Réduire ou supprimer le salaire minimum : la panacée ?

C’est toujours, partout et constamment la même antienne : payer moins, supprimer ou abaisser le salaire minimum, favorise l’emploi. J’invite vivement les tenants de cette hypothèse à venir constater ses bienfaits en Roumanie, où les salaires ont fortement fléchi. Le dernier en date de ces théoriciens est Charles Gave qui, dans Atlantico, extrapole des données américaines partielles, voire partiales, et contestables, pour titrer « le salaire minimum ne protège pas du chômage les plus défavorisés ». Il est gestionnaire de fortune à Hong-Kong. Serait-il collecteur d’épargne populaire, tiendrait-il le même langage ?

Hors, peut-être, commerces de luxe, mettre deux vendeuses ou deux commerciaux derrière un guichet au lieu d’un ne génère pas un chiffre d’affaires supérieur. Et vous pouvez en mettre trois, encore plus mal rétribués, ils ne vont pas, même avec des remises, acheter les produits qu’ils vendent : Ford l’avait compris. L’offre peut susciter la demande, encore faut-il autrement la favoriser.

Dans les années 1960, le patronat manufacturier s’était opposé au commissariat au Plan (à présent démantelé) qui lui vantait le modèle japonais d’équipement en machines-outils et tendant vers plus de robotisation. Les recruteurs allaient sillonner le Maghreb pour importer une main-d’œuvre moins chère, concurrentielle, et permettant de faire fléchir les salaires. Cela fonctionne, certes, mais pas vraiment sur la durée.

En Roumanie, les rémunérations des  « budgétaires » ont fléchi d’un quart, et les salaires du privé ont été contenus de ce fait. Pas l’inflation, bien au contraire. Du coup, des commerces qui étaient autrefois ouverts toute la nuit ont commencé à fermer vers minuit, puis plus tôt, puis à baisser le rideau. Deux manœuvres à bas prix ne remplaçant pas un ouvrier qualifié, ayant préféré émigrer, la productivité de certaines entreprises baisse : mettre trois sous-payés autour d’une machine en panne.

Mais la vulgate ultra-libérale reste indifférente à tous ces phénomènes, se rattachant toujours à la théorie du trickle down : enrichissez les possédants, appauvrissez les moins bien lotis, il retombera toujours assez de gouttes sur ces derniers pour que l’économie soit florissante. Athènes et Rome le furent bien longtemps, tout comme le sud des États-Unis, les caravaniers arabes ou les armateurs des ports européens.  

Certes, je ne nie pas qu’embaucher à très bas coût, pour une période réduite, d’un à trois mois par exemple, faciliterait la prise de risque que représente une embauche. Mais cela ne vaut que pour certains emplois, et le corollaire, pour le niveau général de l’emploi (et donc de la consommation), serait loin d’être assuré : des entreprises ne fonctionnant qu’avec des stagiaires fréquemment renouvelables embaucheraient assurément, au même coût, des travailleurs plus qualifiés.

Charles Gave, sur Atlantico, fait dire aux statistiques ce qui lui convient. Aux É.-U., Noirs et Latinos auraient vu leur taux d’emploi fléchir à la suite d’un relèvement du salaire minimum, et inversement. D’une part, les courbes affichées ne valident pas tout à fait ce « constat », d’autre part, celles relatives au répercussions sur la consommation globale ne figurent pas. Enfin, l’indicateur du salaire minimum fédéral vaut ce qu’il vaut, soit fort peu, puisque dans nombre d’États de la fédération, d’autres règles s’appliquent

Par ailleurs, les catégories ne sont pas explicitées. La population carcérale représente dans ce pays le quart de la population équivalente mondiale pour seulement 5 % du total, elle est constituée surtout de Noires, Latinos, &c., tous soumis (hors criminels et condamnés à mort) au travail obligatoire très faiblement rémunéré (les prisonniers coûtent très chers aux contribuables, et rapportent énormément au lobby des prisons et aux entreprises). Le nombre des détenus approche à présent un pour cent de la population adulte (dix fois plus qu’en France).

En fait, les courbes affichées, dont on ne sait trop s’il s’agit des personnes déclarant un travail ou employées (y compris clandestinement), laissent aussi voir que le salaire minimum peut baisser sans du tout favoriser le recrutement de personnes issues de minorités défavorisées. Mais, effectivement, les effets d’annonce d’une revalorisation du salaire minimum ont pour corollaires soit des débauchages, soit de moindre embauches. Ce qui est totalement prévisible.

De même, lier la hausse des commandes à l’embauche, en particulier locale, n’est plus du tout pertinent : on peut fort bien avoir recours à des sous-traitants étrangers, allonger les délais de livraison, jouer sur les heures supplémentaires, &c. On a d’ailleurs vu nombre de salariés consentir des pauses d’augmentations, voire des réductions de rémunérations, sans retarder longtemps des délocalisations.

Je n’en suis pas pour autant en totale contradiction avec Charles Gave : en soi, un salaire minimum réglementé ne s’impose absolument pas. Mais si, et seulement si, le plus bas salaire, du fait d’une pénurie de main d’œuvre, autorise un niveau de vie décent. De même, une employée de maison au noir reçoit souvent davantage qu’une autre, déclarée, du seul fait qu’elle revient moins cher à l’employeur qui ne s’acquitte pas de charges sociales : le contribuable réglera le minimum vieillesse par la suite, l’éventuelle prise en charge gratuite des soins.

Ce que dissimulent aussi soigneusement les Charles Gave, c’est que de très bas salaires représentent moins de cotisations, moins de TVA perçue, &c. Donc moins d’investissements collectifs : inutile ensuite de réclamer des routes, des infrastructures, des formations à bas coûts pour les salariés, voire les techniciens et cadres. Aussi qu’en cas de chômage, sauf à garantir un revenu égal à celui du travail (ce qui n’incite guère à reprendre le collier), la paupérisation guette très vite : qui emploiera un travailleur obligé à faire des heures et des heures de transport en fraudant, au risque de ne pas se présenter à l’heure ? Qui veut vraiment employer quelqu’un ne pouvant pratiquement jamais prendre une douche (ou alors, il faut le loger en dortoirs collectifs, voire aussi le nourrir de riz et de patates) ?
Il se trouve que les employeurs y ont, eux, songé, un peu davantage que les gestionnaires de fortunes qui n’emploient souvent qu’eux-mêmes, estimant peut-être que tout le monde peut devenir comme eux (d’ailleurs, c’est assez vrai, comme l’a démontré Madoff, un ex-maître-nageur qui a pompé nombre de clients à divers Charles Gave).

Il est quand même paradoxal de constater que, très souvent, celles et ceux plaidant pour des salaires moindres en Europe sont les mêmes qui souhaiteraient voir les salaires chinois progresser pour mieux soutenir leur nouveau marché « intérieur » chinois… avant d’envisager de délocaliser au Vietnam ou à Madagascar, afin de profiter d’une main d’œuvre meilleur marché. Tout en ayant au préalable exigé de ces futurs pays émergents qu’ils consentent des efforts de formation de leurs futurs employés.

En France, les mêmes oublient aussi de dire que le tassement des salaires relativement à l’inflation, l’exonération accrue des charges sociales, n’a pas eu les effets escomptés sur le chômage. Ces mesures ont peut-être favorisé l’enrichissement des bénéficiaires que captent des Charles Gave les incitant à placer leurs fortunes à Hong-Kong. Ce discours qui les flatte n’a d’ailleurs pas d’autre but, même s’il se pare d’un habillage voulant que les bas salaires favorisent l’emploi des plus démunis et favorise la compétitivité d’un pays.

Répandre des idées simplissimes, sans jamais envisager leurs effets pervers, caractérise ce type de démarche. De même, agents immobiliers, entrepreneurs du bâtiment, &c., banquiers, veulent toujours plus d’accession à la propriété, en oubliant que leurs intérêts sont contradictoires avec ceux des industriels préférant des salariés beaucoup plus mobiles, prêts à délaisser un bassin d’emploi (qui peut bien péricliter, ce n’est pas leur souci), au profit du suivant.

Au fait, à quand un salaire maximum, qui favoriserait l’exode vers Hong-Kong et renforcerait la concurrence des Charles Gave : la concurrence accrue n’est-elle pas toujours favorable à l’économie générale ? Les clients des Charles Gave devraient y songer : limiter les hauts salaires ne leur serait-il pas plus profitable ?

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

11 réflexions sur « Réduire ou supprimer le salaire minimum : la panacée ? »

  1. [b]Ce n’est pas la priorité et je dirais même que pour l’instant que salaires en France tout en étant plutôt faibles permettent aux entreprises de ne pas (trop) s’effondrer.
    La priorité des priorités pour moi consisterait à désaffecter les sommes énormes consacrées à EDF, SNCF et autres CAC40 chaque milliard d’€uros détournés dans ces gouffres est pour au moins la moitié gaspillé (je laisse au lecteur le soin de deviner) ce milliard distribué à 1000 PMI/ETI serait efficace à 80% tout le monde sait ça (là aussi le lecteur sait pourquoi) je n’oublie pas de citer les ronds de cuir qui préfèrent octroyer le milliard à un géant à coup de déjeuners, réception, discussion à propos des bonnes œuvres des uns et des autres avec les enveloppes adéquates plutôt que de travailler avec 1000 interlocuteurs: ils seront tout de suite débordés ! Je me garderais cependant d’indiquer ici la façon de procéder, car ce ne serait pas du goût de la classe politique française dans son ensemble.[/b]

  2. un article de Charles Gave (pour se faire une idée)
    [url]http://www.atlantico.fr/decryptage/non-salaire-minimum-ne-protege-pas-chomage-plus-defavorises-preuve-charles-gave-685043.html[/url]

  3. On fait dire tout et son contraire aux études économiques dans un sens comme dans l’autre. Quoi qu’il en soit, le salaire minimum ne m’apparait pas être une solution pour réussir à tirer l’emploi vers le haut. Le but n’est pas de payer un salaire minimum mais bien de réfléchir à comment faire vivre décemment une personne de nos jours. Car à quoi bon un salaire minimum si ce dernier ne permet pas le logement, l’éducation, l’évasion….
    Qu’entend-on par minimum ? Le problème est là. Aucun étude ne considère que prendre du bon temps avec sa famille fait partie des nécessités de la vie et pourtant ???

  4. erreur ou doublon ? je ne sais pas si j ai validé ou effacé mon commentaire…décidément la farce du 1er avril me poursuit

  5. Je ne sais pas si j ai publié ou effacé mon commentaire comme quoi rien n est possible en ce jour si particulier du 1er avril

  6. le « minimum », pour moi, c’est quand même de faire évoluer le salaire en fonction du coup de la vie!!! Pour ma part, mon salaire est le même depuis 12 ans!! Euh, non, il a baissé car les heures supp (au dessus de 35h)sont payées moins, grâce à Hollande !!! Bah, mon patron à moi, ne va pas s’effondrer, Zelectron!!! Signé : Une salariée!

  7. [b]Vous avez des qualité certaines et ça m’étonnerais que vous ne puissiez changer de boîte ! Allez-y ! mordez ! je suis sûr que vous pouvez accrocher une entreprise avec un patron plus subtil et donc plus intelligent que le vôtre qui ne sais pas la perle qu’il a sous les yeux ![/b]

  8. À TASSIN LA DEMI LUNE,
    IL FAUT BOIRE UNE TASSE DE THE
    AVANT DE CONTROLER SES THUNES
    PAS VRAI, FANFAN ?!!!

  9. À TASSIN LA DEMI LUNE,
    SOYEZ BIEN LUNEE, FANFAN !!!
    ( les affaires y prospèrent…
    [b]*[/b] sousl’étoile avaricieuse)

  10. Les patrons emportés par leur convoitise
    sont en train de ruiner leurs entreprises
    en ne redistribuant pas leurs gains.

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