La France est-elle germanophobe ?

Oui et non.

 

Copie d’écran. Pour évoquer la germanophobie actuelle, alors que se célèbrent les cinquante ans de l’amitié franco-allemande, Frédéric Taddeï reçoit de nombreux intellectuels.

 

Support Wikipedia Sur France 2 eu lieu en fin de soirée un débat de fond sur la relation Allemagne-France comme moteur de l’Europe. Ce doit être la première fois qu’un tel débat sur un seul sujet est organisé par l’animateur Frédéric Taddeï, dans sa célèbre émission «Ce soir ou jamais». Il y fut question de germanophobie, en d’autres termes les Français auraient une attitude hostile envers l’Allemagne, un sentiment qui prend tout son sens dans le bras de fer engagé, par les peuples des pays du Sud de l’Europe, contre la politique de la chancelière Angela Merkel.

Tout se résume à cette question, les Allemands veulent-ils dominer l’Europe ou bien ce ne serait qu’une conséquence due à leur puissance industrielle, ce qui les mettraient en situation de culpabilité ?

Le débat soulevé par les différents participants porta sur la relation du couple Franco-allemand. Après la guerre de 1945 l’Allemagne coupée en deux, fit que la France marqua sa suprématie politique et industrielle sur une Allemagne diminuée. Mais dès qu’elle fut réunifiée, après la chute du mur de Berlin, c’est à dire intégrant sa partie Est, elle redevint la grande puissance qu’elle est actuellement, c’est à dire celle d’avant la seconde guerre mondiale et bien entendu supérieure économiquement à nous. Elle absorba les différences sociales entre ses deux parties pour n’en faire qu’une, ce qui montra sa capacité économique en intégrant plus de 16 millions d’habitants. Mais cela lui fournit une main d’œuvre à bas prix qui équilibra en même temps l’effort engagé. Actuellement la RFA, République Fédérale d’Allemagne, c’est plus de 81 millions d’habitants. C’est une réalité qui fait d’elle une des plus grandes puissances économique mondiale mais avec un taux de naissance faible, qui modifiera son économie quand il faudra faire des enfants, donc développer des revenus et des structures sociaux. L’Allemagne n’est pas un pays jeune, le taux de natalité en 2011 est de 8,1/1000 habitants avec et un solde migratoire de 369.000 personnes. Pour le moment cela lui profite par de la main d’œuvre étrangère payée beaucoup moins chère, d’où des prix compétitifs.

Pour Emmanuel Todd les règles ont changées, l’Allemagne est revenue elle-même, et les Français dans ce schéma d’après guerre, surestimeraient la puissance de la France ? Dans ce problème de germanophobie, qui en fait n’en serait pas un, c’est le fait que l’Allemagne contrôle économiquement l’Europe par l’euro, comme elle l’a contrôlait auparavant par la puissance du Mark, qui y a-t-il de nouveau ? N’est-ce pas tout simplement un problème pour la France, parce que plus petite, mais aussi par son industrie plus faible, et sa forte natalité, 12,6 /1000 qu’il faut soutenir, ce qui introduit des contraintes en notre défaveur. Est-on pour autant germanophobe ? Nos échanges culturels avec l’Allemagne sont importants, les français ont depuis longtemps considérés les Allemands comme des partenaires. Par contre, ce que nous sommes, c’est contre cette politique qui ne voit de solution à la crise que par le serrage de ceinture des pays du Sud, qui, depuis deux années, n’a fait que de les enfoncer un peu plus dans la déchéance.

La germanophobie serait plutôt en Grèce, en Espagne, en Italie par ce que ces pays souffrent plus qu’en France. Cette différence économique culpabilise les allemands puisqu’ils tirent profit de la faiblesse des autres, au point que l’Allemagne se place en dehors de l’Europe qu’elle construisit avec nous. C’est un peu comme le surdoué qui se trouve à l’écart des autres en classe. Les Français ne sont pas germanophobes, mais contre la politique qui ne voit de solution que par un seul bout.

En fait, les Allemandes seraient coupables d’avoir adapté leur pays à la mondialisation et à la crise financière, alors que les pays du Sud, bien dans leurs pantoufles, n’auraient rien fait ? Ce n’est pas si simple que ça, les cultures sont différentes, et en regardant l’émission j’ai souvent eu le désir d’intervenir. Il est vrai que les Français ont toujours eu, indépendamment des guerres entre nos deux pays, un complexe d’infériorité par ce que l’Allemagne, réussit mieux que nous dans ce qu’elle entreprend.

C’est simple à reconnaître, si l’on veut acheter un appareil électro-ménager, on achète allemand par ce que c’est fiable, bien que ce soit plus cher que les appareils français. De même, dans le domaine de la mécanique si l’on veut un produit, engrenages spéciaux, ils n’y a qu’eux qui en fabriquent, leurs machines outils se vendent dans le monde entier, outillages, optiques domestiques et autres, quand on veut de la fiabilité on achète allemand. Dans le bâtiment c’est la même chose, les meilleurs produits sont allemands. C’est également vrai pour l’automobile, la moto, qui sont chers mais, mais qui tiennent la route.

Les Allemands ont su montrer au monde la qualité et la fiabilité de leurs production, le sérieux, alors que nous, qui fabriquons des voitures de qualité que d’aucuns vont même jusqu’à prétendre qu’elles sont plus fiables que les allemandes, nous n’en vendons que peu ! Notre point faible est aussi notre dynamisme commercial à l’exportation. Dépassés sur le domestique et l’industriel, nous nous sommes attachés aux grandes productions techniques, centrales nucléaires, aviation, transports, spatial, armement, le luxe, nos vins, qui ne font vivre qu’une faible partie de notre population.

On ne peut quand même pas reprocher aux Allemands de mieux vendre que nous !

Notre faiblesse réside aussi dans notre prétention à nous considérer les meilleurs, c’est nous qui avons la plus belle avenue du monde, la plus belle capitale du monde, le plus beau pays, et j’en passe, cela nous fit perdre de nombreux marchés, puisque nous sommes les meilleurs. Mais nous n’avons pas la plus forte industrie d’Europe notre Franc a toujours été inférieur au Mark.

Notre faiblesse réside également dans nos relations patronat syndicats qui se neutralisent, alors que les Allemands coopèrent en faisant chacun un pas vers l’autre.. Les Allemands ont plus de 8 millions de syndiqués, soit 26 % de salariés qui adhèrent à un syndicat. Trois confédérations syndicales regroupent divers syndicats. La confédération comptant le plus grand nombre d’adhérents est le Deutsche Gewerkschaftsbund, DGB, confédération allemande des syndicats, plus de 6 millions d’adhérents, qui comprend les deux syndicats allemands ayant le plus grand nombre d’adhérents, IG Metall et le Dienstleistungsgewerkschaft Ver.di. IG Metall, est le syndicat de la métallurgie, du bois, du textile du plastique 2,4 millions d’adhérents et Ver.di le syndicat des services, 2,3 millions d’adhérents. On mesure la puissance de ces syndicats, d’autant que les Allemands sont disciplinés, et quand ils parlent au patronat, ils sont écoutés. Le rapport de force syndicat patronat est souvent en leur faveur.

Avec un dynamisme patronal à l’exportation qui est un exemple, les Allemands font du forcing, et les 35 heures introduites en Allemagne dès 1995 dans le secteur de la métallurgie, l’automobile, l’électromécanique contraignirent à l’Allemagne de rentabiliser sa production, d’où le succès de son industrie. Nous, nous, avons tout rejeté alors que les 35 heures imposaient l’amélioration de la rentabilité des entreprises !

Ce fut par un combat permanent du syndicat IG Metall qui s’y repris trois fois depuis 1978. Le chancelier Kohl estima que c’était une sottise, mais ces 35 heures constituèrent le pivot autour duquel s’effectua la flexibilité du travail qui fut à la base de la création d’emplois.

IG Metall, avec la crise, admit cette flexibilité puisque qu’en moyenne les durées de travail négociées entre les différents Länder font que globalement dans tous les secteurs la durée moyenne est de 37, 7 heures/semaine. La grande différence avec nous, c’est la souplesse, chaque secteur adapte sa durée de travail en fonction de ses possibilités.

Si l’on compare ce syndicat avec les nôtres, il n’y a pas photo quand on pense que la loi sur la flexibilité et la sécurisation de l’emploi adaptée le 9 avril dernier fut rejetée par la CGT et F.O. La politique patronale allemande privilégie le maintien d’une compétence salariale à celui des heures, qui peuvent être récupérées quand les commandes le permettent, alors que les salariés licenciés sont perdus. De ces deux approchent, syndicat-patronat, celle de l’Allemagne montre sa pertinence.

Ce n’est donc pas une domination voulue de l’Allemagne sur l’Europe, mais seulement une volonté de s’adapter au commerce international par un markéting offensif et par des produits de qualité et fiables.

A cela, si vous ajoutez les réformes Hartz de Gerhard Schröder, socialiste, qui sont une catastrophe sociale dans les services on comprend, que l’Allemagne s’en sorte, actuellement, mieux que nous, mais avec une misère plus grande. En fait, l’Allemagne qui ne fonctionne pas comme nous, ne reconnait pas le salaire minimal, le SMIG, c’est économiquement un avantage, mais un handicap quand elle sera contrainte de lâcher du social.

Globalement nous sommes mieux armés sur l’avenir que les Allemands !

Dans une Europe qui se veut être unie, il faut un minimum de règles pas seulement ne voir que le facteur financier.

A ce débat étaient présents,

  • Jean Quatremer journaliste correspondant à Bruxelles pour le quotidien «Libération». Il est spécialiste des questions européennes et est, depuis 2008, président de la section française de l’Association des journalistes européens.
  • Benoît Duteurtre écrivain, critique musicale, essayiste, animateur et producteur de l’émission «Etonnez-moi Benoît», le samedi de 11h à 12h30 sur France Musique.
  • André Wilms est comédien et metteur en scène.
  • Marie-France Garaud Présidente de l’Institut International de Géopolitique, elle fonda et dirige l’Institut International de Géopolitique, qui publie la revue trimestrielle «Géopolitique». Elle fut conseillère de Georges Pompidou lorsqu’il était Premier ministre puis Président de la République.
  • Guillaume Klossa Président d’EuropaNova est le président de l’ONG «EuropaNova», un think tank qui défend une Europe plus intégrée et démocratique. Il a été le conseiller spécial du secrétaire d’état aux affaires européennes.
  • Emmanuel Todd Anthropologue, démographe et historien et politologue, et chercheur à l’INED, l’Institut National d’Études Démographiques.
  • Hélène Miard-Delacroix est historienne, professeur d’histoire et civilisation de l’Allemagne contemporaine à l’université Paris-Sorbonne.
  • Joachim Bitterlich Diplomate fut conseillé de l’ancien chancelier allemand Helmut Kohl pour la politique européenne de 1987 à 1993 puis pour la politique étrangère, de sécurité extérieure et de développement de 1993 à 1998.
  • Ulrike Guérot Politologue elle dirige le bureau de Berlin du laboratoire d’idées European Council on Foreign Relations où elle travaille sur l’intégration européenne, les institutions européennes et les relations franco-allemandes.
  • Guillaume Duval est journaliste, ingénieur de formation, il travailla de nombreuses années dans l’industrie allemande. Il est aujourd’hui rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques et est l’auteur de «sommes-nous des paresseux ?».

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