Vers une Europe totalement anglo-germanique ?

On commence à discerner ce qui se trame… Un Brexit en trompe l’œil, et le couple anglo-allemand modifiant encore plus profondément les mécanismes communautaires pour enrichir toujours davantage les plus riches au détriment de tous les autres…

Sans jouer vraiment les Cassandre, le pire n’étant jamais sûr, les dernières prises de position sur le Brexit des deux côtés de la Manche laissent penser qu’il sera totalement vidé de sa substance, que l’électorat britannique sera berné, et qu’une Union européenne encore plus libérale économiquement, consacrera la primauté du couple germano-anglais.

Plus le Royaume-Uni digère les lendemains de son référendum, plus se clarifient. Ce n’est pas tant, en soi, la sortie de l’Union européenne qui a motivé l’essentiel du résultat. Ce sont les appauvris, les laissés pour compte de la politique européenne dominée par les intérêts anglo-allemands qui ont manifesté un amer mécontentement dont il ne sera nullement tenu compte.

En fait, Merkel, Cameron, Altmaier, Johnson, Osborne, et bien évidemment les blairistes du parti travailliste, sont tous sur la même ligne : tout doit continuer comme avant, et même empirer. En cela, ils sont les meilleurs propagandistes des mouvements populistes qui finiront par l’emporter et dont les chefs de file trahiront sans vergogne les aspirations.

Ce qui se dessine, c’est un remaniement conservateur, avec peut-être une alliance entre Bojo, Gove et Osborne (ce dernier ayant été le plus actif des partisans du maintien dans l’Union). Et avec l’appui de l’Allemagne, un renforcement de l’emprise libérale sur toute l’Europe. Ce avec la complicité explicite des caciques du parti travailliste, tout disposés, comme ceux du parti socialiste en France, à des alternances sauvegardant l’essentiel : leurs intérêts, ceux de la finance, des très grandes entreprises.

Le spectacle politique en Europe est devenu une totale pantomime : depuis Margaret Thatcher, avec l’assentiment d’Helmut Kohl, puis de Gerhard Schröder, en dépit des apparences, la construction européenne a été dévoyée pour favoriser les intérêts des dirigeants anglais et allemands.

Lesquels s’accommodent fort bien de la montée en puissance des mouvements populistes que leurs orientations économiques ont largement favorisée. Qu’importe d’ailleurs qu’ils l’emportent, que l’Union européenne se désagrège, puisque les lois du marché subsisteront, qu’une politique ultra-libérale sera encore approfondie par leurs successeurs populistes d’extrême-droite.

Que viennent de déclarer Merkel par la voix de son porte-parole, Steffen Seibert, et Peter Altmaier, son bras droit à la chancellerie fédérale ? Qu’il est hors de question, jamais, de pousser l’Angleterre, qui tient l’Écosse en otage, hors de l’Union européenne. Les conservateurs britanniques pourront indéfiniment s’abstenir de demander l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne… En revanche, en coulisses, on leur facilitera la tâche…

Les conservateurs partisans de la rupture ont totalement cessé d’intervenir sur les réseaux sociaux et les archives de leur site « Vote Leave – Take Control » sont devenues inaccessibles. La page d’accueil, remerciant les électeurs, ne comporte plus le moindre lien.

En fait, de fortes contradictions apparaissent entre les dirigeants conservateurs prêts à se rabibocher et faire durer l’incertitude en dépit des réactions négatives des marchés, contrairement à ce que vient d’affirmer Boris Johnson, et la base de leur parti. Le comité interne des Tories annonce que les candidatures pour la direction du parti devront être déposées au plus tard jeudi prochain et que l’élection devra intervenir le 2 septembre (et non plus courant octobre). Cela revient à pousser au Brexit, pour ne pas décevoir ce qu’ils supposent être une majorité de leurs électeurs. Pour des raisons différentes, Jeremy Corbin, le chef de file travailliste, très fragilisé, incite à ce que le résultat du vote soit respecté, et que la demande de retrait s’effectue au plus vite.

Mais cela n’obligera pas la ou le futur Premier ministre à présenter devant le parlement la discussion sur le référendum (qui n’a de valeur que consultative selon la constitution britannique) et l’éventualité de mettre en application l’article 50 avant… courant novembre.

Boris Johnson a rompu son silence en déclarant que « l’unique changement (…) est que le Royaume-Uni va s’extirper de l’opaque (…) système législatif européen ». Tout cela pour ça ? Rien sur l’immigration, rien sur le redéploiement de la contribution britannique à l’UE vers des services sociaux ou des investissements infrastructurels ? Certes, l’Allemagne est toute prête à concéder de nouvelles dérogations aux conservateurs britanniques, mais il serait grand temps de lui rappeler, véhémentement s’il le fallait, que le sort de l’Europe ne doit pas se décider entre Londres et Berlin.

Un léger espoir cependant. Le Medef, ainsi que les fédérations allemandes de l’industrie (BDI) et des employeurs (BDA) ont signé un appel commun pour que soit envisagée un « passage à la majorité et non plus à l’unanimité au Conseil européen des chefs d’État ou de gouvernement ». Cela impliquerait que le veto britannique, et les efforts de Berlin pour l’éviter en multipliant les concessions, en quasi-totale connivence depuis l’ère Thatcher, n’auraient plus lieu d’être. Mais est-ce autre chose qu’un vœu pieux ?

Cela a néanmoins incité Angela Merkel à réfuter toute ouverture de négociations officielles (ce qui n’en exclut pas de parallèles, bilatérales) entre les 27 et le Royaume-Uni tant que ce dernier ne se prononcera pas soit pour l’application de l’article 50, soit pour la réfutation, par le parlement, des résultats du référendum sur le Brexit.

C’est donner, formellement au moins, un timide appui à la position française. Ou plutôt l’inciter à s’infléchir ?

Ce que le Brexit a démontré, c’est que les peuples d’Europe ont réalisé que l’UE germano-britannique les a appauvris et entend continuer à les appauvrir encore. Il leur reste à bien prendre la mesure de l’illusionnisme des promesses populistes : Bojo a mené campagne avec des arguments très proches de ceux du Front national, du Parti néerlandais pour la Liberté (PVV), ou celui de l’Autriche (FPÖ), voire des partis au pouvoir en Hongrie et Pologne. Mais à présent, il ne songe plus qu’à ses intérêts personnels. Tout comme… ses modèles de circonstance.