Rare Exports, ou le bon sauvage apprivoisé…

Connaissez-vous ce réalisateur finnois dont les œuvres sont une retentissante claque à la face mercantile de notre monde ? Jalmari Helander, avec Rare Exports, sera dans les salles finlandaises ce Noël, et peut-être dans les souliers et les chaussettes du prochain, en DVD. Cette satire du langage publicitaire ne peut en aucun cas laisser indifférent.

 

Je suis convaincue que je ne suis pas la seule inconditionnelle de la série The Big Bang Theory. Multi-primée (elle roule depuis 2007, mais les prix ont du attendre 2010), elle est en passe de devenir « culte ». Je vous laisse la découvrir. Car fait, la mentionner ici m’est prétexte à citer le « trilemme » de Münchhausen. Si je veux prouver que ce que j’affirme est vrai, je m’appuie sur trois types d’argumentation :

1. régression à l’infini ;

2. circularité logique ;

 ou bien…

3. rupture.

Par exemple :

1. Pour Noël, enfants petits et grands reçoivent des cadeaux. Parce que faire des cadeaux perpétue des traditions qui dépassent le cadre chrétien. Pour les chrétiens, cette tradition serait liée aux cadeaux apportés par les trois mages à l’enfant Jésus. D’autres qu’eux, en Occident, pensent aux échanges des cadeaux pendant les Saturnales romaines ;  les Scandinaves se rappellent les cadeaux distribués la nuit du solstice d’hiver par le lutin Julénisse (ces célébrations témoignent du caractère spécial du solstice d’hiver, moment marquant de la rotation de la Terre autour du Soleil), &c . Ainsi de suite car si la régression est infinie, votre attention pour ce texte ne l’est pas…

2. Pour Noël, on offre ou reçoit des cadeaux. Le Noël évoque la tradition, présente en plusieurs cultures, des échanges de cadeaux pour célébrer le solstice d’hiver ou d’autres rites. Ainsi, les cadeaux montrent notre adhésion à l’esprit de fête de la Noël.

3. Pour Noel, enfants petits et grands reçoivent des cadeaux. Parce que c’est comme ca depuis toujours que je suis né(e), que vous en soyez ou non d’accord…

  Si cet exposé préliminaire se révèle plus ou moins fallacieux, j’aurai quand même réussi à vous intriguer au sujet d’un rite que,  selon l’accroche du film Rare exports, « tout le monde » observera cette année. L’œuvre du jeune (né en 1976) réalisateur Jalmari Helander  reprend le fil des quelques courts-métrages de 2003 et 2005 qui forment une allégorie dédiée à tous ceux qui « pensent ne plus croire au Père Noël ».  

C’est une incursion à la finnoise (v. infra) dans le monde de la consommation effrénée d’une offre suscitant plus qu’elle ne répond vraiment à la demande, offre systématiquement cultivée, démultipliée. Si d’autres films traitent de cette surconsommation, ils soutiennent mal la comparaison avec la manière d’Helander. Ils ont recours à trop d’implication émotionnelle, emploient trop souvent un ton accusateur et – ne l’oublions pas – ménagent certains éléments afin d’éviter de blesser les sensibilités des spectateurs (surtout s’il s’agit de films à vocation familiale dont la sortie est programmée en fin d’année).

Helander fait preuve de cet esprit foncièrement finnois – avec lequel on fait connaissance en lisant un Waltari ou un Paasilinna – qui présente  les faits  avec une précision saupoudrée d’une ironie savoureuse, subtile. Il a poussé Helander à oser « plus loin », invitant à découvrir la « vérité » sur le Père Noël. Celle qu’il nous propose devrait solliciter notre raison, et réussir à passer outre les barbelés de notre sensibilité, ou sensiblerie. Ce qui, à notre époque qui fronce le nez devant la violence visible (celle des conflits ouverts, parfois armés), mais gobe la violence dissimulée (celle imposée par la survie quotidienne), vaut quand même exploit.

 

Le nombre des visites sur YouTube (plus de 700 000 pour le court métrage de 2003, plus de 500 000 pour celui de 2005) témoigne d’un intérêt soutenu pour Rare Exports. Parce qu’ils font réfléchir, en premier lieu sur soi-même.

Ces courts métrages donnent envie de fréquenter l’œuvre d’Helander. Pensez à toutes les pubs vantant des produits dont les procédés de production combinent un savoir-faire raffiné au fil de générations de tests, validations, et l’apport constant des innovations technologiques – mélange rassurant pour le consommateur lambda, les experts en mercatique le confirment ! La musique –conforme aux canons d’usage avec cliquetis cristallins comme il sied si bien à la légende  – mérite mention spéciale (on songe à la douceur trompeuse de la bande originale de Rosemary’s Baby, berceuse apaisante pour le rejeton de Satan ! D’autres références de contre-emploi musicaux assumés peuvent venir à l’esprit, mais je ne veux pas influencer personne, ou gâcher la surprise…). On appréciera – ou pas – la narration style docu cucul la praline du premier, reprise pour des faits exposés de manière plutôt pan-pan cucul (menaces voilées pour les adultes) pour le second. Est exposé un processus de production, comme dans toutes les pubs vantant le savoir-faire artisanal, la tradition d’excellence, des marques, les détails servent à éclairer le consommateur et l’instruire sur la valeur supposée de son investissement. Honni soit qui mal y pense ! (je dois penser mal, honnie serais-je donc…).

 

Le film prolonge et amplifie la veine narrative explorée par ces deux courts métrages. La bande annonce est assez explicite pour ressentir l’envie de courir le voir ou, au contraire, s’abstenir frileusement. Sa  sortie  est prévue pour le 3 décembre 2010, en Finlande. Mais dès le 7 août, il a été présenté au Festival du Film de Locarno, et visionné lors de plusieurs festivals internationaux (Toronto, Helsinki) ou thématiques : il vient d’ailleurs d’emporter la palme du meilleur film lors de  la 43e édition du Festival du cinema fantastique de Sitges.

Ce père Noël traité comme une ordure, mais paré de tous les artifices de la mercatique, nous renvoie notre image : consentante et veule.

 

http://sitgesfilmfestival.com/eng/noticies/?id=1003031

http://www.youtube.com/user/RareExportsMovie#p/u

http://www.rareexportsmovie.com/en#story

http://twitchfilm.net/interviews/2010/03/santa-aint-so-jolly-director-jalmari-helander-talks-rare-exports.php

http://www.imdb.com/title/tt1401143/ 

Une réflexion sur « Rare Exports, ou le bon sauvage apprivoisé… »

  1. Hélas, aller en Finlande voir le film pour Noël n’est pas à ma portée.
    Mais cela donne envie 😉

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