Le mépris,

entre les classes.

 

 

Je reprendrais une expression de Jean-Pierre Lalloz professeur agrégé de philosophie et docteur qui développe le terme dans un exposé philosophique, «loin d’être une simple attitude, habituellement adoptée par certaines personnes imbues d’elles-mêmes ou nécessairement suscitée par des actes que nous aurions honte d’avoir commis, le mépris est une décision quant à l’être même de ce qu’il concerne : mépriser, c’est «tenir pour rien»». Tenir pour rien, tout et dit. C’est souvent l’expression de ce qui est considéré comme inférieur à soi, et dont la culture, voire la morale, seraient interprétées pauvres par le méprisant. René Descartes écrit dans les passions particulières troisième partie article 149, «la passion du mépris est une inclination qu’a l’âme à considérer la bassesse ou petitesse de ce qu’elle méprise causée par le mouvement des esprits qui fortifient l’idée de cette petitesse». L’honorabilité s’oppose donc au méprisable, ces deux attitudes ne sont bien souvent que de façade, car rien ne prouve que le méprisable serait moins moral que l’honorable.

 

C’est dans mes recherches sur la condition ouvrière que j’ai été amené à considérer le mépris mais aussi par ce que je l’ai ressenti. Ces recherches sur internet complètent ainsi mon expérience et mes documents personnels, ne faisant le siège d’aucune bibliothèque nationale. Je ne suis pas écrivain, ni historien, et je n’ai pas de possibilités autre que mon travail d’écriture pour présenter mes passions et mes opinions. C’est un passe-temps de vieux, enrichissant. L’histoire me passionne, elle nous fait découvrir le monde qui nous a précédé quoi de plus excellent, c’est la base de notre culture, et pour certaines personnes qui se destinent à la politique, elle est un savoir indispensable, comme le disait Guy Mollet.

 

L’espace médiatique que je côtoie avec ce blog montre le mépris quand on n’est rien. L’intérêt que l’on porte à ce que j’écris qui est publié sur les réseaux sociaux n’attire qu’une misère de commentaires, voire pas du tout. J’écris donc dans le vide, bien que je suis lu, mais qu’en déduire d’autre que du mépris ?

 

Le livre n’aurait plu, complétant ce blog, mais mon expérience n’a montré que ce n’était pas pour moi. J’ai essayé, sans succès, d’être publié à compte d’éditeur pour ma fresque sur le Maréchal Pétain qui retrace sa vie de la guerre de 14-18 jusqu’à sa condamnation en 1944 en consultant nombre de grandes sociétés d’édition, ce fut une déception.

 

Il m’est donc apparu inutile de faire un travail de recherches plus approfondit et de rédaction pour faire un livre sur la condition ouvrière qui serait accessible à tous, et qui résulterait d’articles de cette catégorie dans ce blog, n’étant qu’ UN sur la toile à écrire espérant être reconnu. Mais le monde de l’édition qui cherche le profit en à jugé autrement. On ne m’a dit que j’écrivais mal, on m’a ignoré tout simplement, du mépris ?

 

Le sujet, le mépris, est passionnant, à plus d’un titre, pour beaucoup d’entre nous qui n’ont pas connu cette difficile période ouvrière de notre histoire commune. J’ai eu la chance, si l’on peut dire, ayant commencé à travailler en 1945, après l’occupation Allemande, d’avoir connu un peu de cette vie de l’après guerre. Maintenant, les ouvriers ont presque disparus comme les usines délocalisées à l’étranger. Les publications accessibles sur les moteurs de recherches sont rares. Quant à courir les bibliothèques pour faire des recherches, les syndicats ouvriers, à fouiller leur documentation pour une étude aussi exhaustive que possible, je n’ai pas jugé utile de le faire n’étant pas historien, et n’ayant pas de réponse à ce que j’écris, je n’en tirerais pas le fruit de mes efforts.

 

Cette fresque sur Pétain, non écrite comme celle des historiens sur sa vie, puisque tirée de mes recherches sur internet, fait plus de 350 pages «word» en 73 chapitres. Elle est un dossier de l’histoire de France que vous ne trouverez nulle part.

 

J’ai suffisamment écrit et je n’ai plus l’âge d’être à la merci de la pensée conservatrice des sociétés d’édition qui vous demandent un manuscrit relié, presque sur papier glacé, pour qu’ensuite son comité de lecture le jette au panier sans même vous en informer, s’il n’est pas à leur hauteur, ce que je trouve méprisant, «mais vous êtes prévenus à l’avance». Je comprends qu’elles ne peuvent engager des dépenses si elles n’ont pas en retour, par la vente du livre, le bénéfice qu’elles sont en droit d’attendre. En outre, ce n’est pas par ce qu’une personne écrit qu’elle mérite une publication livresque. Publié sur mon blog, ce travail de plusieurs mois sur Pétain est consultable gratuitement à qui veut le lire. Il me montre que les lecteurs sont quelques uns, pour ce qui m’est possible de connaître.

 

Les sociétés consultées pouvaient prendre connaissance de sa valeur marchande, l’ont-elles fait je ne sais pas. Seul le manuscrit est exigé. En faire un de plus de 350 pages pour qu’il soit jeté, je n’ai pas voulu. J’ai donc été refusé sans explication. Par contre à compte d’auteur, je pouvais avoir un livre de mon travail !

 

Alors l’idée ne vint de parler du mépris que j’ai connu aussi après la guerre par rapprochement à celui du patron envers ses ouvriers, mais pas que ça. Les exemples ne manquent pas, dans ce milieu. Les ouvrières et ouvriers sont dépendants du patron qui les paye mais bien souvent les méprisent, la grande distribution en est un exemple. Dans l’édition les auteurs inconnus d’œuvres de l’esprit doivent payer les sociétés pour être mis en livre !

 

Si l’on regarde comment le monde s’est construit, on voit que l’origine de l’écriture n’est venue qu’après le travail des mains. L’ouvrier fut donc la base même de notre édifice commun. Les gens d’écriture, les intellectuels comme on dit, ne sont donc que les transcripteurs de ce que les premiers ouvriers ont fait. Dans le monde des siècles précédents, il y eu une séparation nette entre celui qui travaillait de ses mains et celui dit des improductifs (intellectuels) par opposition au travail directement produit. Je ne porte aucune discrimination sur les seconds, ils sont utiles autant que les premiers. Seulement les ouvriers ne furent considérés que comme des exécutants dénués d’intelligence, ce qui fut le cas il y a très longtemps, voir L’ouvrier bâtisseur du monde.

 

 

Cette séparation de classe, je l’ai connue, après la guerre, entre le comptable proche du patron et nous. Ils ont représentés la bourgeoisie patronale pendant de nombreuses années. Maintenant, ils sont soumis à ce qu’étaient les ouvriers d’antan puisque ceux-ci ont presque disparus. Le niveau social est monté d’un cran mais le mépris reste le même. Si l’on se rapporte aux comités de lecture, ils ne vous retournent pas le manuscrit, et vous informent qu’ils ne vous répondront pas. Vous ne pouvez l’envoyer, par cette attitude, ils expriment un mépris, dès l’origine, que si vous n’êtes vendable vous n’avez rien a espérer.

 

 

Quant on voit que l’on licencie pour faute grave une caissière de grande surface par ce qu’elle prend de la nourriture jetée dans des poubelles, on se dit quel mépris a le chef pour ces femmes payées au SMIC ou en dessous, que l’on traite pire que tout. Le chef qui, sans humanité, représente l’autorité du patron a montré qu’il n’avait rien dans le crâne.

 

A Nancy, une ancienne ministre de la république, bien connue, et qui n’a pas été réélue, accompagnée de sa fille et de son garde du corps fit licencier une vendeuse à un stand Kookai, au magasin «Le Printemps», à la suite de plaisanteries humoristiques avec certaines des employées, et qui ne lui étaient pas adressées, mais interprétées comme une attaque à son encontre. Elle demanda qu’il y ait des suites. Fondue en excuses la vendeuse fut priée de quitter le magasin pour que la ministre termine ses achats. La vendeuse fut mise à pieds pendant deux jours et fut convoquée au siège à Paris ou elle ne put s’expliquer. On lui signifia qu’elle avait jeté l’opprobre sur Le Printemps et la société Kookai et que cela n’avait rien à voir avec l’importance de la clientèle. La jeune femme fut donc licenciée pour faute grave. Le courrier mentionnait des «insultes et des injures» envers la ministre et stipulait que l’employée avait invectivé personnellement la ministre depuis son stand. Des témoins présents, l’un d’eux déclara «la version rapportée dans la lettre de licenciement est complètement erronée». «En aucun cas, il n’y a eu attaque personnelle envers la ministre». Au mépris s’ajouta le mensonge. Quand à l’ancienne ministre, vous en pensez ce que vous voulez, mais elle n’est que méprisante, et le fait qu’elle n’a pas été réélue traduit cette pensée. Cette femme avec sa petite fille est maintenant au chômage. Le mépris des gens puissants.

 

2Le Creusot, atelier d’ajustage en 1881, document Histoire géographie sur le Web.

Au XIXème siècle, la classe ouvrière vue par Emile Zola nous montre que les ouvriers étaient mal payés, que les conditions de travail étaient très dures, que certains gémissaient sous la charge sans cesse accrue. Privés d’argent, précaires, ils manquaient de logements, et vivaient dans une grande promiscuité. Corruption et vices régnaient, et l’existence de ces malheureux, auxquels une étincelle aurait pu rendre leur dignité d’hommes, se passait entre l’alcool et les femmes. Telle est la vision qu’en donnait Émile Zola autour de Germinal. Des journées de 12 à 14 heures renforcèrent la précarité de leur situation. La misère ne put que cultiver la misère ce qui permit à la bourgeoisie de régner sans partage.

 

Chez Tavaro le fabricant de machines à coudre fondée en 1934 à Genève en Suisse, qui sortit sa première machine l’Elna 1 à bras-libre en 1934, les ouvrières travaillaient de sept heures à midi et n’avaient pas de pose. Quand elles voulaient aller manger un morceau de pain, par ce que c’était long, elles allaient aux toilettes. Elles devaient prendre un jeton, et la petite secrétaire se devait de marquer l’heure. A l’entrée des toilettes, il y avait un «sécuritas» et au dessus des toilettes un espace de cinquante centimètres. Si elles faisaient un peu long, ils guignaient par le haut, et elles avaient une punition, on leur déduisait un quart d’heure.

 

Chez Parker Lucifer SA à Genève fabricant de systèmes d’éclairage pour vélos, dynamos, vers 1950, les ouvrières qui essuyaient les pièces trempées dans un bain de chrome n’avaient pas droit à la bouteille de lait, mais le chef d’atelier et son aide oui. Et pourtant, elles respiraient les mêmes odeurs. Râler à vingt ans c’était la porte.

 

Ouvrière chez Lucifer dynamos pour vélos, vers 1950, Musée du vieux Genève. Tiré de «C’était pas tous les jours dimanche». Édité par le Musée d’ethnographie et de la fondation du Collège du Travail, Genève 14 octobre 1992 – 4 avril 1993. Itinéraires Amoudruz IX.

 

Sommes-nous revenus à ces temps ou l’ouvrier n’était qu’une marchandise ? La fascisation politique qui se développe actuellement en est telle le reflet ? Les grands discours que j’entends sur la haine de l’autre me font peur, car je sais qu’ils sont porteurs de conflits, voire de guerre. Nous y allons ? Écouter notre président candidat à son discours de Toulon fut pour moi une douleur. Ceux qui l’applaudirent à tout rompre en agressant même des journalistes ne savent pas le malheur qu’ils font à notre pays. Avec l’élection de François Hollande nous entrons dans plus d’humanité, même si nos problèmes ne seront pas tous résolus, mais de toutes façons, rien n’a été résolu avec Sarkozy, sa ministre en est le reflet.