Le Brexit selon Macron : du machiavélisme de comptoir ?

Pour la seconde fois en trois mois, Emmanuel Macron, outrepassant son rôle et ses fonctions ministérielles, a évoqué un Royaume-Uni hors de l’Union européenne devenu aussi insignifiant mondialement que Guernesey. Malhabile provocation ou hypocrite volonté de faire gagner le camp du Brexit ?

En comparant le Royaume-Uni sorti de l’Union européenne à un comptoir commercial de l’importance de Guernesey, Emmanuel Macron s’est soit comporté en parfait crétin, soit en harangueur d’estrade. En plus, il récidive…

Il est fort probable que, si le Royaume-Uni se séparait de l’Union européenne, David Cameron (ou Boris Johnson ou tout autre conservateur pouvant le remplacer au 10 Downing Street) négociera avec Bruxelles – soit de fait avec les chefs d’État et les ministres des finances de l’UE – un statut proche de celui des pays hors union mais appartenant à l’Espace économique européen. Il s’agit de trois pays signataires de l’Association européenne de libre-échange (Norvège, Islande, Liechtenstein) auxquels on peut ajouter la Suisse, signataire elle-aussi mais n’ayant pas encore ratifié le traité de l’AELE.

Dans ce cas, il y a fort à parier que les pays membres de l’UE imposeront des conditions similaires à celles s’appliquant à ces pays.

Pour la majorité de la classe politique norvégienne, ficelée par les résultats de deux référendums rejetant l’adhésion à l’UE, ce statut n’est guère avantageux. Pour continuer à faire pression dans les coulisses de Bruxelles, le gouvernement, le patronat et les syndicats norvégiens s’accordent au moins sur la contrepartie : une contribution financière importante. La Première ministre norvégienne, Erna Solberg, s’exprimant récemment dans Politico, a conseillé aux électeurs britanniques de ne pas s’aventurer dans cette voie : la Norvège s’est vue contrainte d’intégrer l’espace de Schengen, s’acquitte d’une contribution proportionnelle à ses revenus qui est relativement plus importante que celle du Royaume-Uni – lequel bénéficie d’une dérogation obtenue par Margaret Thatcher –, et s’aligne sur la plupart des décisions juridiques de l’Union (environ les trois-quarts) sans pouvoir opposer un veto. En sus, son gouvernement entretien une cinquantaine de délégués permanents dans les couloirs bruxellois ; patronat et syndicats font de même.

Dans un entretien accordé au Monde, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, a précisé la position française : en cas de Brexit, la contribution britannique sera similaire à celles des pays de l’AELE. Mais il a assorti ce qui peut être pris pour une menace financière d’un insolite comparaison, déjà employée précédemment. Hors de l’UE, le Royaume-Uni se retrouverait dans la situation d’un comptoir commercial dont l’influence serait comparable à celle d’une île anglo-normande, Guernesey. Pourquoi pas Chausey ou Sercq, voire Sainte-Hélène (ou l’inhabitée Rockall, d’une superficie de 25 m²) ?

Une comparaison avec le Japon, qui est aussi, comme le serait le Royaume-Uni coupé de l’Union, « un petit pays à l’échelle du monde », aurait été concevable. Celle-ci est d’une outrance inconvenante et on peut se demander si Emmanuel Macron la formulée sciemment ou non.

Elle est de nature à inciter les eurosceptiques encore indécis à se rendre aux urnes pour lui adresser en retour l’équivalent du mot de Cambronne : F*** you ! De quoi renforcer la détermination des partisans du Brexit à ne surtout pas s’abstenir.

On feindra de croire qu’Emmanuel Macron, qui souhaite un renforcement de l’Union, et que se développe un sentiment d’appartenance à une Europe plus fédérale encore, et vaguement moins néolibérale (ben tiens, venant de lui…) considère que celle-ci gagnera à se conforter sur l’espace continental, ce qui implique que le Royaume-Uni largue ses amarres.

La provocation est toutefois quelque peu grossière, et même injurieuse. À trop vouloir copier les méthodes et les propos de Sarkozy, Emmanuel Macron s’expose à des dérapages que même l’ex-président sait mieux contrôler.

Les Britanniques, et surtout bien sûr les Anglais, ont été exaspérés par les exagérations, les arguments confinant au chantage, à l’alarmisme outré d’une large partie de la classe politique et des castes industrielles ou financières s’opposant au Brexit.

Pour le continent, les conséquences du Brexit ne seraient pas qu’économiques ou diplomatiques (puissance nucléaire, disposant d’un veto à l’Onu, le Royaume-Uni est aussi un partenaire précieux).

Les répercussions sur la politique intérieure des pays adhérents présenteront des similitudes avec ce qui risque de se produire au Royaume-Uni. Soit un renforcement de l’influence de l’Ukip, le parti de Nigel Farage. Un parti xénophobe, ultra-nationaliste, qui s’efforce de gagner en respectabilité (notamment en se rapprochant de Dupont-Aignan, infligeant ainsi un camouflet à Marine Le Pen et au FN).

Le nouveau chancelier autrichien, Christian Kern, est tout aussi inquiet des conséquences du Brexit : il encouragera les électorats populistes en Europe. Ceux-ci se sont notoirement renforcés en Autriche du fait de l’afflux d’immigrés et le candidat du FPÖ (parti de la liberté de l’Autriche), Norbert Hofer, a failli de très peu emporter l’élection présidentielle. Le chancelier autrichien estime que la dérive néolibérale de l’Union européenne facilite la montée en puissance des partis nationalistes et populistes.

L’exagération d’Emmanuelle Macron a été fraîchement reçue au Royaume-Uni. Même le lectorat du quotidien en ligne The Independent a majoritairement ironisé, ou s’est offusqué. Il a même été avancé que « l’élite politique française déteste le Royaume-Uni et se sentirait les coudées plus franches si le Brexit l’emportait… ». Ou que, ex-banquier d’affaires, il poussait l’électorat anglais vers la sortie afin de renforcer l’influence de la finance continentale. Sa pique révèle une vanité injurieuse et « ajoute de nombreux votes aux partisans du Brexit. ».

Les plus mesurés l’ont comparé au soldat français du film des Monty Python, Sacré Graal (soit un petit roquet finissant déconfit, et toussotant des cocoricos sur son tas de fumier).

On épargnera à Emmanuel Macron les commentaires glanés dans la presse populaire anglaise…

Un commentateur sur le site du Financial Times pose clairement la question : « serait-ce que le gouvernement français tente de saper le camp du Remain et de pousser au Brexit ? Ou que la France se considère toujours être le centre du monde ? ».

Un autre semble avoir été inspiré autrement par cette menace de représailles : « et si on mettait tous les produits consommables français en quarantaine aux îles Scilly ? » (avant de pouvoir être mis sur les rayons anglais). De quoi renforcer la réputation du pays des fromages « qui puent ».

Il est certain qu’en France, nombreux sont celles et ceux qui considèrent que la sortie du Royaume-Uni permettra de renforcer la coopération européenne. Günter Oettinger, le commissaire allemand à l’économie numérique (après avoir été chargé de l’énergie) est d’ailleurs de cet avis. Le seul contre-argument qu’il envisage tient au risque d’un « effet domino » que Macron a écarté d’un revers de main : les Pays-Bas ou le Danemark pourraient être tenté de suivre…

Dans ce cas, la crédibilité de partis comme le Front national serait raffermie. Macron roulant pour le FN ? On attend désormais les réactions de Jean-Marc Ayrault (Affaires étrangères) et d’Harlem Désir (Affaires européennes) ou même de Matthias Fekl (Commerce extérieur, promotion du tourisme… parmi les réactions suscitées par Macron outre-Manche figure le boycott des produits français). Jean-Marc Ayrault, en visite à Londres, avait su employer les mots confortant la position de David Cameron, « on ne demande pas aux Britanniques de nous suivre dans tout, chacun fait ce qu’il veut, l’Europe différenciée a été actée » (sous-entendu : ce référendum, imposé au Premier ministre britannique, n’a plus vraiment lieu d’être). Quant à la pertinence d’évoquer des renégociations financières en cas de Brexit, il revenait à Michel Sapin d’en décider.

Pourtant, Emmanuel Macron a réussi : à (re)faire parler de lui. C’est de plus, sur la question, un récidiviste. À la mi-avril dernière, en termes à peine mieux mesurés, devant Andrew Marr, de la BBC, il avait déjà évoqué Jersey et Guernesey, et même un renforcement des contrôles des porteurs de passeports britanniques. Le Daily Express avait alors donné largement la parole à des partisans du Brexit pour répliquer et lui dire son fait : « plus des ministres français parleront de la nécessité pour nous de rester dans l’Union européenne, mieux c’est car cela revient à inciter davantage d’électeurs à voter pour la sortie. ». Total ahuri ou politicard prêt à tout afin de se mettre en avant ?

Charitablement, on optera pour une troisième hypothèse : Macron prépare son retour dans le secteur bancaire français et parie sur un Brexit qui affaiblirait la City. Pari risqué et quelque peu cynique. Comme Siné avait pu le dire d’un fils de Sarkozy, « il ira loin, ce petit ».

À moins qu’il soit assez retors pour imaginer qu’un vote pro-Brexit ne serait pas entériné par le parlement britannique : 68 % des députés sont pour le maintien dans l’Union. Mais on voit mal celles et ceux craignant pour leur réélection s’aventurer à censurer une majorité de leurs électeurs. In fine, il est vain de supputer qu’Emmanuel Macron réfléchisse autant, si ce n’est à son propre destin…