Souffrance au travail : la « nouvelle norme » ?

handicapes.png

« L’avenir appartient à ceux dont les ouvriers se lèvent tôt, » considérait, après Paul Lafargue, Bertrand Russell, Eric Blair (G. Orwell), et quelques autres, un dénommé Coluche. Faire du travail une malédiction pour les autres est une intime délectation pour un plus petit nombre. Les récentes vagues de suicides sur les lieux de travail ne sont ni nouvelles, ni insoupçonnées ou insoupçonnables. Mais elles ont pour effet de mettre en lumière la souffrance « ordinaire », voire « normale », si normale que, bientôt, elle n’intéressera plus ni la presse, ni personne. Accordons-lui quand même le sort qu’on réserve, de temps à autres, aux bouteilles à la mer…


Je lisais récemment qu’une auteure britannique avait fini par retrouver celle qui fut à l’origine de son roman : une mère de famille française qui avait consigné, sur une lettre confiée à la mer dans une bouteille, sa douleur d’avoir perdu un fils. Comme c’est assez insolite, en bon petit soldat de l’info, je vais rechercher une source. L’auteure est Karen Liebreich. Le livre, Letter in the bottle, a été traduit pour les éditions Michel Lafon. Voilà, c’est le service minimum, l’affaire a été amplement traitée ailleurs, passons à autre chose…

Plus banale, la lettre de C. L., de Lille, employée dans une collectivité territoriale de l’agglomération lilloise. Trois pages et demi, saisies serré, sans interligne, sur une « justif » de cent signes environ. Ouh là ! Cela en fait des feuillets (de 1 500 signes, espaces incluses), c’est trop long. Et puis, on va se perdre dans les détails. Il nous faut au moins un papier quotidien à fournir, là, ce sera un truc à n’en plus finir. Allez, poubelle ! D’abord, qui nous prouve que cette lettre émane bien de la personne s’en disant signataire ? Ne serait-ce pas une usurpation d’identité ? Histoire de faire harceler une cheffe de service avec de multiples coups de fil ? En tout cas, j’ai laissé un message sur le portable dont le numéro était indiqué. Avec un peu de chance, on ne me rappellera pas. Ah oui, si on ne me rappelle pas, c’est peut-être aussi que la lettre est authentique, que la personne, qui se dit victime de brimades et de harcèlement au travail, se sera suicidée. Bon, alors, là, faudra voir. Un feuillet, deux feuillets ? D’après vous, cela vaut combien ? De toute façon, si le travail était une partie de plaisir, cela se saurait. C’est plutôt quand les gens sont heureux d’aller bosser qu’on a de la matière, non ? La souffrance ordinaire au travail, c’est un peu comme les trains qui arrivent à l’heure en gare.

Des lettres de ce type, pour dénoncer des injustices ou des situations inextricables, toutes les consœurs et tous les confrères dont les noms figurent dans des annuaires téléphoniques ou autres en reçoivent au moins une à deux chaque année, en moyenne. Les personnes pensent que, après les médecins, les psys, les syndicats, voire la justice, nous serions le dernier recours. Ces personnes n’ont pas d’attachés de presse, de responsables de la com’ pour leur dire qu’il est inutile de s’adresser à un journaliste spécialisé « Tricots & Jardins » ou à une ingénieure pigiste qui fait dans les bétons composites et autres techniques de construction d’ouvrages d’art. Pas de boîte de RP, pas d’article. C’est comme la blague « pas de bras, pas de chocolat ! ». En plus, généralement, les gens s’accrochent. On ne s’en dépatouille pas. Tenez, dans un autre genre, Brigitte Brami. Elle, encore en cavale, vient nous dire que, si elle retourne en prison, elle va être soumise à la vindicte d’autres détenues en raison de calomnies visant à la racketter. Mais où va-t-elle chercher tout cela ! C’est quasiment diffamatoire à l’égard de l’administration pénitentiaire. Et puis, s’en prendre au bon docteur Dubec..! (cherchez le mot-clef « Michel Dubec). Passons donc à autre chose…

Là, en plus, C. L. ne s’en prend même pas à Martine Aubry. « Je ne pense pas que Madame Aubry sache réellement ce qui se passe chez nous, » conclut-elle. Ah, si MAMan savait cela ! Ah, si notre Petit Père des Peuples savait cela ! Ah, si notre bon maître Sarkoutine savait ! Naïveté qui serait divertissante si nous n’avions pas d’autres choses à écrire, et dans les délais, s’il vous plait. Croit-elle d’ailleurs que, dans les rédactions, où tout le monde sait qu’il est sur un siège éjectable et que plus du tiers des professionnels sont au chômage ou vivent d’expédients, son histoire semble originale ? C’est une raffinade, euh, non, une raffarinade : être sous pression au boulot, dans la presse, c’est quasi consubstantiel. Être muté à l’autre bout du département ou de la France, pour un oui, un non, voire seul en poste à Nouakchott, ce n’est pas l’exception, mais la norme.

Écrire « je ne pense pas que Madame Aubry… », ce serait un peu comme rendre responsable Éric Bompard, l’importateur, dont l’entreprise, Bompard Cachemire appartient pour un cinquième à la Mongole Erdos, de la faiblesse des salaires des enfants tisserands mongols ou de la désertification de la Mongolie. C’est de la dénégation. C’est trop facile ! C’est un peu comme si on disait que Joseph Staline, en convertissant toutes les steppes à chevaux du Turkménistan, pour y faire brouter des moutons (il faut un hectare par an pour amener un agneau à douze mois), était conscient qu’il allait en faire un vaste désert. Ou d’accuser Obama de favoriser la prolifération des chèvres du Kazakhstan et du Kirghizistan pour le seul réel profit des importateurs de mohair, et aux dépens de l’agriculture vivrière. Bien sûr qu’ils ne savent pas, ils ont des gens pour cela ! Sarkoutine a-t-il vraiment le temps de se préoccuper des quelque centaines de « statiques » (gendarmes et policiers de garde) dans les « aquariums » (guérites) du palais de l’Élysée ? Le « piquet » a beau être d’« honneur », on est bien au piquet, qu’il pleuve, vante, gèle, ou que la canicule vous fasse vous évanouir. Et là, il y a des uniformes, du décorum. Ce n’est pas comme pour C. L., de Lille, qui n’a même pas de combinaison à enfiler quand elle travaille au service des eaux usées. Au moins, en boueuse, on aurait pu faire une photo qui « parle » au lectorat. Là, tu veux l’illustrer comment, la souffrance au travail. Faire appel au caricaturiste ? Ben, il ne faudrait pas faire exploser le budget de piges, quand même.

Bon, allez, je suis de repos aujourd’hui, comme hier, comme demain, placardisé, je peux bien me fendre de quelques lignes sur C. L. Mais attention, comme je n’ai pas les moyens de vérifier, gare à la difam’, restons prudents. Expurgeons intelligemment.

« J’ai contacté une journaliste sur Lille, elle ne bougera pas, » écrit C. L. Suit une considération hors de propos que je vous épargne. Cela commence mal (d’accord, c’est vers la fin de la lettre, mais je synthétise… si !). Faire appel à la justice en mettant en cause des magistrats, cela ne se fait pas. En plus, c’est inutile.

De quoi s’agit-il au juste ? Petits extraits d’un banal à bailler qui feront que, d’accord, on veut bien « du social, de l’humain, du vivant », mais pas quand même au point de déverser la sinistrose à pleins baquets dans nos colonnes.

« La précarité me faisait très peur, surtout de perdre mon logement… Je venais travailler la peur au ventre, du béton dans les talons… » Remarquez, ce n’est pas mauvais, le truc du béton dans les talons. Tiens, à l’occasion, je m’en resservirai pour un intertitre. Le reste est trop convenu, trop déjà vu, vite lu, vite oublié.

C’est l’histoire d’une jeune femme qui, en 1998, passe du contrat emploi « solidarité » (avec la promotion du ministre du Chômage à un poste de ministre d’État) à celui dit « consolidé » (d’où, sans doute, le béton dans les talons). On la verse à la signalisation où elle ne se signale pas par un zèle trop intempestif, donc, là, on la supporte. Faut pas faire du zèle quand « on a toujours fait comme cela » auparavant, et la ramener avec ses expériences antérieures dans le privé, son « manageument » à la ricaine, le fait qu’on écrit le français sans faute de syntaxe ou d’orthographe. Profil bas, c’est bien. Mutée au restaurant. Puis aux eaux usées, puis au métropolitain, puis enfin, fin 2000, à l’urbanisme. Ben, comme tout le monde, quoi. La petite locale, la départementale, la locale du siège, les chiens écrasés, les boulistes, et enfin, le conseil municipal… Elle passe stagiaire agent administratif. « Je me suis dit, c’est moi qui suis le problème, je suis grosse, moche… ». Ah, si elle est vraiment grosse, vraiment moche, cela pourrait faire un sujet hygiène-santé. Faut voir. En plus, avec une photo dans un tablier à grosses fleurs deux tailles en-dessous, avec des couleurs qui pètent, on peut envisager une page magazine : faut que les couleurs éclatent, en page magazine, on a des pubs pour les lessiviers. Oui, mais, plus loin dans la lettre, elle écrit « je ne mange plus ». Et il semble bien qu’elle ait dépassé la date de péremption pour un sujet anorexie qui pourrait émouvoir dans les chaumières.

Rupture d’anévrisme en janvier 2002. Pas de chance, c’est un truc à vous rendre paralysée, pas capable de vous faire comprendre car la moitié du visage est figée, et là, franchement, la photo ne fait pas sourire. On évitera. Les syndicats interviennent pour qu’elle ne soit pas obligée de reprendre le travail dans un trop sale état. C’est pourquoi je trouve ingrat cette remarque par ailleurs comme quoi les syndicats ne font rien, « ils défendent leur paroisse, leur clan ». J’ai beaucoup d’amis au Conseil régional. À la buvette, c’est toujours eux les premiers à demander un verre de champagne pour moi. Alors que je ne suis pas syndiqué forcément de la même centrale qu’eux. C’est dire si le reproche de cette dame est injustifié.

Puis, après lui avoir conseillé des congés sans solde, les « ressources humaines » finissent par l’affecter au secrétariat du restaurant. Elle ne nous dit pas si, quand on lui demande l’adresse privée de l’adjoint chargé de la restauration scolaire, pour livrer les faisans et le Dom Pérignon, elle a droit à une tablette de chocolat, et du bon, du Meunier. D’ailleurs, si cela se trouve, elle n’a pas la tête à fournir les adresses privées des adjointes et des conseillers. Ceci explique peut-être cela. On lui reprocherait d’être handicapée quand des proches, en parfaite forme et bonnes dispositions pour fournir des renseignements utiles, sont tout disposés à prendre sa place. Enfin, c’est à peu près ce qu’elle écrit ; rien n’est vérifiable. Méfiance ! « Pourquoi on accepte des tarés au boulot ? » se serait-elle entendue lancer. Bah, rien ne prouve que cela la visait, et non le directeur du service. Elle l’a peut-être pris pour elle par erreur…

« Puis on me fera coller des étiquettes. Puis je prenais les comptes à refaire chez moi, cars ils n’étaient pas bons. Je passais mes week-ends à compter, recompter afin d’essayer d’équilibrer ceux-ci en vain ». Ben, les comptes, cela ne tombe jamais juste. Et puis, c’était peut-être un test pour voir si elle pouvait s’accommoder du coulage. C’est normal, il y a des trucs qui se cassent, qui disparaissent, faut faire avec.

« Chez nous, les femmes seules, divorcées ou autres sont leur proie, » dit-elle d’un chef dont le nom n’est pas donné. Comment faire la part des choses ? En tout cas, cette victimisation des célibataires ou des divorcées est inconvenante : les mariées et mères de famille en ont autant contre les petits chefs. Et puis, cet « ou autres », ne serait-il pas péjoratif ? « Une collègue a tenté de se suicider, raté ». Oui, ben, c’était peut-être une mère de famille tarabustée par un mari tyrannique. Rien à voir avec le travail, si cela se trouve. Pas crédible !

« Mai 2003, je suis reconnue travailleuse handicapée à 80 %, avec station debout pénible ». Octobre 2003, titularisée. 1998-2003, joli ! Dans les « brigades » des stations de radio ou des bureaux régionaux des chaînes, elle ferait des envieuses. Puis elle passe adjointe administrative, du fait de son statut Cotorep (handicapés) et de ses diplômes. Ah, ben, si elle a des diplômes, là, elle aggrave son cas. Trop de diplômes nuit au diplôme, c’est bien connu, et avoir travaillé dans le privé, c’est s’être dispersé : trop d’expérience tue l’expérience, toutes les « ressources humaines » vous le diront.

À propos d’une tentative de viol sur la personne d’une collègue, alors qu’elle se trouve elle-même en congés, on lui demande de témoigner. Ce n’est pas parce qu’on était en congés lors des faits qu’on ne peut pas dire que, soi-même ou d’autres collègues, on n’a jamais été importunées. « Le directeur reconnaîtra qu’il avait eu une pulsion sexuelle, il continue de travailler à ce jour… » Comme quoi, d’une part, c’est hors-sujet, d’autre part, faute avouée… Un autre chef lui avait un jour lancée, à elle, « tu cherches à te faire violer ». Un peu comme Marjane Satrapi qui, sous le voile, en Iran, allait peut-être jusqu’à s’épiler le duvet de la lèvre supérieure pour aguicher. Pourtant, on les avertit ! Mais non, elles cherchent à provoquer des pulsions sexuelles… pendant le travail ! Ce qui nuit fort au rendement, et fait baisser la productivité. Elle fait état aussi d’un chef qui « se baladait en slip ». Alors, là, ce n’est pas du tout pareil. Si un chef est en slip dans son bureau, c’est pour perdre moins de temps lors la miction (dans les cas d’urgence, en bouteille plastique d’eau minérale, avec le col coupé, comme pour les chauffeurs-livreurs). Tandis que les femmes, elles, tu les trouves tout le temps aux toilettes, aux dépens des besoins du service !

Je vous passe les détails abscons et superfétatoires comme quoi, demandant à être examinée par un neurologue (à la suite d’une hernie discale et autres), elle sera adressée à un rhumatologue puis à un psychiatre. Finalement, on l’affecte à la voirie, avec la charge de faire circuler les parapheurs (ah, les parapheurs ! c’est pour recueillir les multiples signatures, une belle invention ; j’en connais de très beaux, avec lettres dorées, pour les grands chefs, et il faut faire le tri entre les simples parapheurs, à présenter aux sous-chefs, et les autres, et ne pas mélanger), en s’aidant de sa béquille. Puis, au bout de deux mois, au service Foncier. Elle y tiendra un mois avant d’être affecté aux marchés (attribution des emplacements, validation des cartes des forains). Puis mutation au service Formation. Puis autres mutations, et enfin, courant 2008, la voici chargée de l’inventaire informatique. Cela doit consister sans doute à coller des gommettes de diverses couleurs sur des écrans et des unités centrales. Amusant. De nos jours, je croyais que tous les périphériques étaient dotés d’une adresse IP et donc repérables au distant. Mais peut-être pas les mulots, donc…

« Je ne dors plus, je mange peu, je détruis ma vie privée… » Ah, c’est bien la preuve qu’il lui reste une vie privée. Allez, avec cela, faire larmoyer dans les rédactions où on passe d’incessants remplacements dans les locales ou en reportages très longues durées dans des bleds où le couvre-feu, c’est cinq à dix minutes avant 20 heures (donc, se faire un sandwiche en cas de couverture d’une réunion tardive d’association de joueurs de pétanque ou de pêcheurs à la ligne, car plus de restau, à moins de faire 50 bornes pour trouver un « grec » à la préfecture). Après, on vous reproche de finir par loger chez l’habitant, comme sur les bords de la Vologne. « Pourtant, je suis là par tous les temps, ponctuelle et respectueuse d’autrui, » précise-t-elle. Encore heureux !

« Je suis prise de crises de larmes inexpliquées, je me sens nulle au travail. ». Tiens, cela me rappelle un chef qui, alors qu’une grande reporter avait eu un passage à vide, et qu’elle venait travailler de plus en plus longtemps pour ne pas penser à je ne sais quoi (a-t-on le temps de s’intéresser aux désarrois des collègues ? et puis, mieux vaut tourner la tête…), lui disait : « Mais enfin, rentrez chez vous, Mademoiselle, vous voyez bien que votre place n’est pas ici ! ». Cela en vous adressant un petit sourire satisfait qui vous dictait votre complicité et surtout  intimait de comprendre que, pour vous aussi, la porte était grande ouverte, avec de multiples stagiaires prêt·e·s à vous remplacer. Mais, finalement, c’était le bon temps : et puis, c’est comme cela que l’on s’aguerrit, et qu’à son tour… Finalement, elle est allée loin, la petite, et le chef lui a sans doute rendu service. C’était paternel. Regardez Jean Sarközy, on voit bien que c’est un enfant qui a souffert. Mais il sera désormais apte à devenir président d’un conseil général… C’est cela qui est paradoxal pour ces jeunes pleins de talents. Mais souvent, elles et ils sont trop jeunes pour comprendre. Cela me rappelle un autre cas : « Si j’en parle à mon père [du harcèlement, des surcharges incessantes de tâches, Ndlr.], il va me bassiner avec tout ce qu’il a dû subir dans sa carrière pour arriver à la retraite avec deux galons de plus. ». M’enfin ! C’est pour leur bien !

« Demain, un nouvel organigramme, des services en réduction, des agents qui devront bouger. Nous allons faire quoi ? Un France Télécom bis ? ». Autres extraits : « Les formations demandées sont refusées, par contre, pour jouer les bouche-trous comme lors des formations secouristes, vous êtes inscrit sans votre accord : avec une béquille, il est vrai que c’est top de traîner un blessé… ».

« Que ce ne soient pas les mêmes qui chaque année sont promus sans les compétences, sans examen, sans concours, seulement par relations. ». Et voila ! Some are born to obey, others to command  C’est assez difficile à expliquer que, quand on nait dans une famille où tout le monde est destiné à commander, on sait mieux se faire obéir. Et bien évidemment, tout le monde ne peut pas naître dans une famille où des domestiques et gens de maison mis à disposition vous prédestineront à présider un conseil général, une société d’économie mixte, un établissement public régional ou national. Et  commander, comme on l’apprend aussi quand on a eu un papa cadre sup’ de la Banque de France, au ministère des Finances, à la Commission européenne, cela suppose aussi de savoir s’appuyer sur des gens sur qui on peut vraiment compter… des relations, donc. Et des non-titulaires qui savent que, s’ils ne votent pas bien, par exemple pour désigner un secrétaire de section, ils sont sur siège éjectable. Dans contractuel, il y a « contrat », de confiance. Comme chez Darty !

Tout autre chose. Mais en rapport. Quand vous êtes chef de service et qu’une jeune journaliste vient vous montrer une telle lettre, comme celle reçue de C. L., ne dites pas « on ne va quand même pas se mettre la mairie et Aubry à dos » mais dites, doucereusement, « vous savez, elle est sans doute dans un délire de persécution, certes motivé, mais lui donner de la publicité, c’est l’enfoncer dans son dérèglement, soyons humains ! ». C’est vrai, publier les lettres de tous ces gens qui se plaignent de diverses injustices, au fond, ce n’est pas leur rendre service. C’est d’ailleurs pourquoi je ne citerai que par initiales S. P., qui considère que « lorsque vous appelez une autorité au secours, n’oubliez pas que vous vous adressez à un·e complice de ***  et que vous n’êtes pas dans un dialogue de confiance mais dans un affrontement et un chantage où le plus agressif, voire le plus odieux, gagnera. ». Pas assez odieuse, pas assez agressive, C. L., et ce n’était donc pas à moi qu’il fallait s’adresser.

Il semblerait que C. L. ait été, une nouvelle fois, mutée au service du Développement durable. C’est bien, le développement durable. C’est porteur. Tandis que ces trucs de suicides au travail, il faut savoir tourner la page… À moins qu’on nous annonce, après le débat sur l’identité nationale, un Grenelle des conditions de travail. Là, on pourrait interroger des spécialistes, des ministres, des psychiatres, des magistrates, et il n’y aurait pas de problème pour trouver une deux-trois colonnes pour illustrer. C’est vrai, quoi, aussi… Ces histoires de souffrance au travail, c’est vraiment duraille à illustrer. Et pas d’illustration, pas de papier. Et la femme de dos, à la fenêtre d’une tour, qu’on dirait prête à sauter, on l’a déjà publiée deux fois. D’accord, c’est une archive Corbis, ce n’est pas cher. Mais, cela lasse, en fin de compte.

Ah, mais là, on a une petite polémique bien sympa, avec une image. Celle de l’affiche « Arrêtons de payer pour les handicapés ». C’est en Suisse, et le conseil cantonal de Genève veut que l’Office fédéral des assurances sociales retire les affiches. On la tient, notre illustration. Et au fait, avec le Grand Emprunt de Sarközy, le financement de la Sécu, tout cela, on pourrait peut-être en faire un sujet local. C’est porteur, les handicapés ! Faudrait trouver un cas concret. Ah, tiens au fait, le stagiaire, il n’avait pas une lettre d’une certaine C. L., qui bosse je ne sais plus où à Lille, au département ou à la ville ? Et qui est handicapée ? Deux feuillets maximum, d’accord ? Eh, on n’est pas sur l’Internet… Et une photo d’elle, si possible avec des collègues. Ou un délégué syndical. Voire Aubry ! Tiens, oui, pourquoi pas un sujet avec Aubry et l’emploi des handicapés… Trois feuillets, dont deux pour Aubry… Allez, roule ! Tiens, une question du genre « Martine Aubry, ne pensez-vous pas qu’il faut puiser dans les valeurs éthiques et faire en sorte que respect de la personne et pleine et entière citoyenneté voguent de conserve ? ». Euh, non, « vont de pair ». Ou plutôt, « de paire ». De conserve, le lectorat croit qu’il s’agit d’une coquille. Bon, pas d’importance, on raccourcira la question pour la mise en pages, mais tu peux la lui poser ainsi, mais pas de conserve. Et puis cela évoque le placard, la conserve. Et le placard, les cadavres. Et comme je l’ai toujours dit et redit, on n’est pas là pour distiller la sinistrose à pleins baquets !

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

14 réflexions sur « Souffrance au travail : la « nouvelle norme » ? »

  1. Bien mais si je pouvais rajouter un truc à Jeff Tombeur, qu’il sache que je ne suis plus grosse,mais une têtue de la vie qui a en horreur l’injustice, le mépris…
    une petite chose, chez nous, les agents vivent un enfer de souffrance au travail. Cette semaine j’ai lu + de 20 agents en arrêt de travail + de 3 mois (une contagion de grippe spéciale qui est la souffrance au travail) je n’ai pas menti mais ni moi, ni mes collègues ne devont subir ces méthodes de management déstructif. Je n’ai jamais été matérialiste, la vie me donne la vie me prend. CL

  2. Pour Siroter :
    Dont acte…
    Ce monde est d’autant plus absurde qu’on le rend mieux néfaste.
    Bravo pour votre courage.

  3. comme vous le dites un monde d’absurdités, de jalousies contagieuses!!!alors que dire que faire se taire ? crier , Je ne connais hélas pas la réponse….mes mots, mes simples mots de femme qui ne baisse jamais les bras. J’ai horreur de l’injustice, du non respect d’autrui, de la discrimination ….Alors si dois hurler, sans peur, je le ferais.
    Demain, doit-être un jour meilleur pour la génération qui me suit.

  4. je n’ai pas le droit à la parole dans ce monde de stupidété.
    Il n’y a pas d’écho, qui m’entend,
    je vais hurler, je suis là, je suis petite, mais vous ne me mangerez pas!!!
    je ne suis pas aussi stupide que ce monde de brutes!!!
    Regardez autour de vous, le monde est devenu con

  5. Bien vu Jeff et cynique à souhait! on trouve tant de c… dans la presse sur la souffrance au travail, à croire qu’ils ,e la vivent pas …sauf au placard

    amitiés

  6. Pour Agnès B.
    Non, ce n’est pas tout à fait « cynique à souhait » même si je comprends ta lecture (et te remercie de ton appréciation).
    La souffrance au travail est quelque chose de vraiment subjectif.
    L’une qui va craquer après trois mois sans la moindre pause, sur un matelas posé au sol dans un appart quasi-vide de Chateauroux, que l’on se repasse entre confrères effectuant des remplacements sans savoir quand on sera muté-e ailleurs, et qui est pourtant une « battante » vraiment aguerrie, ne souffrira pas dans les mêmes conditions ailleurs (ou en tout cas, vraiment pas autant).
    L’autre, titulaire, sédentaire, &c., ne va pas supporter une ambiance jugée « sympa » par d’autres, et commencer par s’isoler, être en butte à des remarques anodines au départ.
    J’ai été souffre-douleur, je me suis rebiffé, et je pense n’avoir jamais fait d’autres mes souffre-douleur (en tout cas, j’ai un peu veillé à ce que ce ne soit pas le cas, fait en sorte de n’avoir jamais ce genre de poste où on peut le devenir, &c.).
    D’autres reproduisent au travail comme au logis : les enfants battus deviennent des hommes battant, les gamines méprisées deviennent méprisantes, &c.
    Ce que je tente aussi d’expliquer, c’est pourquoi ces cas multiples sont très mal traités dans la presse.
    Il y a aussi la crainte d’être trop sollicités par des personnes en souffrance.
    Bref, pas simple.

  7. Jeff,

    Je retire  » cynique à souhait », mais l’oeil du journaliste comme celui du psychiatre d’ailleurs est souvent biaisé par le mythe du plus fort; on va juger tres rapidement un harcelé comme victime consentante ou fragile.

    Bien sur certains ont la peau plus epaisse que d’autres; bien sur certaines personnes surinvesties dans leur travail essaient de combler ne blessure narcissique et s’effondrent quand leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Mais dans la presse, c’est rarement le coupable qui est jugé mais toujours la victime qui est doublement condamnée …. un peu commme dans les cas de viol .. et elle se retrouve toujours seule abandonnée de ses collegues, par peur des represailles. Coupables de ne pas savoir se defendre ou d’etree naif/ve

    pas si simple!!! et legalement glissant

  8. c’est bien dit lorsqu’on ne possède pas les bons mots au bon endroit.
    la souffrance au travail, est une condamnation à la vie professionnelle destructive

  9. Je suis dans un service qui normalement est appelé à se déveopper, s’agrandre oui je parle du ‘Développement Durable » mais voilà ce matin, une nouvelle fois, on m’indique que je quitterais le service le 31 décembre. Pourquoi me battre, je m’épuise, les syndicats ne servent à rien devant la détresse de tant d’agents qui ne vont pas bien (le pire il n’y a pas d’âge) QUE DOIS-JE FAIRE ? il n’est pas vivable de travailler dans des conditions de déstruction totale. Je dois payer mon loyer donc je suis obligée de travailler dans ces conditions inacceptables. Une fois de plus j’aurai pas mon travail un cadeau de fin d’année!!!!

  10. Malheureusement pour toi dokou, la drogue connaît et pas envie de connaître ce truc qui ronge le corps petit à petit

  11.  » Tiens, je pourrais m’adresser à Éric Marquis. De L’Express. Et d’ailleurs.  »

    Je ne vois pas ce que je viens faire dans votre article.

  12. :(mon fils avait l espoir de vivre sa carriere a la ville de tours ,il est stagiaire ,mais il subit de l harcelement moral ,si il s exprime ,ce n est qu un moin que rien ,que doit il faire ,il deprime,les petits chefs ,n ont peur de rien ,mais si il ne reussit pas ,………?????????

  13. Bonjour papa en détresse.
    Vous savez nous vivons dans un monde où la destruction est reine. Ces chefs auront plus tard le rendu de leur monnaie. On ne sait hélas pas dans quel état ils seront. Des plus performants les remplaceront.
    Aujourd’hui le combat est les diplômés contre les savoir faire.
    L’escabeau tient aujourd’hui, mais demain il sera bancal, après-demain il dégringolera
    bon courage à votre fils.
    Jouer l’indifférence et garder son calme: deux armes redoutables.

Les commentaires sont fermés.