Charly gavé de Hollande, reste sur sa faim…

Dernier en date des essais politiques de Charly (Charles Duchêne), ce Vous reprendrez bien un peu de Hollande ? illustré par le caricaturiste Delambre, est de nouveau savoureux.

Avec un quatorzième tome ou volume (sur 17 de son cru publiés), Charly, alias Charles Duchêne, encore surnommé « L’Homme au chapeau », colle à l’actualité politique dont il est sans doute, dans le secteur de l’édition, le plus prolixe chroniqueur. Cela sous forme plaisante, ironique, qui lui sert de non fallacieux prétexte à nous livrer son autobiographie, ses carnets de voyages gastronomiques abordables, ses tocades d’automobiliste atterré, &c. Joviale faconde, acerbe loquacité, gouaille picarde s’allient pour traiter d’économie et de politique au plus près des préoccupations de tout un chacun. Son ch’tiot dernier, Vous reprendrez bien un peu de Hollande ? (Illustré par Delambre), aux éds JBDdiffusion, manifeste son indigestion d’edam dont l’orange a tant pali que sa teinte d’edam a viré à la blancheur veinée de bleu d’un delft blauw.

Comme ses prédécesseurs, dont le premier, Il présidera, parut en 2006, ce Vous reprendrez bien un peu de Hollande ?  (250 p. ; 13 €), scrute l’actualité politique depuis les prémisses de la première candidature de Sarkozy tant par le petit que le grand bout de la lorgnette. Le grand dCharly_JBD_Diffusionissèque les conséquences pratiques de l’actuelle macro(n)économique, par le petit, on découvre mieux les points saillants du panorama général. Et ce n’est à la fois pas triste (du fait d’un style alerte) ni guère réjouissant (car on constate encore mieux, à l’aune du quotidien de l’auteur, et du nôtre, partant, qu’après nous avoir rogné les dents, on s’attaque à nos gencives).

Le truc de Charly, c’est la pédagogie de comptoir : il se met d’autant mieux à la place du pékin aux revenus très moyens (et c’est un euphémisme) qu’il en est un autre. Et comme au zinc de L’annexe ou d’Au Rendez-vous des aminches, il digresse copieux, souvent grave et sérieux, aussi fréquemment rigolard, couleur petit jaune ou gros rouquin qui tache.

Mais ses à côté, ses indentations de ligne blanche, voire ses franches sorties de route n’en sont pas tout à fait. Qu’il évoque la gastronomie populaire campagnarde ou suburbaine à moins de treize euros tout compris, ses force tours de la planète aux volants de ses tires ou guidons de bécane, sa douce, sa môman, ses potes, ses conversations avec son illustrateur, Delambre (du Canard enchaîné, qui lui a offert pour ce livre 18 inédits, en sus du crobar de Tym en page 224), ce n’est jamais tout à fait gratuit ou à côté de la plaque. Il prêche, il milite par l’exemple bien perso, ou qui pend au nez de son fils (ainsi de la dématérialisation des fiches de paie), celui que la plupart d’entre nous partagent ou qu’éprouvera notre progéniture.

Il rage contre les conséquences palpables, mais dissimulées par l’enrobage médiatique général, que les dirigeants de droite comme de l’actuelle gauche rosâtre affadi nous infligent. N’ayant pas la naïveté d’espérer que le FN ne fera pas de même dès que son unique dessein, s’installer et faire fructifier les biens familiaux des Le Pen, sera concrétisé, il ne voit plus d’espoir (illusoire ?) qu’en un sursaut d’une gauche sincère, non dogmatique, mais, elle, fidèle à ses fondamentaux.

Il conclut donc, quelque peu rêveusement, à l’éventuelle émergence d’une, d’un Left (Liberté-Égalité-Fraternité-Tolérance). Peut-être existe-t-il des maisons pour cela, mais on ne voit pas trop d’où proviendront leur toit ou leur cellier… La cabane mélenchonienne fait déjà figure de pierre en son jardin.

Ces dirigeants « nous affamant et nous infamant », il est en venu presque à les exécrer. Ils verrouillent bien les latrines de l’intérieur pour mieux nous conchier (je résume, en termes voisins de ceux de l’auteur, qui gagnerait parfois à les édulcorer un tantinet).

La jeune génération des Nuits debout pourrait se retrouver dans cet ouvrage, ne partageant sans doute pas le plaisir, mettons, générationnel d’allusions à un copain de l’auteur, le chanteur Capdevielle, qui a dû s’en remettre au crowfunding (via KissKissBankBank) pour sortir son prochain album intitulé Bienvenue au paradis. Au fait, Charly, depuis, l’album est sorti (voir le site du chanteur) et la version vinyle, de 300 exemplaires, dédicacés, est peut-être déjà épuisée. Mais tu as raison, il semble qu’il reste à trouver un distributeur. Tandis que, remarques-tu, Christine Boutin a trouvé un éditeur n’écoulant que 58 exemplaires. C’est ce genre de considération, qu’en flaireur d’air du temps, Charly affectionne… et relit au fonctionnement de la caste et de l’action politiques. Là, même nos plus jeunes contemporains, pour lesquels ce chanteur né en 1945 n’évoque que de vagues souvenirs, saisiront la marche notre monde commun.

Charly écrit parfois presqu’autant foutraque que moi. L’émule est doué. Cela foisonne souvent de néologismes et jeux de mots « à tiroir », et de quelques formules que je lui emprunterai volontiers (en le citant). Le titre original de cet opus truffé de couacs des politiques (aux deux sens du terme) devait être Merci pour ce changement. Marie-Noëlle Lienemann le dégaina plus vite et Charly se le remit dans l’ombre (d’un Delambre campant un Père Noël grelottant, assis dans un carton pour s’abriter des intempéries).

Mettons que le fond de la pensée de Charly, tel qu’exprimé dans ses livres, doit être fort similaire à celui de qui s’adresse encore à un Montebourg « canevassant » (anglicisme commode) les marchés, pour peu qu’il lui conserve un peu de confiance, le crédite toujours d’un soupçon de crédibilité surpassant ses ambitions personnelles (les siennes, à lui, l’ex-ministre devenu, à la dérobée, avocat d’affaires).

Charly s’est aussi cette fois livré, avec plus ou moins de bonheur, à l’exercice de l’abécédaire, avec une entrée S comme Sarko, « histrion vibrionnant » en voie de ressembler à un mixbooth (dérivé de both, les deux, tout deux, et booth, cabine, ici à trombines, soit la combinaison de deux visages) de Berlusconi et de Trump. J’ai mieux goûté le « T comme Twitterweiller ». La finale, « Z comme Zou ! Dehors ! » résume tout l’ouvrage. Mais pourquoi donc ce « R comme roublards » alors que le facétieux « Rebsamen à rien », placé précédemment, s’imposait, là, d’évidence ?

Charly ne pouvait bien sûr en avoir la prémonition, mais un « L comme Lassalle » aurait été bienvenu.
Jean Lasalle, député ex-Modem, vient, ce jour, de rendre un insolite public hommage… à la CGT. « C’est beaucoup de courage qu’il faut pour essayer de réveiller un pays qui s’est endormi et vit un tel cauchemar », a-t-il déclaré lors d’un débat à l’Assemblée nationale.  On peut bien évidemment diverger : le blocage cégétiste affecte aussi nombre de précaires. Mais quelques veilleurs subsistent, tels Charly et lui. On leur dit chapeau (ou béret, si le député béarnais préfère).