Le retour de la télé d’État

Ainsi a tranché l’homme qui décide de tout et se contrefiche de mettre à bas tous les principes démocratiques. Première étape : on supprime la publicité sur France Télévisions. Les sarkozistes prétendent toujours que la majorité présidentielle ne fait qu’appliquer les engagements pris par le candidat UMP durant la campagne. Sauf que ça dépend. En l’occurrence, jamais n’avait été évoqué ce projet, avant que l’homme qui se prenait pour un visionnaire ne le sorte de son chapeau tout à trac, lors de la conférence de presse du 17 janvier 2008, sans même en avoir informé la ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel, il est vrai parfaite bénie-oui-oui. Suppression de la publicité, donc. Pour quoi faire ? Double avantage : faire plaisir à Martin Bouygues, parrain du fils de Sarkozy et propriétaire de TF1. Les annonceurs qui ne passeront plus sur le service public vont aller garnir le portefeuille des chaînes privées. La Tribune peut dès lors titrer : Sarkozy prêt à supprimer la pub sur les chaînes publiques, TF1 et M6 s’envolent  : leurs actions en bourse grimpent ce jour-là respectivement de 11,97% et de 7,46% à 17,7 euros. Deuxième intérêt : en privant France Télévisions de 30% de ses ressources, on rend le service public d’autant plus dépendant de l’État, ce qui prélude à une reprise en main politique. Que réclame en effet le président ? Qu’il lui appartienne désormais personnellement de nommer le patron de France Télévisions, pas moins !

"C’est un véritable déni de démocratie. On retourne quarante ans en arrière !", proteste sur Le Post Alain Téaldi, président de l’intersyndicale de France Télévisions et grand reporter à France 3. L’opposition politique partage son indignation : "Le service public, s’il est pieds et poings liés au budget de l’Etat, c’est plus de dépendance à l’égard du pouvoir politique, donc c’est une perte de liberté", constate le député socialiste Arnaud Montebourg, dénonçant la "propagande du pouvoir, l’utilisation des médias comme arme de guerre" ; "Le service public devient directement dépendant de l’Etat : son patron va être nommé par le pouvoir, et ses financements dépendront chaque année du bon vouloir des gouvernants. Quelle marge de liberté restera-t-il à la télévision ? En réalité aucune", juge pour sa part François Bayrou, anne souyrisprésident du Modem  : "Tout ceci serait impossible dans des démocraties de plein exercice. On a rarement vu un plan aussi déterminé de mise sous contrôle de la télévision" ; Anne Souyris, porte-parole des Verts, parle de "procédé digne de Berlusconi" : "La nomination du président de France Télévisions par le gouvernement est une régression démocratique et un danger pour l’indépendance des médias, déjà fortement mise à mal en France. Ce n’est pas pour renforcer la qualité des chaînes publiques qu’on supprime leurs subsides publicitaires, mais pour mieux contrôler les chaînes publiques et acheter à bon prix la bienveillance des chaînes privées, dont TF1" ; jusqu’à l’ancien ministre socialiste Jack Lang, qui délaisse son rôle de bouffon pour emboîter le pas de la jeune femme avec cette analyse lucide : "il n’est pas impossible que derrière toutes ces réformes il y ait la volonté d’une double mainmise : mainmise via le service public (…) et mainmise à travers des amis du pouvoir ici ou là dans les chaînes privées". Pas impossible, dit-il ?

Comment donc le pouvoir justifie-t-il cette formidable régression ? En une grotesque défense, résumée dans la bouche du Premier ministre François Fillon : "Je pourrais développer longuement devant vous tout le caractère hypocrite du système actuel de csanomination du président de France Télévisions". Actuellement, cette prérogative appartient au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Un CSA dont tous les membres ont été nommés par la droite, qui est présidé par Michel Boyon, ancien directeur de cabinet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin (UMP). Il comprend parmi ses huit autres membres Alain Méar, ancien directeur de cabinet du président du sénat Christian Poncelet (UMP) – et nommé au CSA par ce dernier ! -, Elisabeth Flüry-Hérard, ancienne conseillère au cabinet du ministre Jacques Toubon (UMP) et Marie-Laure Denis, ancienne directrice-adjointe du cabinet du maire de Paris Jean Tibéri (UMP), puis directrice adjointe du cabinet du ministre Jean-François Mattéi (UMP) et ensuite directrice du cabinet du ministre Christian Jacob (UMP). Les autres sont Michèle Reiser, journaliste auteur de deux très complaisants documentaires sur Alain Juppé (UMP), diffusés en 1996 sur France 3 et en 2002 sur France 5, et d’un autre non moins lèche-bottes sur Jean-Claude Gaudin (UMP), Agnès Vincent-Deray, auteur de l’immortel Bernadette Chirac, première dame de France (France 3), nommé ensuite par le mari de cette dernière, et enfin Rachid Arhab, journaliste à qui l’on n’a rien à reprocher… si ce n’est de servir d’alibi à une assemblée aussi unanimement couleur bleu horizon. En mettant le doigt sur l’hypocrisie du système actuel, Fillon reconnaît donc que l’organisme chargé de veiller à l’indépendance et la pluralité de l’information est en réalité totalement soumis à la droite. Il est clair qu’une nomination directement par Sarkozy est moins hypocrite, mais le but est-il bien, sous prétexte de transparence, de parvenir à l’asservissement politique total ? Manifestement incohérent, le Premier ministre objecte : "il y aura un double contrôle, celui du CSA et celui du Parlement". Or il vient de dire que la nomination par le CSA est hypocrite ! Et que penser de l’hypothèse qu’une Assemblée où l’UMP est largement majoritaire s’oppose à la nomination faite par le chef de l’État ? À hypocrisie, hypocrisie et demie. Voilà donc comment la démocratie française va désormais garantir la pluralité et l’indépendance de ses médias télévisuels : avec les amis de Sarkozy à la tête des chaînes privées et… les amis de Sarkozy à celle du service public. Heureusement, il restera la presse écrite et des journaux d’opposition comme Libération, qui offre la Une et six pages complaisantes à Carla Bruni-Sarkozy : on est sauvé !

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