Après Charlie, Edwy tiendra bon sans faire son Ramadan

Edwy, Edwy, tiens bon, même lapidé tel le protomartyr Étienne. Exhortation inutile : Edwy Plenel en a vu d’autres que la dernière couverture de Charlie Hebdo, exploitée par la fachosphère pour dénoncer les réelles accointances et la présumée connivence de Mediapart avec Tariq Ramadan et l’islamisme. 

Accointance (acquaintance) n’est pas connivence. Oui, Edwy Plenel, de Mediapart, a eu à connaître de l’islamisme et de Tariq Ramadan, son chantre. Il ne s’en est jamais fait le diacre. Que lui reproche-t-on ? D’avoir participé à deux débats publics avec Tariq Ramadan et certes pas d’avoir publié dans Mediapart, en 2016, une enquête – en cinq volets – peu amène sur ce personnage. Absolument pas d’avoir laissé Mediapart titrer « Deux plaintes pour viol visent Tariq Ramadan » le 28 octobre dernier. Or voici le caricaturiste Coco signant la couverture du Charlie Hebdo daté du 8 novembre campant trois Plenel en singes de la sagesse ne voyant, entendant ou disant le « Mal ». Paradoxe puisqu’il lui est reproché d’avoir vu, entendu et dit l’islamisme. Mais pas tout à fait comme je le conçois et dénonce. La conception (plus sans doute l’expression) du vivre ensemble de Plenel avec les musulmans de France est une option soutenable mais à mon sens intenable. Enfin, crois-je, car l’actuelle position de Plenel sur la question s’est peut-être infléchie et j’en ignore tout, donc la tait faute de vision et d’accointance. Tout n’est pas non plus à jeter dans l’approche de Plenel au sujet des musulmans.

Fausses connivences

N’appelons pas confraternité ce furtif instinct grégaire des journalistes à faire bloc avec l’une ou l’un des leurs. Par « journaliste », je n’entends pas la Caroline Fourest éditorialiste, et plus un Zemmour, même si ce dernier, peut-être comme Coco, dessinateur de presse, reste titulaire d’une carte professionnelle. Mais Edwy Plenel reste un journaliste, tout comme tant d’autres aux analyses fortement opposées. Les caricaturistes, tout comme les éditorialistes, portent une double casquette. J’ai entretenu de rares rapports « amicaux » (donc, ici, aimables et de copinage occasionnel) avec Cabu et Siné, caricaturistes et parfois journalistes. Depuis son éviction de Charlie, Siné n’avait plus d’amitié pour Cabu, mais ne lui déniait pas la dénomination de confrère. Depuis que Plenel s’est fourvoyé dans le traitement de l’enquête de Denis Robert (affaire Clearstream), je ne lui porte plus tout à fait la même estime. Il n’en demeure pas moins un remarquable professionnel. Mais je ne vais pas non plus lapider Coco comme Plenel peut l’être par la fachosphère, jubilant de voir cette « révélatrice » (d’autres diraient « délatrice ») couverture de Charlie. Révélatrice, mais de quoi ? Nulle nouveauté : Plenel est vilipendé d’aussi longue date qu’un de Villepin depuis l’affaire Clearstream bis. De quelles intentions ? Allez deviner…

Un furtif instinct grégaire me porte à la conciliation. La gent journalistique est dite grégaire. Mais si, durablement, l’un ou l’autre sombraient dans l’indéfendable, je serai disposé à leur jeter la première pierre. Je « suis » à la fois Charlie Hebdo et (surtout) Siné Mensuel.  Avec les fessiers entre trois tabourets, dont l’un, le plus stable, est la défense et illustration de la liberté de la presse, satirique incluse. Sauf si la presse se fourvoie, par exemple, dans le racisme ou l’antisémitisme qui peut viser, entre autres, un Tariq Ramadan. Lequel est un sémite ayant peut-être des ascendances ethniques juives, berbères, phéniciennes, hellènes, méditerranéennes, gauloises même, &c. J’exècre Tariq Ramadan pour ses dires, principalement (quant à ses faits et gestes, ce n’est pas « secondaire », mais non – ici – le propos). Non pour ses origines, familiales ou autres. Edwy Plenel considère qu’il faut porter attention aux islamistes mais il est faux, abusif, de soutenir que Mediapart s’en fait la caisse de résonance complaisante. Tout comme il est absolument erroné, dès lors, d’affirmer qu’Edwy Plenel n’a rien voulu dire, entendre ou voir de « l’affaire Ramadan », soit des accusations de viol le visant. D’ailleurs, savoir, en presse généraliste, ne s’entend pas tel que communément ; on ne « sait » que lorsque l’on peut fermement établir.

bonne mesure

En matière de presse d’informations dites générales, le dosage de la bonne mesure est diablement délicat. En presse satirique, des débordements sont inévitables. Une caricature est très fréquemment outrancière. Tout comme Didier Hanne, pour Slate, je déplore cette couverture de Charlie.  De là à estimer que Coco, donc Charlie, ait sciemment cherché à consolider le pilori que la fachosphère réserve à Plenel, il y a un pas (que Didier Hanne peut sembler esquisser sans reposer le pied). Il y a pourtant erreur, et même faute : la légende. Se contenter d’un on ne savait pas ? (sans guillemets, sans « Mediapart révèle »), pouvait « passer encore », avec guilles de distanciation, même si le résultat (la réception et l’exploitation par la fachosphère) aurait sans doute été identique. Titrer « Affaire Ramadan : ce qui attend Plenel », même si l’attente n’était plus d’actualité, suffisait. Mais cette faute, cette infraction est-elle délictuelle, voire criminogène ? Je présume que la rédaction de Charlie a estimé qu’un Plenel avait le râble plus cornu qu’un Salengro (Roger, suicidé car diffamé). Ce qui est sûr, c’est qu’Edwy Plenel ne va pas aller brandir un cimeterre dans les locaux de Charlie et faire tomber des têtes.  Alors même que cette couverture est encore plus « bête et méchante » que celles campant Mahomet. Ben, voui, l’héritier d’Hara Kiri reste bête et méchant. On peut l’être, tout comme on peut rire de tout, mais hélas pas avec tout le monde. Condamnons certes, voire infligeons avec un peu plus de sévérité que Le Canard enchaîné quand l’un des siens se plante (Eh, Coco, c’est ta tournée), mais restons Charlie (et par là-même, aussi Siné – mensuel).

et mauvaise démesure

Il y avait, naguère, un titre récurrent jusqu’à l’insupportable, décliné à l’envie, surtout en presse régionale : on a même rencontré des … heureux (calque du titre de la vf du film Skupplajaci perja dont les acteurs étaient des Tziganes). Même Siné a dû rencontrer un CRS ni hideux, ni hargneux ou cruel, sans pour autant jamais atténuer le trait de ses divers policiers. Blâmons Coco, « ce petit », en lui souhaitant d’aller loin, mais surtout pas trop de nouveau (« comprend qui veut, ou qui peut », chantait Lapointe, Boby). Avec Coco, factuellement, Charlie est allé trop loin. Contrairement à un billet livré à la limite du tombage de copie, survolé par un sec’ de rédac’, une couv’ est en quelque sorte, pré (et post) méditée Mais une caricature se doit-elle de rester factuelle ? Lors du délibéré, en conscience, interrogeons-nous : ne serait-il pas abusif de faire de Coco le Siné de sa chronique sur Jean Sarkozy (2 juillet 2008) ? Mauvais procès d’antiplenelisme ? Les avis seront partagés, et en sus d’avoir les fessiers entre trois tabourets, ma raison balance. Allez, je m’en lave les mains : non-lieu et simple rappel à l’ordre. Mais en récidive : no pasara !  À moins que Plenel ne s’enferre en Ramadan, Tariq (cela ne risque guère), gageons qu’on n’y reprendra plus Coco ou Charlie. Tenez bon, tous deux, Coco et Edwy.

Utile contre-feu ?

En sus, même s’il est opportun de relever cet impair de Charlie, on ne va pas, j’espère, s’enfumer les unes et les autres en pétitions et tribunes pour l’un et contre l’autre (et vice versa). La planète a d’autres problèmes, les tribunaux croulent sous les dossiers, et même si le débat sur la licence caricaturale vaut d’être poursuivi, ne rabâchons pas. Pisser (de la copie) dans des violons (la majorité des destinataires s’en contrefichent) bouffe de l’électricité ou du papier, des encres pas autant recyclables qu’affirmé, &c. La bonne mesure est parfois de tout voir, tout entendre, mais point trop n’en faut dire. Et pourtant : de Nadia Aissaoui à Michelle Zancarini-Fournel, ils et elles se sont retrouvés plus de cent au port de Mediapart. Qui serait victime d’une attaque « diffamatoire », « haineuse », « inique ». C’est tout ? Pas odieuse, abjecte, exécrable, &c. ? Pas de complicité objective de Charlie avec la fachosphère ? Nombre des mêmes « furent », sinon restent, Charlie.  Parmi les signataires, je rencontre même des Tziganes – les Romanes– offusqués (voir supra, simple coïncidence). Que Charlie ait servi de relance à cette fachosphère dans son entreprise de délation d’Edwy Plenel se constate. Mediapart est de longue date le « chiffon vert » d’un large éventail droitier. Non sans raison parfois. Car par exemple, Jade Lindgaard, de Mediapart, peut tenir des propos sur l’islamisme confinant à la connivence sous couvert d’accointance. Ou, du moins, pouvant être perçus pour tels. Marianne, autant que Charlie, relayerait une campagne diffamatoire, inique, voire antimusulmane ? Tous compagnons de route de l’islamophobie ? Laquelle équivaudrait absolument au racisme antisémitique (amalgamant Levantins, Kurdes, Juifs, Gnaouas, &c.) ? N’imputons absolument pas aux signataires, surtout si nous les connaissons fort peu ou pas du tout, de telles intentions. Cette couverture est détestable, oui, mais « haineuse » ? Émanant d’individus haineux ? Le choix d’un tel mot, ou son acceptation, notamment de la part d’universitaires capables de peser le poids d’un vocable, peut sembler déplorable. Espérons que nous n’aurons pas à déplorer de contre-pétition suscitant des répliques, voire des saisies de tribunaux…