reconnaîtra au moins une qualité au « fils adoptif » du président : mieux rétribué que Pénélope et les enfants de François Fillon, lui, « mouillait le maillot ».

Revenons d’abord aux faits : selon Naguib Michel Sidhom, photographe de presse (Le Monde, AFP…), le 1er mai dernier, le couple victime du trio Benalla-Crase-Mizerski avait, sur la place de la Contrescarpe, « une attitude extrêmement pacifique ». En témoignent « 141 photos qui sont maintenant à la disposition de la justice », a confié ce journaliste à France Info. Admettons que le chef de l’État, qui a visionné lui-même la vidéo, en a sans doute souri, avant d’entériner pour le principe la sanction de pure forme (et non exécutée) visant Alexandre Benalla, s’en mord les doigts. Il se montrera donc, au moins en parole, encore plus ferme qu’à l’égard du général Pierre de Villiers, ex-chef d’état-major des armées, limogé à la veille du 14 juillet 2017.
Il y a de quoi : car Emmanuel Macron a perdu la face. Il avait tout accordé à un chouchou dont il voulait faire un sous-préfet et qu’il fit promouvoir lieutenant-colonel de gendarmerie, lui accordant un salaire brut de 7 113 euros, de mille euros supérieur à celui d’un préfet d’échelon  3 (le plus haut), en fait équivalant à du net car Benalla ne sortait pas un sou de sa poche : somptueux appartement de fonction, voiture de luxe suréquipée avec chauffeur, divers avantages…

On comprend aussi fort bien que la hiérarchie de la gendarmerie, de la police, de la préfectorale, et divers syndicats de la fonction publique, voyaient d’un fort mauvais œil un jeune homme se voir confier toute la réorganisation de la sécurité présidentielle, embaucher qui lui bon lui semblait, faire grimper les échelons à ses protégés, avec l’aval d’Emmanuel Macron. Promotions au copinage, et loyauté sans faille à qui les accordait : Alexandre Benalla était le confident à tu et à toi avec le couple présidentiel… Le major Philippe Mizerski, qui servait de plante verte ou de cornac à Benalla, se voyait déjà dans la piscine de Brégançon, passant le drap de bain à Brigitte Macron…
Le président jouit d’une totale impunité, non le ministre de l’Intérieur. Voici donc Emmanuel Macron dénonçant des « faits inacceptables ». De la part de qui ? De tous ceux qu’il avait prié d’avoir le doigt sur la couture du pantalon devant Benalla ? Cela fait beaucoup de monde et le général d’armée Richard Lizurey, qui a entériné sans broncher que Benalla soit fait lieutenant-colonel de la gendarmerie, a pris les devants. Il a fait fournir des explications embrouillées sur ce recrutement singulier en qualité d’expert. Mais il n’y a pas que le ministre de l’Intérieur à avoir couvert des « faits inacceptables », il y a aussi le préfet de police de Paris, mis au jus dès le lendemain 2 mai. Aucun des sachants, au plus niveau, que ce soit à l’Élysée, à l’Intérieur, à la préfecture de police, n’a averti le parquet : « faits inacceptables ». Emmanuel Macron a fait fi de tout, y compris des avertissements de Daniel Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur, qui avait alerté Richard Ferrand sur Benalla quand il était encore temps. Mais Benalla était déjà auprès de Macron telle la Montespan auprès de cet autre Jupiter, le Roi Soleil. Tout été permis à ce bienheureux Alexandre qui disposait d’un laisser-passer permanent (un badge H) afin d’aller surveiller les députés à la buvette. Ce passe-droit fut demandé à de Rugy par le directeur de cabinet de l’Élysée. Un permis de port d’arme lui fut attribué en dépit des refus du ministère de l’Intérieur en 2013. Et il coûtait « un pognon fou » selon la locution employée par Emmanuel Macron (à propos des Français éloignés de son cercle d’intimes).

Dans l’entourage du président, après avoir déploré le « lynchage médiatique » subi par le sémillant Alexandre, on assure à présent, reprenant « la voix de son maître », qu’il n’y aura pas d’impunité. Pour personne ? Évidemment, plus question de se cotiser pour la corbeille de mariage (Benalla devait épouser une certaine Myriam le lendemain du soir de sa garde à vue). Le phénix est devenu le galeux. Après avoir soigneusement évité de se prononcer, les députés LREM vont renchérir, se féliciter de la « transparence » réinstaurée. On ressortira les propos d’Emmanuel Macron, alors candidat, pour l’émission Quotidien, évoquant les violences policières : « dès qu’il y a une bavure il doit y avoir une réponse et une sanction, mais elle est hiérarchique (…) il y a un commissaire de police, un directeur départemental de la sécurité publique, il y a un préfet, il y a un ministre, je crois à une République de la responsabilité. ». C’était sur Télé Monte Carlo, en mars 2017. Or, Benalla ayant été placé haut dans la hiérarchie, adjoint au chef de cabinet du chef de l’État, c’est donc cette hiérarchie qui doit rendre des comptes. Laquelle évitera l’expression « responsable mais pas coupable » qui a déjà servi (à la ministre Georgina Dufoix, dans l’affaire du sang contaminé, en novembre 1991). Mais Benalla n’avait pas que des complices au « Château », mais aussi place Beauvau… voire à l’hôtel de Brienne (ministère des Armées) puisqu’il fut maintenu lieutenant-colonel de la réserve opérationnelle de la gendarmerie (donc officier supérieur) sans avoir jamais levé le petit doigt ni signé la moindre feuille de présence. On comprendrait mal que la responsabilité de Florence Parly ne soit pas engagée, au moins sur les bords.

Un tel lieutenant-colonel doit être (décret nº 2008-959) soit « titulaire d’un diplôme de troisième cycle (…) soit justifiant de huit ans d’expérience professionnelle (…) dans un emploi d’un niveau au moins équivalent… ». Deux conditions que ne remplissait pas Benalla. En fait, c’est le ministre de l’Intérieur qui fixe l’échelle de solde (et donc de droits à la retraite) « pour les militaires commissionnés de la gendarmerie nationale » (art. 12). Florence Parly pourra donc sans doute se défausser sur Gérard Collomb… Quant à Édouard Philippe, il aura beau jeu d’affirmer et qu’il n’était au courant de rien.

Emmanuel Macron voyait peut-être en Benalla une sorte de fils adoptif… Au moins, contrairement aux enfants Fillon, mouillait-il le maillot. Certes en se livrant aussi à des exactions, certes encore mieux rétribué qu’une Pénélope Fillon, mais il ne ménageait pas son temps. Pensez donc, il a même poussé le zèle à se mêler aux Bleus (au cas où l’un d’entre eux aurait été susceptible de mal se conduire lors de la réception à l’Élysée) dès leur atterrissage à Roissy. Et puis, il lui arrivait même de faire preuve de retenue : le lycéen ayant lancé un « ça va Manu ? » le 18 juin dernier n’a pas été rossé. Un moment d’inattention ?

Il y aura les retombées politiques immédiates, et les autres… Car le cas Benalla fait douter des capacités de jeunes gens surgis de nulle part que La République en marche présentera aux européennes et aux municipales. Le Canard enchaîné avait surnommé Edouard Balladur « Sa Suffisance », ce qui lui est resté. Si le surdoué de l’Élysée devenait Le Cafouilleur, ou quelque chose de ce genre, ou Le Dispendieux (après la piscine, les fauteuils Napoléon III, les porcelaines de Sèvres, etc.), ou Langue fourchue, l’image présidentielle, et donc celle de LREM serait durablement écornée. Aurore Bergé, porte-parole du mouvement, a estimé sur Europe 1 qu’on ne peut « jeter le discrédit sur l’ensemble de la majorité uniquement pour un acte isolé d’un individu » (qui d’ailleurs était accompagné, pas du tout isolé, aucunement sans soutiens divers…). En titrant « Macron sans parole », Libération ne pointe pas que le mutisme présidentiel. Et finalement, dans l’opinion point déjà le soupçon que Benalla est le reflet intime d’un Macron méconnu, se croyant tout permis, estimant qu’il lui suffit de paraître, en comédien duplice et bluffeur… « Dis-moi qui tu fréquentes… », énonce l’adage.

Benalla en compagnie de Crase, et pas du tout isolé.