L’Europe traque un prédateur

Depuis vendredi, c’est une vaste chasse à l’homme qui est engagée à la croisée des frontières suisse, française et allemande. Le suspect recherché est un Franco-Suisse en cavale, un détenu de 39 ans, déjà condamné deux fois pour viols, en Suisse puis en France. Considéré comme "très dangereux", Fabrice Anthamatten était incarcéré au sein d’une unité spécialisée dans le suivi et la réinsertion des détenus dangereux à la prison de Champ- Dollon, à Genève. Il est soupçonné d’avoir tué, jeudi, la sociothérapeute qui l’accompagnait dans un centre équestre, à deux pas de la frontière française, pour préparer sa libération conditionnelle et sa réinsertion. Interpol a lancé samedi un mandat d’arrêt international contre lui.

Les policiers ont perdu la trace d’Anthamatten vendredi soir à Weil-am-Rhein, une localité allemande voisine de Bâle. Géolocalisé grâce au téléphone portable de son accompagnatrice, le fuyard a sans doute réussi à échapper aux chiens lancés à sa poursuite. Il aurait quelques heures plus tard été aperçu par le contrôleur d’un train allemand dans cette même région.

Le corps d’Adeline M., 34 ans, diplômée de criminologie à Lausanne, a été découvert vendredi matin dans le bois d’Avault, près de Bellevue, un quartier résidentiel situé à l’extrémité de la piste de l’aéroport de Genève-Cointrin. La jeune femme, mère d’une fillette de 8 mois, était en position assise, attachée contre un arbre et égorgée. Elle a vraisemblablement été tuée avec un petit couteau acheté quelques minutes plus tôt dans un magasin genevois. Un couteau qui devait servir pour nettoyer les sabots des chevaux.

Il avait violé ses deux premières victimes dans ces bois

Les lieux du crime, Anthamatten les connaît bien. C’est dans ce secteur boisé qui s’étend de Ferney- Voltaire (Ain) aux portes de Genève que le suspect a déjà violé ses deux premières victimes. En août 1999, il y avait conduit une jeune touriste française rencontrée sur les rives du lac Léman. Pour elle, il avait joué le guide : tour en voilier, visite de la vieille ville de Genève, découverte de la raclette… "Elle le trouvait sympathique", rapportent les chroniques judiciaires du procès devant la cour correctionnelle de Genève, en octobre 2001. Au point qu’elle lui avait révélé avoir été violée à l’âge de 16 ans. Mais dès lors, Anthamatten l’avait menacée avec un couteau, menottée à un arbre et avait abusé d’elle. Pour sa défense, il avait invoqué une ambiguïté dans le comportement de la jeune femme.

Condamné à cinq ans de prison, il récidivait quelques mois plus tard alors qu’il était en liberté provisoire. Sous le prétexte de louer un bien immobilier, il conduisait cette fois l’une de ses connaissances dans les bois de Ferney-Voltaire. Et, là encore sous la menace d’un couteau, il violait sa victime après l’avoir attachée avec des menottes. Interpellé alors qu’il envisageait de s’engager dans la Légion étrangère, Anthamatten est condamné en novembre 2003 à quinze ans de prison par la cour d’assises de l’Ain. "C’est un Janus à deux visages : le premier vous présente un homme lisse, le second un animal", lançait à l’époque l’avocat général dans son réquisitoire.

"Une bombe prête à exploser"

Cette double personnalité, Anthamatten en jouera. En 2010, invoquant des origines vaudoises, il obtenait l’accord pour purger sa peine en Suisse. Transféré à la prison de Champ-Dollon, il a bénéficié deux ans plus tard d’un suivi thérapeutique dans l’unité médicojudiciaire de la Pâquerette. Sa liberté conditionnelle allait être examinée en janvier 2015.

La mère d’Adeline M. se dit, elle, "révoltée" : "Comment peut-on laisser sortir un violeur seul, sans puce, sans aucun moyen de localisation […] avec une femme jeune et belle?" Une jeune maman qui allait, selon sa mère, annoncer sa démission à son employeur. Selon les autorités suisses, la jeune sociothérapeuthe, avec sept ans d’ancienneté à la Pâquerette et des centaines d’accompagnements de détenus effectués sans problème, était l’une des plus qualifiées.

Il n’empêche : la psychiatre Liliane Daligand, experte auprès des tribunaux, qui a observé Anthamatten lors de son procès aux assises de l’Ain, ne comprend pas qu’on ait pu laisser cet homme avec une femme seule. "Il a une addiction à la violence. Maintenant qu’il y a goûté, il va recommencer à tuer. C’est une bombe prête à exploser", a-t?elle déclaré samedi au quotidien Le Matin. Samedi soir, les recherches pour retrouver Anthamatten se poursuivaient activement. La police estimait qu’il avait pu quitter la région bâloise.