Transports en commun : qualité, diversité, facilité plus que quantité

C’est alors que Christian Proust s’affirmait dans ses fonctions d’adjoint à l’urbanisme de la Ville de Belfort que je me suis intéressé à la problématique des transports urbains en commun. J’en ai retenu peu, si ce n’est le fameux adage : « l’offre suscite la demande ». Je retrouve le même édile, devenu président de SMTC90-Optymo, structure départementale des T. en C., dans Le Monde,  où il présente sa vision d’une « mobilité durable et économe » en villes grandes et moyennes. Séduisant, mais coup dur pour l’automobile individuelle…

Pour qui est fâché avec la géographie, le Territoire de Belfort (90) se situe en France (au sud de l’Alsace, frontalier de la Suisse) et Belfort jouxte Sochaux. Les deux villes font partie d’une conurbation, celle de l’Aire urbaine Belfort-Montbéliard-Héricourt, qui « vit » notamment, après le départ de Bull et divers déboires industriels, d’Alstom Belfort (motrices TGV et autres, chaudronnerie, turbines) et de Peugeot (Sochaux et Mulhouse).

À l’heure où la Fiat considère que, pour elle, le marché européen est fini, que Peugeot est mal en point, je ne m’attendais pas à ce qu’un élu MRC (chevènementiste) se fasse ainsi le chantre de décroissance automobile. On (enfin, j’)envisage le MRC plutôt nostalgique de l’ère Pompidou en matière industrielle.

Il n’y a rien de fondamentalement innovant dans les éléments que propose Christian Proust puisque la plupart sont connus, voire appliqués : davantage de bus en sites (semi-) propres – des couloirs prioritairement réservés – côtoyant des vélos et des automobiles en libre accès. C’est plutôt le « mix » (avec aussi, des voitures thermiques en libre accès, et non seulement des électriques) et le mode de gestion qui retiennent l’attention. Bref, un équilibre, un dosage, et la célérité de l’accroissement de la fréquentation globale.

Trop souvent, la réponse municipale ou intercommunale des villes moyennes ou des agglomérations hors grandes métropoles consiste à offrir de nouvelles lignes de bus ou de tramways. Ce qui parfois s’impose… ou pas vraiment. Belfort et Valdoie (sa plus proche et forte banlieue) misent davantage sur l’amélioration des fréquences, et une « mobilité douce » alliée à une forte flexibilité découlant de la diversité de l’offre (incluant le covoiturage).

Plus économique

Le Monde a titré « on peut faire 48 milliards d’euros d’économie » la contribution de Christian Proust. J’en doute fort. Peut-être 20 ou 30, peut-être 60 milliards, allez savoir, car il s’agit d’une hardie extrapolation ; sans compter que parfois, effet pervers, les gains d’ici entraînent les pertes de là.

Les économies porteraient sur le « dispositif de financement par l’État des infrastructures » (nouvelles ou rénovées) qui « incite les collectivités à ne réfléchir » qu’en ses termes. Le dispositif entraîne un subventionnement (15 % à 20 % du coût des travaux), un certain clientélisme favorisant les entreprises de TP (la sécurité routière a souvent bon dos – d’âne aussi – en matière de multiplication des ronds-points sur des routes devenues secondaires proches d’autoroutes), et un renforcement des grandes infrastructures. En ce domaine, pour bien faire, il faudrait mobiliser un « minimum de 60 milliards d’euros de dépenses publiques totales ». Un coût « insupportable ».

Christian Proust soutient qu’avec cinq fois moins (12 milliards) l’objectif de « trois milliards de voyages transférés de la voiture aux transports en commun » serait atteint et que trois millions d’usagers amputeraient de plus de cinq milliards d’euros leur budget déplacement. Soit donc un gain en pouvoir d’achat d’environ 170 euros (ou aurais-je mal calculé : à Belfort, un ménage économiserait 1 800 euros de l’an, selon Ch. Proust) ?

L’essentiel est que, localement, Optymo aurait fait, en quatre ans, progresser la fréquentation de son réseau de près d’un cinquième annuellement (« 75 % en quatre ans », assure-t-il). Même si on lui chipotait ce ou ses chiffres – fâché avec la calculette,  je les prends pour argent comptant – je relève surtout que c’est remarquable, même si je reste dubitatif quand à la réelle possibilité, pour l’usager, de réellement économiser « les coûts fixes liés à la possession individuelle d’une ou plusieurs voitures ».

Autres modes de vie

À Paris, je vis pratiquement en autarcie sur une fraction d’un quartier où abondent petits commerçant, supérettes, moyennes surfaces, services multiples. Je fréquente surtout des voisins très proches ou pas trop lointains.

Je ne sais trop comment je m’étais débrouillé en province (dont à Belfort, et quatre-cinq autres villes), et même, un temps, à Paris, pour trouver de l’emploi à proximité de mon domicile ou inversement. À présent, j’ai renoncé au Vélib, et la voiture parisienne en libre-service ne me tente guère. Devoir payer un abonnement me rebute alors qu’à Belfort, l’offre triple (bus, vélo, auto) est gratuite, le paiement différé, le coût de l’abonnement de bus très bas (et 0,80 euro l’aller simple en bus, contre 1,20 ou davantage en d’autres villes). Contrairement à Londres, où le stationnement en hypercentre est d’un coût exorbitant et reste très cher (bien plus qu’à Paris) à la périphérie, Belfort modérera le prix du ticket au centre et se garer sera « largement gratuit en périphérie ».

C’est déjà une très bonne approche : l’offre suscite la demande, mais ce n’est pas que la densité des lignes ou leur extension qui joue. Fréquence, qualité, adaptabilité et bas prix influent très fort aussi.

En revanche, j’appréhende encore mal la liaison de cette offre avec l’aménagement urbain dans son ensemble.

En province, le recours aux grandes surfaces périphériques pour nombre d’achats est quasiment incontournable. La rurbanisation fait aussi que l’urbanité (des mœurs amicales, qui valent de répondre à des invitations) oblige fréquemment à de longs déplacements, souvent nocturnes.

À Paris, l’extension de la livraison à domicile et bientôt le covoiturage extensif en taxis (soit non plus limité à la seule desserte des aéroports, le taxi prenant plusieurs passagers à diverses étapes pour des parcours urbains ou suburbains), mais aussi le retour des commerces aux horaires étendus en zones très peuplées ou fréquentées, vont aussi modifier « l’offre de transport ». Il serait bon aussi de dédensifier le bâti afin que les piétons retrouvent des ruelles entre les rues, ou des passages couverts évitant des détours obligés. À cette perspective s’oppose le sentiment d’insécurité, les habitants d’immeubles ou de « cités privées » tendant toujours davantage à claquemurer leurs lieux de résidence.

Ch. Proust, qui avait auparavant favorisé l’emprise de secteurs piétonniers, parfois assortis d’arcades (les intempéries sont souvent fortes à Belfort), approuvé une nouvelle passerelle permettant de franchir la Savoureuse (la rivière centrale) entre Vieille-Ville et « doutre », dispose sans doute d’une vue d’ensemble, voire d’une vision plus large, prospective, pour que la ville change en fonction de la vie et inversement.

Mais pour le moment, il propose à l’État « de financer non pas les dépenses mais les résultats en fonction de l’augmentation prévue de la fréquentation des transports en commun. » (avec rétrocession en cas d’insuffisance de résultats). J’estime que la facilitation des transports individuels (après les vélos, les planches à roulettes électriques, d’autres solutions envisageables) devrait être aussi un objectif pris en compte (et qu’un tapis roulant, un escalator publics… sont des équipements de transports collectifs), et donc bénéficier de mesures financières incitatives.

Il est dit que les Vélib et autres ont contribué à faire acheter des vélos. Autant de déplacements soustraits aux transports collectifs : n’y aurait-il pas là une contradiction ?

Les très petites urbaines électriques (deux places, voire une seule), les engins motorisés divers (Segway et concurrents), me semblent tout aussi prometteurs, pour diverses catégories de population, tant pour la production industrielle que pour faire évoluer l’expérience urbaine.

Je n’avance pas que Christian Proust devrait de ce fait revoir sa copie, ni que la mise à disposition de pédalos le long de la Savoureuse serait une option viable qui inciterait à l’achat de tels véhicules, ou que celle d’échasses urbaines serait préférable à la multiplication des vélos et des pises cyclables, mais je me méfie des idées trop lumineuses…

Par ailleurs, si acquérir davantage de bus Tata (de l’indienne Tata Motors) contribuait à la réalisation des objectifs, nous aboutirions à l’incitation à la détérioration de la balance commerciale.

Small is beautiful

Nonobstant ces remarques farfelues mais aussi autres, je souscris sans réserve à la conclusion du vice-président de l’agglomération belfortaine qui a sans doute d’autres propositions (et ne peut, contraint par le type de communication, une contribution courte, détailler, moduler, affiner la présentation de son initiative).

Il relève que l’Europe réfléchit prioritairement à une relance s’appuyant surtout sur de grands projets. La tentation sera grande d’y associer financiers et géants du BTP dans le cadre des fameux partenariats public-privé. « Il y a place pour autre chose », et l’autre risque est d’accentuer encore « le poids des grandes métropoles ».

En cela, Ch. Proust est fort peu pompidolien (du moins, selon une vision réductrice de la période, qui ne se caractérise pas que du point de vue des infrastructures).

« Une voie originale pour améliorer la compétitivité de l’Europe serait de consentir à une dépense publique générant de la réduction de dépenses privées et permettant en même temps une relance des travaux moins onéreux mais beaucoup plus efficaces pour orienter les Européens vers des transports en commun moins chers et plus écologiques. ». Soulignons la première assertion : soit l’amélioration du pouvoir d’achat grâce à la dépense publique.

Bien des voies peuvent être explorées, comme celle d’une mutualisation de la rénovation des immeubles, afin d’obtenir un meilleur rendement énergétique, non plus en proposant des aides individuelles aux propriétaires ou locataires (aides pouvant subsister par ailleurs), mais en engageant les travaux, sous mandat public, la collectivité pouvant y avoir autant à gagner que les bénéficiaires immédiats.

Une population vieillissante a aussi d’autres besoins, surtout si elle est dépendante. La tentation est souvent grande de soutenir des initiatives privées tendant à « mettre les vieux à la campagne » (avant de s’apercevoir qu’ils ne peuvent plus payer les charges, que leurs proches les délaissent car les transports collectifs sont inexistants, les déplacements individuels trop coûteux). Du temps de Roselyne Bachelot, l’inauguration ministérielle de résidences privées était fort prisée. Évidemment, un ministre, un maire inaugurant un simple ascenseur subventionné parce que les personnes dépendantes ne peuvent le financer afin d’envisager de rester à domicile, c’est un peu dérisoire…

Pour les crèches aussi, jardins d’enfants et maternelles, le seul secteur privé est trop souvent favorisé, alors qu’une révision des dispositifs pourrait accroître l’offre sans engendrer des investissements trop lourds et de coûts de fonctionnements élevés.

Les transports ne doivent pas rester le seul domaine pour lequel la dépense publique puisse concourir à réduire la privée. Contribuer à consommer moins, mais mieux, s’oppose à la logique de croissance fondée sur la seule progression du PIB ; de même le pouvoir d’achat réel ne se fonde pas sur le seul accroissement des revenus… Il est d’autres voies.

Le plaidoyer « partisan » (en faveur des villes de 50 000 à 200 000 h), partiel (dans le domaine des T. en C.), de Christian Proust a le mérite de les évoquer incidemment. Ce n’est pas peu, et c’est plutôt nouveau de la part du MRC, Mouvement républicain certes, mais qui accentue ainsi son caractère citoyen.

P.-S. – En illustration, un modèle de dicycle Uno II. Le Uno III, dicycle gyroscopique se déployant en moto classique pour des parcours de plus longue distance semble avoir été éclipsé par le DTV Shredder, engin à petites chenilles pilotable via un guidon repliable. Des pistes de développement pour Peugeot-Sochaux ? Et bientôt des prêts de Segway-like ou d’Uno-like « fabriqués en France » dans l’agglomération belfortaine ? On y songe à l’UTBM (Univ. Tech. Belfort-Montbéliard) ?

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Transports en commun : qualité, diversité, facilité plus que quantité »

  1. [b]transports particuliers v/s communs.
    Voyons ce que nous subissons depuis des décennies de la part du plus gros transporteur français et puis zut tout le monde connait les défauts de cette « entité* » qui est protégée y compris sur le cabotage entre villes pour ne surtout pas être concurrencée par le privé, quant au national le kilomètre passager serait au pire divisé par 2 et mieux encore par certains lowcost par 3 voire 3,5 !
    *vous n’avez pas deviné? c’est la « seuneuceufeu » pardi![/b]

  2. par ailleur je suis surpris de l’oubli des monorails suspendus genre « Safege » (oui, oui, c’est français ça Môssieur)qui ont l’immense avantage de laisser la circulation actuelle se dérouler sans encombre et surtout d’économiser d’immenses espaces d’emprises par les tramways actuels sans compter sur les dangers d’accidents au sol, ni l’entretien nettement plus conséquent.
    [img]http://www.legag.com/safege/images/safege.jpg[/img]
    [b]et ça ![/b]
    [img]http://farm1.static.flickr.com/29/362033462_a92fb06c0e.jpg[/img]

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