Retour à Ithaque, le film de Laurent Cantet

Après un long exil en Espagne, "Ulysse" est de retour à son Ithaque où "Pénélope" n’est plus, où rien n’est plus comme avant. Avec une bande d’amis, ils vont tenter sur une terrasse de la Havane, le temps d’une soirée, d’exhumer un passé qui ne passe pas. Il y a Tania, Rafa, Eddy,Aldo, face à Amadeo de retour d’exil. Après leur âge d’or coïncidant avec le temps des idéaux révolutionnaires, le " temps des fleurs,  quand ils ignoraient la peur et que leurs lendemains avaient un gôut de miel", a déboulé l’heure des désillusions : c’est l’époque charnière dite  période spéciale avec tout son remue-ménage, laquelle d’un coup a tout démantelé. Entre la fin des subventions soviétiques consécutive à la mort de l’URSS, le blocus américain, les Cubains se sont retrouvés au bord du gouffre. Qui de se rabattre sur des radeaux de fortune pour rejoindre les côtes les plus proches, qui de rester, faisant contre mauvaise fortune bon coeur. 

Si les réflexes de survie empruntés par les protagonistes présentent des divergences dans la forme, il en est tout autrement dans le fond. Il leur a fallu tous composer avec le traumatisme et son corollaire la dépression comme en témoignent ces dialogues. Amadeo l’écrivain n’a jamais pu reprendre sa plume  tant son âme et son esprit spoliés par Cuba, l’empêchait de vivre pleinement à Madrid. Mais se défaire de ce fardeau n’est que synonyme d’annihilation de la mémoire sans laquelle écrire devient mission impossible. Un dilemme insoluble loin de Cuba. 

Rafa le peintre, Tania l’ophtalmologue, Aldo le cadre corrompu, eux aussi n’ont manifestement toujours pas émergé depuis qu’ils se sont vus dépossédés de ce carburant qui autrefois les faisait allègrement courir. Une génération perdue qui s’est fourvoyée par crédulité sous le matraquage forcené d’un régime totalitaire, lequel ne lésinait pas sur les méthodes d’endoctrinement. 

Des échanges qui somme toute permettront d’apporter un éclairage sur les raisons des choix de vie des uns et des autres, de crever cet abcès qui mettait à mal une vieille amitié. L’étape ultime pour que chacun tente, après un tel effondrement, de se défaire des mécanismes qui l’ont encrassé psychologiquement afin de se réapproprier son propre Ithaque. 

A part quelques brèves virées laissant voir au loin de la terrasse un cochon que l’on égorge ou encore un couple en dispute, histoire de donner le pouls de Cuba, l’unité de temps et de lieu sera respectée tout au long de ce beau film au scénario captivant porté par de bons comédiens. 

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