Patchwork : une revue pour se ruiner soi-même…

Avez-vous remarqué ? Pas un mois sans qu’un magazine, une revue, ne sorte un premier numéro à bas prix assorti d’un « cadeau ». Lequel n’est pas tout à fait vendu prix coûtant mais l’achat paraît avantageux. Tout se gâte si on devient un acquéreur régulier, surtout si la revue est pérenne. Exemple avec le nouveau titre en anglais du groupe Hachette, The Art of Quilting, qui propose de réaliser un dessus de lit patchwork pour, au final, près de… 400 euros.

La mode et la déco, ce n’est pas tout à fait mon truc. Sauf, bien sûr, exception.
Pas plus que les lectures genre Veillées des chaumières.
Ni même Le Chasseur français.

Mais je me souviens que feue ma mère s’était un peu ruinée pour m’acheter les fascicules de l’encyclopédie Tout l’Univers, que j’avais vraiment appréciée.

À présent, au grand dam des kiosquiers (c’est franchement encombrant), une flopée de revues et magazines, à l’avenir parfois très incertain, sort avec un prix de lancement très attractif assorti d’un « cadeau ». Chez Hachette, en France, là, c’était un magazine vendu avec une figurine des personnages d’Astérix. On tente les collectionneurs. Avec n’importe quoi. Petites voitures ou autres. Je crois même me souvenir d’un magazine consacré aux tire-bouchons. Le bonus était un vieux modèle reproduit dans une matière d’exposition, et non d’utilisation : mon copain n’a pu s’en servir plus d’un mois, il s’est rompu. Mais trêve d’entrée en matière, parlons dessus de lit ou de chaises, de patchwork.

Dans un article pas trop publirédactionnel, le Daily Mail se penche sur le nouveau The Art of Quiliting. Qui sera vendu pendant 90 semaines par une filiale du groupe Hachette-Lagardère. Eh oui, cela marche fort. Vous avez des revues pour faire du scrapbooking, de la déco « rétro », et toutes sortes de choses par vous-mêmes. Les produits franco-français existent (voyez QuiltMania), très souvent pillés, comme les publications étrangères, par les Internautes qui en reproduisent des patrons, des modes d’emploi, et les fameux conseils. Pour les produits Hachette, oubliez. À moins de les adapter assez fort, ils seront systématiquement détectés sur la Toile par une société spécialisée.

Deux ans, 400 euros

En fait, au cours du jour, il vous en coûterait 392 euros (plus le change et le port) si un ou une amie vous expédiait gratuitement du Royaume-Uni le magazine au prix coûtant. On vous aguiche avec un premier numéro assorti d’une bobine de fil blanc et de quelques bouts de tissus imprimés, au prix d’appel (99 pence), puis vous vous retrouvez à dépenser 2,50 £ pour le second. Piégés ? Dès le troisième, c’est 3,99 £ et en 90 numéros et un peu moins de trois ans, vous aurez déboursé près de 400 euros.

Quant au projet vedette proposé, il vous tiendra en haleine pendant deux ans. Auparavant, les quilts étaient confectionnés à partir de scraps, de rebuts, d’habits usés, de restes de découpes trouvés à proximité des domiciles des couturières ou des fabriques. Là, votre créativité est guidée. En fait, vous payez surtout la publicité télévisée, un peu l’impression et le conditionnement, mais vous serez choyés. Le résultat sera digne de vous et fera l’admiration de toutes vos visiteuses ou hôtes.

Voyez-les déjà, dès la première vue de votre, non plus ouvrage, mais chef-d’œuvre, écarquiller les yeux et vous féliciter ! C’est fastidieux d’en rajouter dans le laudatif à chaque numéro, mais on s’y fait, et cela devient routinier…

Bien sûr, Hachette n’indique pas combien de numéros il faut pour acquérir la collection complète de figurines ou autres « cadeaux », ou pour réaliser le fabuleux projet. Pour les autres revues de type similaire, cela prend ou ne prend pas. Aucune garantie que le magazine sera encore en vente après un trimestre. Vos cadeaux finiront en brocante ou déballage, ou à la cave. Le dessus de lit envisagé peut finir en coussin dépareillé…

Calculez à l’avance

Avant de céder à la tentation, la vôtre ou celle de vos enfants, dites-vous bien que le contenu des numéros suivants est souvent fort mince. Pif et son gadget ne réduisaient pas la pagination. Ces revues, au besoin, limiteront contenus et coûts d’impression, de transport, &c. En tout cas, la plupart du temps. Insensiblement au départ. Bien sûr, dès le troisième numéro, on vous fera des offres d’abonnement meilleures marché que l’achat au numéro. Pour cause : c’est le but recherché.
Soit éviter de rétribuer messageries de presse et distributeurs. Pas assez d’abonnés ? Eh, le syndic de liquidation enregistrera certes vos créances, mais ne vous remboursera qu’avec ce qu’il reste lorsque seront satisfaits lui-même et d’autres créanciers, forcément davantage prioritaires.
Il reste à remonter une société et reproduire autrement l’opération.

« Oh, tentation ! », répétait à l’envie le chantre dévot (et un peu tartuffe) du Dans les forêts, de Melnikov (excellente lecture, mais la traduction française est épuisée). Votre adresse risque d’être vendue à des partenaires. Au besoin, un site sera créé pour vous proposer des promotions. Et puis, dans les pages, d’autres offres tentantes.

Là, vous devriez pouvoir tenir trois ans avec 16 aiguilles. Pas sûr que la bobine de coton blanc dure autant. Mais vous bénéficier de quatre coupons couvrant au total 135 cm carrés. Dont l’un est tout blanc, histoire de vous inciter à broder (fils non fournis). 

Tout à l’avenant

En magasin de déco, le tissu, le fil, &c. vous reviendrait au quart du prix. Quant aux conseils, il y a de très bons petits guides pour débutants (et d’innombrables sites). Autant le faire de suite, surtout si vos magazines finissent par s’empiler et que des tâches plus urgentes vous font remettre à plus tard la poursuite de votre grand œuvre.
Quatre fois la culbute, c’est encore raisonnable. Vous savez à combien revient une robe de Victoria Beckham toute montée, sortie d’usine ? 70 euros au maximum. Une ceinture en polyester perlé (avec les perles mal alignées) griffée dès l’origine en Chine (avec Paris dessus) doit revenir Free On Board, origine Shanghaï ou Yiwu, à moins de 3 euros (pour une commande de 600  pièces, la minimale). Vous la retrouverez en boutique à 70 euros. Voyez les prix, par exemple, des ceintures Antik Batik « brodées de sequins ». Plus du double. Là, c’est vraiment le genre de projet facile à réaliser vous-même, si possible en évitant la flagrante contrefaçon. 

Un dessus ou couvre-lits patchwork tout fait, livré, style boutis, c’est, pour un lit 140, dans les cent euros. Comparez le prix de la courte-pointe. Rien ne vous empêche de la personnaliser davantage.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Patchwork : une revue pour se ruiner soi-même… »

  1. ;D 😉 hahaha ! c’est bien vrai !
    mais qui ne s’est laissé tenté, moi la première (quelle idiote) par ses fameuses collections A….
    et les autres qui vous permettent à coups de petits morceaux reçus tous les mois de construire un bâteau ou autre…
    et oui, à petit coup de sous, tout cela revient bien cher au final!

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