Tarnac : une enquête hautement suspecte

En dépit de toute la sympathie que peuvent inspirer des jeunes gens qui seraient à tort poursuivis, non pour terrorisme, mais destruction de matériel ferroviaire, le nouvel élément versé au dossier et qui, selon les avocats des inculpés de Tarnac, disculperait Yldune Lévy et son compagnon, Julien Coupat, n’est pas si déterminant. Mais ajouté au reste, à tout le reste… Ce qui ne manque pas de surprendre, c’est qu’une enquête voulue, suivie, voire activée par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, ait été si mal ficelée…

On pourrait fort bien admettre que, pour ne rien laisser dans l’ombre des activités de l’une des 270 personnes arrêtées ces derniers mois pour vol à l’arraché de colliers ou de bijoux, il n’est pas été estimé nécessaire de faire procéder à un examen de tous leurs mouvements bancaires. Dans ce dossier, avec près d’une affaire élucidée sur deux, la police a fait un travail remarquable.

Ce n’est pas le cas, et d’ailleurs, ce n’est pas tout à fait la même police, dans l’affaire de Tarnac. Voici donc que Le Canard enchaîné publie que, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, alors que l’accusation la « logeait » avec son compagnon, Julien Coupat, dans une voiture située à 45 km de Paris, Yldune Lévy aurait retiré 40 euros – somme un peu minable pour une membre d’un présumé réseau terroriste international – dans un distributeur de billets de Pigalle.

Or, les policiers étaient censés ne jamais avoir quitté de vue le véhicule stationné à Trilport, puis à Dhuisy, lors de la fameuse nuit qui vit des crochets hissés sur des fils d’alimentation de motrices Sncf, provoquant les dégâts matériels que l’on sait.

Argument policier : Yldune Lévy aurait bénéficié d’une complicité pour se fabriquer un alibi que, au cours de long mois et de multiples auditions particulièrement pénibles, elle n’a jamais invoqué. Cela étant, pris isolément, l’argument peut se tenir. Qu’elle ait été ou non coupable de destruction de matériel ferroviaire, Yldune Lévy peut avoir eu le cran de laisser la machine politico-policière dérailler, le gouvernement se ridiculiser.

Mais les autres éléments du dossier laissent penser que le fiasco est total, que l’inculpation pour « direction ou organisation d’un groupement en vue de la préparation d’actes de terrorisme » est farfelue, ad hoc, destinée à faire mousser la ministre.

Divers journalistes, dont Marcel Gay, de L’Est républicain, et David Dufresne, dont l’ouvrage vient d’être primé par les Assises du journalisme, ont publié des livres mettant très à mal la thèse soutenue par Michèle Alliot-Marie et Gilles Gray, de la DCRI, qui évoquaient « le retour d’Action directe ou de la RAF allemande », rien que cela…

À l’époque, divers services de police ont été constamment mobilisés, pratiquement en permanence, pour tout fouiller, tout retourner, ne rien ignorer des faits et gestes de la « bande de Tarnac ». Comment expliquer que les comptes bancaires de ses membres n’aient pas été épluchés ?
Comment se fait-il qu’un tel élément ait été soit dissimulé au parquet ou, pire si tel était le cas, volontairement négligé par les procureurs ? Ils devraient logiquement en répondre, et fournir toutes les explications nécessaires et même indispensables.

Trois contre-plaintes

Cette affaire n’aura en fait pour le moment profité qu’à Éric Hazan, éditeur, et à sa maison d’édition, La Fabrique, qui ont écoulé 50 000 exemplaires de L’Insurrection qui vient, livre collectif aussi attribué à Julien Coupat. Aussi sans doute au chef William Justin, de l’Hôtel des Voyageurs à Tarnac, qui popularise l’emploi culinaire du safran. Eh bien, de safran, soit d’aileron de gouvernail, l’enquête n’en manquait pas : à charge toute !

Selon Me Jérémy Assous, avocat d’Yldune Lévy, la filature policière et ses éléments à charge ont été totalement inventés. Tous les éléments à décharge telle la trace des pneus d’un véhicule ne correspondant pas à celui du couple semblent bel et bien avoir été mis sous le boisseau. Il a fallu ensuite dénicher une connaissance des inculpés, médiatiser son arrestation, puis libérer le jeune homme, un ferronnier de la région de Rouen. Les gardes à vue duraient jusqu’à 96 heures.

En novembre 2011, une plainte a été déposée pour faux et usage de faux en écriture publique. Il s’agit du procès verbal de la sous-direction antiterroriste, la Sdat. Un délit qui relève d’une cour d’assises. Cette plainte serait instruite à Nanterre avec la diligence que l’on constate. Une autre plainte a été déposée à Clermont-Ferrand pour subornation de témoins, encore une autre, à Brive-la-Gaillarde, moins cruciale, pour atteinte à la vie privée des résidents de Tarnac.

Curieux terroristes que ces jeunes gens qui ne nient pas avoir passé une partie de la nuit dans leur voiture en Seine-et-Marne car le prix des hôtels était « de l’ordre de 65 à 70 euros ». La Corée du Nord doit être bien pingre !

Neuf personnes sont initialement arrêtées, quatre placées sous contrôle judiciaire, à partir de novembre 2008. Le 2 décembre, trois nouvelles remises en liberté. Le 16 janvier 2009, Yldune Lévy est libérée, après deux mois de détention, et le 28 mais, après six mois, c’est au tour de Julien Coupat. Le procureur Jean-Claude Marin précise que les charges contre eux restent suffisantes.

À la mi-janvier 2011, une reconstitution que les avocats de la défense dénoncent tronquée, bâclée, partiale, est organisée. Le 24 février 2012 intervient l’arrestation à Rouen. Rappelons que l’interpellation du groupe de Tarnac avait mobilisé 150 policiers : moins, certes, que le moindre déplacement de Nicolas Sarkozy, mais si toute l’enquête devait être chiffrée, tant à Paris qu’à Londres puisqu’un policier britannique avait été infiltré, les contribuables seraient sans doute surpris. D’autant davantage que l’affaire Merah, elle de nature véritablement terroriste, n’a sans doute pas mobilisé autant de personnels et de moyens, en tout cas dans les premiers temps…

Instrumentalisation

« Instrumentalisation, il y a eut, c’est une évidence », a estimé David Dufresne à la suite de Marcel Gay et d’autres journalistes. Mais dans un premier temps, toute la presse a gobé et répercuté la thèse d’une organisation terroriste « d’ultra-gauche ». Il n’y avait guère que Bakchich.info et d’autres titres, rares, pour aborder l’affaire avec circonspection. Le juge Thierry Fagnoli alimentait la presse d’éléments à charge, il a été depuis déchargé de ce dossier (à sa demande, a-t-il fait savoir, et on y croit très fort). Les choses commençaient à lever des doutes et le juge s’adressait aux « amis de la presse libre (je veux dire celle qui n’est pas affiliée à Coupat/Assous ». Formulation pour le moins maladroite.

Pendant ce temps, trois juges, Renaud Van Ruymbeke, Patrick Ramaël, Marc Trévidic étaient soit sanctionnés, soit l’objet de l’attention du Conseil supérieur de la magistrature (qui vient de blanchir totalement Renaud Van Ruymbeke) : ils n’étaient pas assez dociles pour la Chancellerie et le parquet.

Nous avions été quelques-uns, dont Paul Tian, alors au Post (.fr), qui a depuis rejoint Le Plus (Nouvel Observateur), sur Le Post, ou ici, Come4News, et ailleurs, sans pour autant le moins du monde être affiliés à « Coupat/Assous », ni même participer au site de Soutien aux inculpés du 11 novembre, ou au groupe SoutienLyonTarnac, ou d’autres, à nous interroger sur les versions policières.

Nous n’avançons pas, comme Me Jérémie Assous, que « la version policière est totalement anéantie ». Elle est plus que partiellement écornée. Mais l’essentiel – sauf sans doute pour les inculpés et ex-détenus, on le comprendra aisément – n’est pas là.

D’une part, même si le mode opératoire n’est pas le même, des dégradations volontaires de matériel ferroviaire, peut-être dus à des groupes manifestant leur opposition à l’industrie nucléaire, ont été constatées depuis l’arrestation et la remise en liberté des personnes incriminées dans l’affaire de Tarnac. D’autre part, comment qualifier de tels actes – s’ils ne mettent pas en risque la vie de personnes, ce qui semblait ne pas être le cas pour l’histoire des crochets – d’action terroriste, sur le même plan que l’assassinat de militaires ou d’enfants (cas de Merah) ?

Qui manipulait qui ?

Pour paraphraser les propos que Le Canard enchaîné aurait, selon elle, attribués indûment à Marine Le Pen, nous n’adressons pas cette invective aux policiers « Trous du cul ! Il est plus facile de s’en prendre à de mauvais français qu’à des patrons voyous » (remplacez « mauvais » par « bons » et « patrons voyous » par « bougnoules » et vous obtenez la version réfutée par Marine Le Pen qui poursuit le volatile). Il semble que la police n’ait pas fait, dans l’affaire de Tarnac, que son travail, mais déployé tout le zèle qu’attendait d’elle Michèle Alliot-Marie. Avait-elle le choix ? « Elle », soit la police, soit la ministre, qui aurait été « enfumée » mais trop heureuse de l’être de la sorte. Si on lui a survendu un dossier, elle a embrayé à fond.

Un lecteur-commentateur du Figaro avait suggéré que le consultant en sécurité Alain Bauer, proche de l’Élysée alors, mais toujours en bons rapports avec Manuel Valls, aurait pu tenter d’utiliser cette « croquignolesque » affaire pour « tourner en ridicule Alliot-Marie ». Il aurait, vers la fin de l’été 2007, distribué une quarantaine d’exemplaires de L’Insurrection qui vient, à destination de Frédéric Péchenard (DGPN) et d’autres grands flics ou personnalités gouvernementales.

Mais le 16 avril 2009, au lieu de se taire alors que Le Monde et Libération faisaient volte-face et mettaient en doute le sérieux de l’enquête, la ministre avait appuyé les policiers et les magistrats instructeurs.

L’affaire de Tarnac ne se contingente absolument à l’innocence ou à la culpabilité de tels ou telles individus ou personnes susceptibles d’avoir provoqué des dégâts ferroviaires.

Mobilisations générales

On se souvient aussi que la police avait été massivement mobilisée pour retrouver l’auteur des lettres signées « cellule 34 », adressées à des politiciens et accompagnées d’une balle. Un récit de l’affaire se trouve sur le blogue Police-recrutement (« Au coeur de la Cellule 34 »), une autre version s’inspire du livre Garde à vue, l’affaire du corbeau à Saint-Pons-de-Thomières. 62 heures d’interrogatoires pour onze personnes, dont des notables locaux. Au final, Thierry Jérôme, 54 ans, handicapé, membre d’un club de tir de l’Hérault, domicilié à Hérépian, avoue avoir expédié une trentaine de lettres de menaces fin 2008, dont l’une destinée au… maire de Lamalou-les-Bains !
Lu à l’époque dans Le Parisien (6 juin 2009), à propos d’un buraliste, d’un dentiste et d’un architecte, d’un ancien principal de collège : « selon certaines sources, ils seraient proches de la mouvance d’extrème-gauche et engagés dans la lutte contre l’implantation d’éoliennes ». Le buraliste, Pierre Blondeau, est donné auteur d’une feuille « prolétarienne ». Le style des lettres était « très confus », et truffé « de propos décousus et injurieux » (la presse d’alors, dont La Provence).
Mais la brigade criminelle, la Sdat (antiterrorisme), les directions interrégionales de la PJ de Marseille et de Bordeaux (Alain Juppé était aussi destinataire), les services du renseignement intérieur, si ce n’est la garde suisse vaticane, ont été mis sur le pied de guerre.
Un informaticien de Montpellier avait aussi été mis en garde à vue pendant près de 48 heures car il avait été suspecté d’être l’auteur des lettres par son ex-compagne. La Sdat, la criminelle parisienne et le SRPJ de Montpellier avaient été mobilisés.

Cette fois, Michèle Alliot-Marie avait fini par concéder que l’auteur des lettres était « un petit peu dérangé ». Mais lors de la campagne présidentielle, Claude Guéant avait affirmé que François Hollande avait été lui aussi rendu destinataire d’une lettre s’accompagnant d’une balle. « C’est quelque chose qui est sérieux », déclarait Claude Guéant. Hollande confirmait en commentant sobrement : « ce n’est pas la première fois… ». Apparemment, l’enquête n’est vraiment depuis accélérée. Martine Aubry aussi, en février 2011, avait reçu un tel courrier. L’incident fut relaté par la police et non par l’intéressée.

Mais dans un premier temps, l’affaire de la Cellule 34 avait été vendue à la presse en faisant état de « la mystérieuse cellule 34 » et les enquêteurs avaient même évoqué le Mouvement initiative et liberté, structure proche de Jacques Rougeot et de L’Union nationale interuniversitaire (Uni), organisation étudiante de droite, liée aux jeunes gaullistes de l’UJP du temps de Jacques Foccart et de l’UDR pompidolienne. Bref, des extrémistes chiraquiens poursuivaient la lutte Clearstream par d’autres moyens…

Dans l’affaire Coupat, la Sdat avait soutenu que lui-même ou sa compagne avaient parcouru 26 km à 159,6 km/h de moyenne pendant dix minutes au volant d’une vieille Mercedes. Ce n’est qu’à présent que, selon Me Jérémie Assous, le fameux retrait pose problème. On a patiemment attendu que les fichiers de la vidéosurveillance du distributeur aient été « écrasés depuis longtemps », confie-t-il au quotidien La Montagne. Le relevé a été caché à la défense : « j’en ai eu connaissance il y a seulement dix jours. ».

Lâcheté et mensonge

Le fameux relevé était aux mains des enquêteurs depuis 2010. En ont-ils fait part à Michèle Alliot-Marie ? Au magistrat instructeur ? Michèle Alliot-Marie était alors garde des Sceaux.

Si elle en avait été avertie, l’affaire Coupat devient l’affaire Alliot-Marie. La bande de Tarnac évoque la clique du ministère de l’Intérieur et de la Justice d’alors. De quoi enrichir l’entrée de l’ex-ministre dans le Who’s Who.

Comme elle le déclarait encore au JDD voici peu, à propos de sa motion Le Gaullisme, voie d’avenir pour la France, destinée au congrès de l’UMP, « on agit plus qu’on ne parle », et la vigilance s’impose « à la veille d’une grande crise qui déboucherait sur des extrémismes. ». Elle concluait par ces fortes paroles : « ceux qui espèrent que je vais arrêter ne sont pas encore débarrassés de moi. ».
Effectivement, elle risque encore d’encombrer sa formation.

Ce qui la désespère et l’exaspère dans la vie politique, « c’est la lâcheté et le mensonge. ».
Par omission, aussi, le mensonge ?

Avec son compagnon, Patrick Ollier, Michael Bullara et Marie-Anne Montchamp, MAM s’accroche. Eh, les affaires de crochets, elle connaît…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Tarnac : une enquête hautement suspecte »

  1. [b]Ça sent le montage genre « irlandais de Vincennes »
    la droite a eu tord de copier tonton[/b]

  2. Pas mal vu, Zelectron. Pour les Irlandais de Vincennes, difficile de dire qui bourrait le mou à qui. Mais en politique, l’erreur est une faute.

  3. Pourquoi un bandeau à droite des articles empêche une lecture normale. Merci d y remédier faute de quoi votre site n à plus d intérêt

  4. – Affaire Tarnac : la justice ordonne l’audition de 18 policiers
    -[b]La ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, a rejeté,
    jeudi 16 avril 2009, plusieurs contre-enquêtes journalistiques
    critiquant la qualification de terrorisme dans l’affaire des
    dégradations de caténaires contre des lignes SNCF fin octobre
    et début novembre 2008.[/b]

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