Transamerica (ou quand Lynette Scavo devient une femme!)

Stanley est sur le point de subir une opération qui le transformera en Bree (non, Bree Van De Kamp n’est pas un travesti !), la femme qu’il a toujours su qu’il était, quand un coup de fil inopiné lui cause le choc de sa vie : il apprend ainsi non seulement qu’il a un fils déjà grand, mais en plus que celui-ci est en prison à New-York et va avoir besoin de soutien financier lors de sa sortie imminente. Bree part donc pour la Grande Pomme, recueille le post-adolescent et taille la route vers Los Angeles. Mais Bree ne trouve pas la force d’avouer à son fils tout neuf qui il/elle est vraiment, et se fait passer auprès de lui pour une missionnaire catholique. Mais chacun sait que les secrets vous reviennent en pleine figure quand on s’y attend le moins…

L’auteur et réalisateur Duncan Tucker nous offre avec Transamerica un film subtil, remuant et magnifiquement interprété. On sent qu’il s’implique non seulement auprès de Bree mais aussi de Toby, son fils délaissé. Son traitement des aventures de ces deux personnages principaux penche vers le sentimental et suggère souvent qu’il y a une forte relation entre qui ils sont et là d’où ils viennent. Mais tout ceci est tempéré par leur malaise mutuel qui semble toujours prendre le dessus au moment où ils font des progrès l’un vers l’autre. Notons également que des contraintes budgétaires semblent avoir fortement influencé sa façon de tourner… le nombre impressionnant de scènes extérieures et de plans longs sur la voiture de Bree, sûrement destinés à nous montrer la longueur excessive du trajet, sentent tout de même un peu le désir de réduire les coûts. Après tout, pourquoi dépenser des millions pour des éclairages artificiels et des journées de studio quand vous pouvez tourner de supers scènes dehors, au soleil ? Cependant, ce film est tellement centré sur l’étude d’un ou deux uniques personnages et de leur psychologie que cette impression ne nuit pas trop à l’ensemble, même siça le fait ressembler de temps à autre à un téléfilm, avec des incidents tout à fait inattendus perturbant ce road-movie un peu cheap…

Autre point, le casting : Tucker est vraiment très très chanceux de disposer d’acteurs aussi impliqués, aussi talentueux, pour conduire son histoire à bon terme (tout en conduisant la voiture !). Il leur laisse énormément de liberté dans les limites du scénario, et même quand le scénario semble incapable de promouvoir une scène, de grands moments de réflexion et d’introspection. Il n’y a pas de grande action à proprement parler dans ce film, mais l’intensité émotionnelle rend les réactions et les actions des personnages tout à fait plausibles.
Il fait ici de Felicity Huffman, à mille lieues de Lynette Scavo, la mère dépassée de Desperate Housewives, une transexuelle tout à fait convaincante, maquillée à outrance, affublée de boucles d’oreilles et d’une prothèse ‘intime’ aussi réaliste que possible…Le résultat est un film d’1h45 tout à fait captivant, émouvant, drôle souvent, avec des personnages qui échappent à une caricature pas si facile à éviter.

Le scénario de Tucker est fortement centré sur Bree, et sa lutte intime pour se réconcilier avec qui elle fut, afin de parcourir le chemin restant vers qui elle veut être. Comme on peut s’y attendre, le film traite de thèmes tels l’identité et l’appartenance ; avec parfois des scènes légèrement cucul la praline quand Bree se réconcilie avec la personne qu’elle est, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Le film aborde également des thèmes subalternes, tels les mauvais traitements subis par les enfants ou la difficultés d’entretenir des relations familiales sereines : comme si l’auteur s’était dit : pourquoi se contenter d’une seule personne subissant un traumatisme personnel quand on peut en avoir plusieurs pour le même prix ? Les attitudes des autres personnages devant la situation de Bree sont même extrêmement didactiques, présentant une palette très large de toutes les réactions possibles : on assiste ainsi à la réaction initiale de dégoût de Toby quand il apprend la vérité, son apparente acceptation quand il perçoit que tout cela peut améliorer sa situation personnelle, et finalement sa dérision hostile qui démontre que la transexualité de sa mère (et père) est un concept qu’il a énormément de mal à cerner ; tout cela mis en juxtaposition avec l’incompréhension totale de la mère de Bree et au contraire, la validation inconditionnelle de Calvin qui voit Bree comme la femme idéale. Finalement, si tous les personnages sont présentés comme des individualités, ils sont tous des outils qui mettent en exergue la situation particulière de Bree, à l’exception de Toby qui, quelque part, est lui aussi à la recherche de sa véritable identité. Les dialogues sont bien étudiés et juxtaposent de manière frappante et amusante l’érudition de Bree, avec le langage de la rue et le côté totalement inculte de Toby. Cela aboutit à une comédie douce-amère basée sur le choc de leurs personnalités. Leur relation est principalement définie par les non-dits, ceci permettant aux acteurs de pousser leur performance au-delà du simple script.

 

 

Felicity Huffman accomplit ici une performance incroyable, incarnant véritablement les sentiments et les doutes d’un transexuel, son aliénation et son désir de s’assumer avec aplomb. Elle incarne un certain malaise social et aussi une froideur destinée à se protéger. Elle est drôle et sèche, mais au fil du film elle se « dégèle » un peu pour nous montrer un intérieur émotionnel très fort qui contraste avec son personnage extérieurement super-contrôlé. Felicity Huffman a ainsi fait quelques choix forts et courageux, donnant à Bree un aspect rigide qui nous permet d’approcher son malaise tant émotionnel que physique, malaise somme toute naturel pour une personne dont le statut sexuel reste pour l’heure double ou indéterminé. J’ai vu le film en VO et je peux donc dire que la voix enrouée qu’elle utilise nuit un peu à la gamme émotionnelle et devient à la longue un peu monotone ; je ne sais pas ce que donne la version française.

Kevin Zegers se maintient au niveau d’Huffman dans le rôle du débrouillard Toby. Il incarne bien la contradiction d’une maturité physique forte couplée avec une insécurité émotionnelle et un désir constant d’approbation. Il est souvent maussade, parfois hypocrite, souvent préoccupé, et cherche à tirer parti de toutes les situations. Une performance de très bon augure pour ce jeune acteur.

Un casting de second rôles efficaces soutient les deux acteurs principaux : Elizabeth Pena, psychanalyste de confiance de Bree, Graham Greene dans le rôle du chaleureux prétendant potentiel de Bree, et Fionnula Flanagan est épatante dans le rôle de sa mère, maniaque, ultra-bronzée-permanentée.

La musique originale de David Mansfield, à base de country et de musique de western, est parfois un peu difficile à relier à l’action et aux personnages. A l’exception du personnage de Calvin, je ne vois pas de raison valable pour cette prépondérance de guitares espagnoles ou de folk. Bien que l’ensemble soit cohérent intrinsèquement, il ne partage pas de lien thématique fort avec le film.

« Transamerica » est une étude de personnages et de personnalités très étudiée, même si occasionnellement un tout petit peu lourde, qui permet d’excellentes performances d’acteurs de la part de Kevin Zegers et surtout de Felicity « Lynette » Huffman, nominée aux Oscars pour l’occasion, et lauréate d’un Golden Globe. C’est souvent amusant, parfois émouvant, et je souhaite qu’il trouve son public grâce au support DVD.