Rachida Dati aux prises avec les juges

rachida-dati-9m1.jpg

Le temps vire à l'orage entre Rachida Dati, ministre de la Justice, et les juges, après la convocation d'un procureur à la chancellerie qui aurait déclaré lors d'une audience : "Je ne requerrai pas cette peine plancher […] car les magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir. Ce n'est pas parce qu'un texte sort qu'il doit être appliqué sans discernement".

Les magistrats du parquet qui représentent l'Etat aux audiences et qui sont hiérarchiquement soumis au ministre ( par opposition aux juges du siège qui prononcent les jugements), sont pourtant très attachés à leur liberté de parole.

Les syndicats des magistrats ont vivement critiqué ce rappel à l'ordre de la Garde des Sceaux qui est perçu comme une manifestation d'autoritarisme déplacée.

Mais la ministre n'en démord pas, et explique sa vision de la magistrature sur l'antenne de Canal+, poussant encore un peu les relations entre la Chancellerie et les juges à l'affrontement.

Rachida Dati se consacre à la télé "chef des procureurs" :

"La justice est indépendante dans son acte de juger (…) mais j'ai une autorité dans l'application de la loi et de la politique pénale. Je suis chef du parquet, ça veut dire quoi ? Je suis chef des procureurs, ils sont là pour appliquer la loi et une politique pénale"

Mais les syndicats des juges ne l'entendent pas de cette oreille, et rappellent à la Gardienne des Sceaux que son rôle n'est pas de leur dicter quelle loi ils doivent appliquer ou non… la rupture entre le ministère et les magistrats se creuse.

"C'est une conception totalement monarchiste de la séparation des pouvoirs. Les procureurs sont les procureurs de la République et pas du président de la République. Ils requièrent au nom de la République et pas au nom du président", a expliqué Laurent Bedouet, secrétaire général de l'USM, syndicat majoritaire au sein de la magistrature.

"Il existe un lien hiérarchique entre Garde des sceaux et parquets (…) mais les procureurs sont au service de la loi avant d'être au service du Garde des sceaux. Ils ne sont pas des préfets judiciaires. Cette idée est contraire à l'esprit de notre Constitution", précise Emmanuelle Perreux, présidente du SM, le Syndicat de la Magistrature.

De quoi les juges ont-ils si peur ?

Ils craignent à l'évidence pour l'indépendance de leur profession et le bon déroulement de la Justice, à l'heure où cette dernière multiplie les crises.

L'affaire Outreau a montré les profondes faiblesses de l'instruction, les menaces et les violences sur les juges ont prouvé le peu de moyens de la Justice, et enfin, aujourd'hui, c'est la liberté de parole et d'action des magistrats qui fait débat.

Rien ne permet d'annoncer une réconciliation entre la Chancellerie et les juges à l'heure actuelle, bien au contraire, car les syndicats de la magistrature restent sur le pied de guerre en attendant que mûrissent les dossiers confiés par Nicolas Sarkozy à son amie et ministre Rachida Dati.

Il s'agit de projets de loi en devenir soulevant des points extrêmement sensibles concernant les procès des criminels déclarés irresponsables, l'hospitalisation des délinquants sexuels en fin de peine, et la dépénalisation de la vie économique des entreprises. Autant d'affaires susceptibles de mobiliser la magistrature…

 

7 réflexions sur « Rachida Dati aux prises avec les juges »

  1. @ Sven
    Juste une question : est-ce que les magistrats sont en droit de critiquer une Loi ?

    Rappelons-le, une loi est votée par des parlementaires… Lorsqu’elle a été promulguée par le Chef de l’Etat, elle devient un décret d’application publié au Journal Officciel…

    Le magistrat, dont vous parlez, avait parfaitement le droit de ne pas être en accord avec la Loi, donc, était en droit de recquérir en son âme et conscience !
    Cependant, il n’avait pas le droit de s’en prendre publiquement à cette loi…

    Aussi, je pense que la Garde des Sceaux se devait de faire un rappel à la loi à ce magistrat !

  2. Le problème est le même dans toutes les « démocraties » de ce monde. Les lois sont faites pas des gens, qui ne les appliquent pas et qui passent surtout leur temps à boucher des « trous » pour en ouvrir de plus grands. Les lois sont généralement « racistes » car elles protègent les criminels et non les citoyens « honnêtes » !!! qui n’en ont pas besoin car respectueux des droits de leurs concitoyens sans qu’on les y oblige !!!!!!!! Bref le commerce de la « justice » rapporte surtout de l’argent. Quant’à la Justice elle-même, il faudra encore attendre pour qu’il y en ait une !!!

  3. @Dominique Dutilloy
    Tout d’abord, n’importe qui est en droit de critiquer une loi.
    On pourrait penser, j’en conviens, qu’un magistrat doive conserver une sorte de réserve dans le cadre de sa profession, mais il n’existe aucun texte à ce sujet, et de ce point de vue, le magistrat est un citoyen comme un autre.
    Notez qu’on peut également soutenir que les magistrats, qui appliquent la loi, sont mieux fondés que d’autres à soutenir une critique vis à vis de la dite loi 😉

    Ensuite, le procureur convoqué à la Chancellerie parlait seulement « d’appliquer la loi avec discernement ».
    Si critique il y a, elle consiste à dire qu’il y a bien une loi, mais qu’elle ne doit pas s’appliquer systématiquement.

    Enfin, il est important de préciser que pour les procureurs, qui sont tenus de requérir conformément à ce que leur dicte la hiérarchie, il existe un texte qui leur donne la liberté de parole à l’audience, pour résumer : ils ont la liberté de dire le contraire de ce qu’ils font, et c’est un espace de liberté qui leur est très précieux.

  4. Il vaut mieux effectivement, pour un Juge digne de ce nom, ne pas appliquer une loi injuste et juger en toute bonne vraie conscience et honnêteté. Lorsqu’il devra rendre compte devant son Créateur des actes qu’il aura posé dans sa vie, là au-moins, il sera honoré et c’est tout ce qui compte.

  5. @ sven
    Au risque de vous rappeler qu’un magistrat est un Fonctionnaire dépendant du Ministère de la Justice, tout fonctionnaire, quelqu’il soit, se doit d’appliquer un devoir de réserve dans ses paroles et dans ses écrits.

    Pour exemple, je vais vous raconter ce qui s’est passé durant la IIè Guerre Mondiale. Vous vous souvenez sans doute de cette loi édictée par le Gouvernement de la Dictature de Pétain, qui, appliquée rétroactivement, prévoyait la peine de mort pour toute personne coupable d’activités anti-gouvernementales (communistes, etc…) commises même avant la guerre ?
    Il avait été demandé à un procureur, en l’occurence : le Procureur Linay, qui faisait partie de ce tribunal dit de « Section spéciale », de requérir la peine de mort contre un célebre opposant communiste. Ce procureur, qui n’a absolument pas discuté de l’iniquité de cette loi qu’il trouvait absurde, a simplement fait savoir qu’il était contre la peine de mort pour raisons politiques et qu’il ne pourrait pas demander l’application de cette peine ». Malgré les pressions subies, il a tenu bon, se taisant toujours sur l’iniquité de cette loi, et, contre toute surprise, a simplement requis la prison à vie contre ce Communiste…

    Donc, libre à ce magistrat, dans ses réquisitions, de ne pas demander de peine « plancher » comme prévu par cette loi du Gouvernement Fillon.
    Libre à lui, au sein du Syndicat de la Magistrature, de faire en sorte que cette loi soit définitivement abrogée !
    De plus, il pouvait, selon son opinion, selon sa conscience, requérir la peine qu’il estimait méritée par un justiciable ! Mais, et je me répète, il n’avait pas à critiquer publiquement cette loi !

    En cela, je veux dire que tout fonctionnaire peut être opposé à une loi pour diverses raisons que ce soient… Donc, si il est investi d’une mission d’autorité ou de répression, il est tout à fait libre de ne pas appliquer cette loi !

    Ce magistrat n’avait pas à commenter cette loi, fût-elle inique à ses yeux !

  6. Une précision: cette situation est prévue dans la loi sur la récidive, il est laissé à la discrétion du magistrat de ne pas l’appliquer, s’il a une bonne raison de le faire et qu’il peut la justifier.

  7. @ Blaise
    Vous avez parfaitement raison, Blaise… Mais, si il lui est permis de justifier son refus de requérir (en fonction de la peine « plancher »), il ne peut que le faire au sein de son tribunal, à condition que cela ne se passe pas en public !

Les commentaires sont fermés.